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Franceinfo - le jeudi 12 décembre 2019 - mis à jour le 13.12.2019
Les créateurs de lingerie s'en emparent : "Body Positive", le mouvement qui prône l'estime de soi
De plus en plus de personnes, en grande majorité des femmes, n'hésitent plus à montrer leurs imperfections pour exercer un contre-pouvoir aux diktats de la mode et encourager leurs congénères à se débarrasser de leurs complexes.
Défilé Body Positive, organisé par Georgia Stein, à Paris en septembre 2019 (HARRYS BIBILA)
Face à la pression du corps parfait, de plus en plus de femmes ont leur réponse : #BodyPositive. Ce mouvement prône l’affirmation d’un corps non standardisé, avec ses défauts assumés. Sur Ies réseaux sociaux, les blogueurs(es) encouragent à dire adieu aux diktats de la beauté et à booster l'estime de soi. Si aux États-Unis où est né ce mouvement, il est courant de voir une femme taille 50 porter une robe moulante avec des talons et un décolleté, en France - où la population est plus mince - la mentalité et la tolérance face au surpoids sont bien différentes.
Analyse du phénomène par Jean-François Amadieu, auteur de La Société du Paraître, et par Georgia Stein, mannequin grande taille fondatrice du groupe The All Sizes Catwalk à l’initiative de défilés body positive, mais aussi découverte de marques de lingerie très impliquées.
"Mouvement de fierté lié, aussi bien, à l’acceptation de son corps que de son orientation sexuelle"
Si le mouvement body positive a gagné en visibilité grâce aux réseaux sociaux, il a vu le jour avant l’apparition d’Instagram et de Facebook. Lancé par Connie Sobczak et Elizabeth Scott en 1996 aux États-Unis, ce courant féministe se focalise sur la construction de l’estime de soi. Son objectif ? Libérer les femmes de leurs (nombreux) complexes par une représentation différente du corps qui va faire évoluer les regards et les préjugés.
Lors du salon international de la Lingerie & Interfilière Paris 2018 Jean-François Amadieu, Professeur à l’université Paris 1 et auteur de La Société du Paraître (Editions Odile Jacob), indiquait "C’est un mouvement très lié à la question des femmes et du genre qui vient des États-Unis et plus largement des pays anglo-saxons (...) Le body positive est une entreprise de libération de la tyrannie de la minceur, de l’âge et d’autres questions. Ça a commencé dans la presse féminine y compris en Europe".
Un point de vue que partage Georgia Stein, mannequin grande taille fondatrice du groupe The All Sizes Catwalk, pour qui le regard sur le mouvement en France et aux États-Unis se rapproche avec le temps "En un an, il y a eu énormément d‘évolution en France. Dans les mentalités, comme sur nos écrans. Toute discrimination, tout combat, ont pris leur temps". La médiatisation de la bloggeuse Daria Marx et de l’auteure Gabrielle Deydier qui a écrit "On ne naît pas gros" mais aussi la Une de Libé du 1er juin 2018 qui titrait "Place aux gros" montrent également que ce mouvement a de plus en plus de visibilité au coeur de la société française.
Mais pour Jean-François Amadieu "le body positivisme va beaucoup plus loin. Il s’inscrit dans un mouvement de fierté lié aussi bien à l’acceptation de son corps que de son orientation sexuelle. On observe aussi une mobilisation des seniors parce que les femmes vieillissantes subissent aussi des discriminations. Une femme de plus de 50 ans, c’est un corps qui a plus de 50 ans, un corps qui a changé". Et Georgia Stein de renchérir "Presque tout le monde a des complexes. Avec le temps, les femmes voient leurs corps évoluer. Tellement de sujets tabous dont on n’a pas beaucoup parlé pendant très longtemps, trop longtemps".
