Une histoire de la lecture
Comment lisait-on il y a 2 000 ans ? Pourquoi l'écran constitue-t-il une révolution ?
Le papier va-t-il disparaître ?
Le livre et la lecture ont pris de très nombreuses formes à travers l'histoire. Les supports se sont modifiés, les moeurs, les goûts et les pratiques également.
On ne lit pas de la même façon et pour les mêmes raisons à l'Antiquité, au Moyen-Age et à notre époque.
Voici 4 500 ans d'histoire de la lecture en 15 évolutions majeures.
© BNF Musée d'Idlib Syrie - vers 2400 ans avant J.C.
Lire sur des pierres : pour l'éternité
Quand ? A partir de 6 000 avant J.C.
Pourquoi la pierre ? Les plus anciennes civilisations du monde ont utilisé les matières premières de leur environnement pour écrire.
Les premières traces d'écriture ont ainsi été découvertes sur des planches de bois, souvent enduites de cire ou de stuc, ou sur de l'argile. La pierre est aussi largement utilisée, notamment pour graver pour l'éternité les procédures et règles administratives ou religieuses.
Ce que ça a changé : Pour la première fois, l'homme pose ses idées sur des matériaux pour les échanger à travers les royaumes et le temps.
Lire sur du papyrus : les textes se structurent
Quand ? A partir de 2 600 avant J.C.
Pourquoi le papyrus ? L'Egypte et les régions alentours découvrent que le papyrus, cette plante qui pousse près de l'eau, est une matière résistante que l'on peut transformer.
On débite les tiges de la plante, pour ensuite les sécher, les disposer perpendiculairement les unes sur les autres. Une fois le tout compressé et poli, on obtient un support souple de grande qualité.
Ce que ça a changé : Le "médium" est léger et pratique. On structure alors l'écriture et la lecture en disposant le papyrus en rouleau.
Au IIe siècle avant J.C, il est déjà répandu dans le monde hellénistique et même à Rome. Seul souci : sa réalisation est délicate et très coûteuse, donc réservée à l'élite.
Lire sur un parchemin : l'alternative moins coûteuse
Quand ? A partir de 200 avant J.C.
Pourquoi le parchemin ? Le parchemin est fabriqué à partir de peaux de mouton, de chèvre ou d'âne qui a été tannée (râclée, lavée et polie).
Il aurait été introduit au IIe siècle de notre ère par le roi de Pergame. Celui-ci souhaitait étendre sa bibliothèque qui rivalisait alors avec celle d'Alexandrie. Or, les Egyptiens voyaient cette concurrence d'un mauvais oeil et refusèrent d'exporter leur papyrus.
Ce que ça a changé : Le parchemin est moins cher à produire : la matière première est moins rare et sa fabrication plus simple. En quelques siècles, cette nouvelle "technologie" va supplanter le papyrus.
Lire un volumen : le support impose l'attitude
Quand ? A partir de 2 500 avant J.C.
Pourquoi le volumen ? Le volumen désigne la forme du livre créé à partir du papyrus, puis à partir du parchemin.
Il s'agit d'un support de deux rouleaux (volumen vient du latin volvere : rouler) autour desquels s'enroule le texte.
Ce que ça implique : Il faut imaginer que pendant très longtemps, lire imposait une attitude, une position.
Le volumen devait être tenu horizontalement à deux mains, l'une déroulant et l'autre enroulant. L'ensemble est fragile, peu maniable. Il est impossible d'écrire et de lire en même temps, ni d'isoler des passages.
On lisait donc à haute voix (souvent debout) ce qui fut pendant très longtemps la norme de lecture.
Lire un codex : la grande révolution
Pourquoi le codex ? Le parchemin moins fragile que le papyrus permet de nouveaux usages.
Comme il peut être découpé, on décide rapidement de constituer un ensemble de feuilles pliées et cousues dans un cahier. C'est la naissance du livre moderne !
A noter que l'Occident a adopté le codex par l'intermédiaire des Chrétiens. Il reste marginal quelques siècles avant de se généraliser à Rome et au-delà.
Ce que ça a changé : Les coûts baissent considérablement puisqu'on peut écrire des deux côtés du support.
Le texte est plus maniable, et bien structuré grâce à une innovation majeure : la page ! La foliation, les tables et les annotations permettent de se repérer dans l'ouvrage.
Lire des textes aérés : l'invention de la mise en page
Quand ? A partir de 1050 après J.C.
Pourquoi la mise en page ?
L'alphabétisation se développe. Désormais, on associe plus aisément les pratiques de la lecture et de l'écriture. On écrit pour lire et inversement. Il faut donc repenser la diffusion de l'écrit.
On utilise les abréviations, l'espace de la page est divisée en deux colonnes pour créer plusieurs champs visuels plus faciles et appréhender. Bientôt apparaissent les paragraphes, les chapitres, les sommaires, les index...
