le Progrès du vendredi 12 août 2016
POLITIQUE - FORUM SOCIAL MONDIAL
L'étrange victoire des altermondialistes
Tout le monde (ou presque) tape maintenant avec eux contre le diable du "néolibéralisme" et ses traités de libre-échange. L'heure est à la redéfinition de nouvelles cibles, ou de nouveaux objectifs.
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peine une petite polémique sur des refus de visas par le Canada, notamment à l'ancienne et toujours tonitruante ministre malienne Aminata Traoré... L'ambiance autour du Forum social mondial (FSM), qui réunit environ 50000 personnes à Montréal, est bien loin du bruit et la fureur des grands rassemblements altermondialistes d'il y a quinze ans. Privé de l'armada médiatique qui suivait José Bové en 1999 à Seattle, où le mouvement avait largement contribué à l'échec du sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Heureusement beaucoup plus apaisé que les manifestations de Gênes contre le G8 en 2001, qui avaient fait un mort et des centaines de blessés...
Naomi Klein : "Le bon moment"
Le paradoxe est que cette relative discrétion signe une victoire sur le fond : les altermondialistes sont "en train de gagner", peut se réjouir Christophe Aguiton, altermondialiste de la première heure. L'activiste canadienne Naomi Klein, auteur du best-seller "No Logo" cosigne le bulletin de victoire : "C'est le bon moment pour se rassembler, puisque le projet idéologique (néolibéral) s'est effondré, déclare-t-elle au quotidien Le Devoir. Bien sûr, des politiques néolibérales continuent d'être menées, mais elles créent tant de crises qu'on ne peut plus convaincre le public que c'est bon pour lui".
L'illustration la plus éclatante en est, de l'autre côté de la frontière, l'attitude très défiante des deux candidats présidentiels à l'encontre du traité du libre-échange trans-Pacifique (TPP) - celui avec l'Europe n'étant pas vraiment dans le débat.
"Retour de bâton" du Brexit
Mais c'est justement ce traité États-Unis-Europe qui, sur notre continent, et surtout en France, alimente des discours que pourraient signer les militants altermondialistes. Cela sans oublier le coup de tonnerre du Brexit, ce "retour de bâton", pour citer l'économiste Nouriel Roubini.
Des propos inimaginables en janvier 2001, lorsque se réunissait le premier Forum social mondial à Porto Alegre. C'était l'époque où les pouvoirs vantaient la "mondialisation heureuse", suivant le livre d'Alain Minc (publié en 1997), où José Bové rassemblait plus de 200 000 personnes au Larzac, à l'été 2003, sur le thème "Gardarem la terre"...
"Alternatives concrètes"
Aujourd'hui, reconnaît Naomi Klein, la critique de la mondialisation néolibérale est partagée à droite comme à gauche, sinon surtout à l'extrême droite. Les altermondialistes tentent donc de renouveler leur discours. Ils insistent davantage sur "les alternatives concrètes", et affirment avec Raphaël Canet, coordonnateur de l'édition, qu'il "faut dépasser la fracture entre le nord et le sud".
Les problèmes sont les mêmes renchérit le Brésilien Chico Whitaker, cofondateur du FSM : lutte contre les inégalités, évasion fiscale, réchauffement climatique, migrations et terrorisme... Une mondialisation des problèmes, en quelque sorte. À laquelle ils opposent toujours le même slogan : "Un autre monde est possible". Francis Brochet
Christophe Aguiton Attac-France
"Une prise de conscience"
Quels sont les thèmes dominants de ce Forum ?
Chaque forum est marqué par la situation du pays dans lequel il se tient. À Porto Alegre, on avait parlé de budget participatif et de la lutte des sans-terre. À Montréal, nous sommes au milieu d'une nouvelle génération de mouvements sociaux qui émerge dans toute l'Amérique du Nord. Elle s'est exprimée dans la campagne de Bernie Sanders aux États-Unis. Et ici, au Québec, avec le mouvement étudiant Carré Rouge, ou le "Printemps érable", qui a maintenu la gratuité des écoles et des universités. À cela s'ajoutent des thèmes plus planétaires, comme l'environnement ou le terrorisme.
Vous avez participé à tous les forums depuis 2001. Quelles évolutions notez-vous?
Les thèmes suivent la situation politique du moment, et celui-ci est marqué par le poids des guerres, du terrorisme et des migrations, des politiques sécuritaires mises en place. La mondialisation continue, mais le monde se fragmente. Et les grandes institutions financières, le FMI, la Banque mondiale, l'OMC, qui étaient les cibles en 2001, jouent aujourd'hui un rôle bien moindre.
Justement, en voyant les difficultés des accords de libre-échange, diriez-vous que les altermondialistes ont gagné ?
Oui, les altermondialistes sont en train de gagner, sur certains sujets. Par exemple, sur le respect des décisions démocratiquement prises par un État : si on décide de protéger l'environnement de façon plus sévère en Europe, en interdisant par exemple les OGM, un traité de libre-échange ne doit pas pouvoir nous imposer le contraire. Des batailles sont encore à mener sur le dumping fiscal, le dumping social, mais la prise de conscience et en train de se faire. Recueilli par Francis Brochet
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