Les réseaux sociaux, vecteur principal de propagation
#bodypositive est l’un des hastags les plus populaires des réseaux sociaux notamment chez les femmes. Sur instagram, il recueillait 6 millions d’occurrence en 2018. "Cette libération des femmes passe, en effet, par les réseaux sociaux et les communautés dans un premier temps puis les médias s’en saisissent" confirme Jean-François Amadieu. "Certaines influenceuses sont très actives sur le sujet, quelques stars aussi. Elles sont relayées par Instagram, Twitter et par des pétitions en ligne pour lutter contre ces discriminations. Car globalement, les médias ne se sont pas encore saisis totalement de ces questions mais ce sujet intéresse-t-il les élites ?"
Ces personnalités et ces anonymes, qui s’emparent du phénomène sur les réseaux sociaux, deviennent de nouvelles icônes : Tess Munster, mannequin plus size, Winnie Harlow, mannequin atteinte d’un vitiligo (maladie de l'épiderme, ndlr), Thando Hopa, juriste et mannequin sud-africaine albinos...
Sur instagram, beaucoup de femmes sont mobilisées à l'instar de Gaëlle Prudencio (une trentenaire qui tient un blog BP depuis 2007), de Valériane Barcia (distributrice de positivisme, dont la phrase fétiche est "Tu vas vieillir et ton corps également, c’est le seul endroit où tu passeras le reste de ta vie, alors aime toi !"), de Myla Dalbesio (top-modèle pulpeuse qui a lancé en 2019 avec la griffe belge PrimaDonna une collection capsule portant le slogan "It’s all in you", car vous pouvez être tout ce que vous voulez).
Des défilés pour montrer la réalité et dénoncer le manque de diversité
Georgia Stein, mannequin grande taille fondatrice du groupe The All Sizes Catwalk, est à l’initiative de défilés body positive à Paris pour dénoncer le culte de la minceur qui fait souffrir énormément de femmes qui ne se trouvent pas normales, dans une France plutôt mince réticente aux rondeurs.
Aujourd'hui, de plus en plus d’enseignes ont compris que la diversité et la normalité faisait vendre. Que ce soit dans le luxe, dans le prêt-à-porter, comme dans la beauté, on voit de plus en plus de diversité dans les campagnes de pub et les mannequins grande taille y ont désormais leur place.
Avant de devenir mannequin grande taille, Georgia Stein était hôtesse de l‘air. A 22 ans, elle arrête la pilule, découvre qu'elle a des ovaires polykystiques et passe du 36 au 44. Découvrant qu'il existe une agence parisienne spécialisée grande taille, elle postule. En parallèle du mannequinat, elle organise, depuis 2018, des défilés en lingerie pour montrer la réalité et dénoncer le manque de diversité. "Nous sommes juste là pour montrer que la diversité est belle et enrichissante. Qu‘importe les morphologies, chaque personne a le droit d‘être soi ! Ne trouve-t-on pas tous ces profils par millions dans notre société ? Nous nous sommes là pour leur montrer que c‘est possible".
De 9 personnes en avril 2018 à 100 au dernier happening en septembre 2019, elle réunira 250 femmes et hommes, de toutes morphologies (du 34 au 60), handicapés ou non, transgenres, couples gays, homosexuels, hétérosexuels, de tous les âges, de toutes religions et de toutes cultures... en mai 2020. "Ce sera notre dernier happening, car notre communauté grandit tellement vite que nous ne pourrons plus défiler en mode sauvage. Je vais donc travailler avec la Mairie de Paris pour créer un événement ouvert à tous".
Des marques de lingerie de plus en plus engagées
Aujourd’hui, 4 femmes sur 10 déclarent avoir des complexes avec leur corps, et les chiffres montent à 6 sur 10 lorsqu’il s’agit de leur poitrine (IFOP / décembre 2018). Même s'il y a encore peu de mannequins professionnelles de grande taille dans l'Hexagone, des femmes avec des courbes et des imperfections s'affichent désormais dans les publicités et les acteurs de la lingerie font parties des marques les plus actives.