Ce que ça a changé : La lecture est plus rapide, plus efficiente. On ne lit plus pour apprendre par coeur des légendes ou réciter des textes religieux.
Désormais, on considère le livre comme un objet de savoir, qui doit être pratique.
Lire en silence : une nouvelle appropriation des textes
Quand ? A partir du XIe siècle
Pourquoi une lecture silencieuse ? Alors que lire à haute voix était la forme normale de la lecture durant des siècles, on se met à lire en silence.
D'abord parce que les textes chrétiens sont appris par coeur, individuellement, pour être médités. Aussi parce que le codex et la mise en page ont introduit de nouvelles manières de lire, plus instinctives, plus immédiatement intelligibles.
Ce que ça a changé : Lire en silence était une attitude dépréciée dans l'Antiquité et jusqu'au Xe siècle.
Elle existait mais n'était tolérée et comprise qu'à de rares exceptions.
L'usage du livre a donc profondément changé : il devient un outil d'introspection et d'apprentissage personnel autant que collectif.
Lire dans une bibliothèque : les lecteurs seuls mais rassemblés
Quand ? A partir du XIIIe siècle
Pourquoi des bibliothèques ?
Avec l'apparition des ordres mendiants, l'Europe voit apparaître dans ses villes des bibliothèques dans lesquels on ne fait pas qu'accumuler du patrimoine mais dans lesquelles on vient lire.
Ces nouveaux lieux de société ont leurs règles : on doit respecter un silence strict.
Ce que ça a changé : La lecture demeure silencieuse, solitaire mais elle est aussi collective puisque l'on côtoie une communauté de lecteurs.
On invente aussi une "bibliothéconomie" qui repose sur le catalogue dans lequel on recense les livres pour bien les localiser dans les territoires alentours.
une imprimerie vers 1530
Lire des imprimés : un nouvel objet de consommation
Quand ? A partir de 1 420 - 1 440
Pourquoi des livres imprimés ? La xylographie rendue célèbre en Europe grâce à Gutenberg (qui l'industrialise) ouvre de nouvelles perspectives.
Alors qu'auparavant la transmission de la pensée n'était assurée que par les copistes qui réalisaient un travail fastidieux, cette nouvelle technologie (combinée à la découverte du papier) permet une augmentation considérable des textes.
Ce que ça a changé : Le livre va devenir un objet de consommation, reproduit à l'identique, diffusé en très grand nombre.
L'imprimé enracine également la lecture silencieuse et autonome parmi ceux qui ont accès au livre, au-delà du monde religieux. Il devient un objet de travail intellectuel et bientôt de divertissement personnel.
Lire avec images : de la lecture-travail à la lecture-loisir
Quand ? A partir du XIXe siècle
Pourquoi l'image ?
Les images ont accompagné les textes depuis l'antiquité mais avec les procédés de l'impression moderne, elles se multiplient.
Les bibles sont largement illustrées pour rentrer plus facilement dans les esprits.
Au XIXe siècle, les nouvelles techniques d'encrage permettent d'insérer l'image plus aisément.
Ce que ça a changé : Support de verbalisation, puis de compréhension, l'image est mise au service du récit en offrant une interprétation visuelle des moments forts du texte.
Elle finira par s'autonomiser et prendre le pas sur l'écrit avec les arts illustrés et la bande dessinée.
Lire sur un écran : plus fort que Gutenberg
Quand ? A partir du XXe siècle
Pourquoi l'écran ?
Après à peine quelques siècles de suprématie du papier, celui-ci n'a plus le monopole de la médiation de l'écrit.
L'informatique que nous connaissons permet une diffusion presque illimitée des contenus, de manière quasi instantanée. Elle est aussi à l'origine des nouvelles façons de produire du contenu, des textes et des images.
Ce que ça a changé : C'est toute une "économie de l'écriture" qui se réorganise. Pour la première fois dans l'histoire, un individu peut à la fois produire, éditer et transmettre.
Les anciennes distinctions qui séparaient les rôles intellectuels et les fonctions sociales et professionnelles sont caduques.
D'autre part, le fantasme d'une bibliothèque universelle, absolue est plus que jamais atteignable.
Lire sur une tablette : entre codex et volumen
Quand ? A partir du XXIe siècle
Pourquoi la tablette ?
La tablette -comme le ebook- rend mobile, pratique, maniable et ergonomique la lecture sur l'écran.
L'évolution majeure réside donc dans l'usage et les pratiques nouvelles de lecture.
Ce que ça a changé : Nous voilà arrivés à la rencontre technologique entre l'usage du volumen (texte rouleau, qui donne à lire un contenu brut) et celui du codex (puisqu'il existe repérages et parcours de lecture - pagination, tables, index, hypertexte...).
Plus encore, la dématérialisation rompt le lien physique qui existait entre les textes et les supports qui les portaient, donnant une dimension nouvelle aux "oeuvres de l'esprit".
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