Sans Complexe, marque dédiée aux beautés généreuses, affiche dès 2011 sur ses publicités "La taille mannequin c’est démodé !". Dans un environnement où les messages sur l’acceptation de soi fusent, sa nouvelle campagne prône "J’ai des seins. Et alors ?". "Un visage lumineux et des formes là où il faut mais surtout une personnalité fraîche, authentique, bien dans son corps et avec une joie de vivre communicative : c’est ce que nous cherchons en priorité chez nos mannequins" explique Corinne Andrier-Duquin Directrice de l’offre et du marketing de Sans Complexe. "Nous commercialisons une lingerie décomplexée qui donne la pêche à l’image de ces femmes épanouies que sont nos clientes". Un choix en lien avec la volonté de la marque de véhiculer avant tout un état d’esprit : celui de permettre aux beautés généreuses de se sentir féminines, bien dans leur tête et dans leur corps, sans compromis sur le confort et le maintien.
Sans Complexe a fait appel à des influenceuses. Ely Killeuse - ambassadrice du mouvement Body positive en France et auteur du livre Body Positive Attitude (Éditions Marabout) - a ainsi fait campagne sur instagram. Lors de vidéo-défi utilisant les hashtags #JeKillMonComplexe , #JaiDesSeinsetalors et #jesuissanscomplexe, elle invitait sa communauté à s’exprimer. Sachant que pour 65% des femmes ce complexe est lié au regard qu’elles portent sur elles-mêmes, l’idée étant de leur permettre d’exprimer librement qu’elles sont épanouies grâce à leur lingerie.
La marque Sans Complexe a aussi sollicité ses clientes sous forme de vidéos témoignages diffusées sur le site internet et ses réseaux sociaux.
"Libérer la confiance et réconcilier les femmes avec leurs corps grâce à une corseterie combinant maintien unique et élégance à la française" tel est le crédo d'Empreinte. Cette autre marque de lingerie a elle opté pour une communication différente avec la réalisation d'un film où trois femmes évoluent en apesanteur dans l'eau. L’eau, la danse, le rêve et la légèreté... un univers onirique et extraordinaire, jamais exploré par une marque de lingerie pour aider les femmes à retrouver confiance et estime de soi. "L’eau est ma source de créativité… La danse sous l’eau est le rêve de tous les danseurs car elle libère le corps de l’apesanteur. C’est cette sensation unique que je souhaitais mettre en exergue … le lien avec la lingerie Empreinte, qui rend belle et libre toutes les femmes" explique la réalisatrice et apnéiste Julie Gautier.
Enfin, la marque YSE vient de lancer son podcast Intimité, un journal sur l’exploration de notre rapport au corps, à la féminité et à la séduction. La créatrice Clara Blocman a ainsi interrogé des femmes d’univers différents (Claire Tran, Géraldine Dormoy, Elisa Gallois, Leslye Granaud, Marguerite Piard, Nami Cissé, Thérèse Sayarath) sur leur rapport au corps. Les 7 podcasts sont diffusés tous les mercredis pendant 7 semaines et sont disponibles à l’écoute sur Soundcloud, Spotify, Apple podcasts et sur le site d’Ysé.
Hors lingerie, d'autres marques tentent de déjouer la standardisation des corps en tailles. Chloé Bourgeais - jeune maman qui ne supportait plus d’être confronté au diktat de la minceur véhiculé par les grandes enseignes - a créé “Quand les filles… “, un lieu et un e-shop mode (à Nantes) dédiés aux femmes de la vraie vie. Quant à Mathidle Loubéry, elle est la fondatrice d'im-perfection, un bureau de style body positive. "im-perfection est né de l’étude sur le règne de la taille 36 que j’ai menée en 2016 (...) Afin de faciliter la compréhension entre les marques et le rapport qu’entretiennent les femmes avec leur corps, j’ai développé une méthode de matching, qui filtre les collections de prêt-à-porter, de lingerie et d’accessoires, en fonction des complexes et des atouts des femmes. Cette analyse permet aux marques de mieux s’adresser à leurs clientes, et aux femmes de se projeter dans les vêtements proposés".