Franceinfo - le dimanche 2 septembre 2018
Manifestations en Allemagne : comment la ville de Chemnitz est devenue l'épicentre de l'opposition entre pro et anti-migrants
Depuis une semaine, des manifestants d'extrême droite, qui protestent contre la politique migratoire menée par le gouvernement d'Angela Merkel, et des militants de gauche, qui la soutiennent, défilent à Chemnitz, une ville saxonne de l'ex-RDA
Depuis le meurtre d'un Allemand, dimanche 26 août, la ville de Chemnitz est le théâtre de manifestations de l'extrême droite allemande qui proteste contre la politique migratoire d'Angela Merkel. Deux hommes ont été arrêtés, suspectés d'être à l'origine de l'homicide : un Irakien et un Syrien.
Samedi 1er septembre, deux manifestations ont été organisées dans les rues de la ville saxonne de l'ex-RDA, l'une par la droite anti-immigration et l'autre par des mouvements de gauche, des marches très encadrées par la police. Si aucune échauffourée n'est survenue dans les cortèges, neuf personnes ont toutefois été blessées en marge des défilés qui ont rassemblé plus de 8 000 personnes, samedi 1er septembre. Franceinfo revient sur les faits.
Comment ont débuté ces manifestations ?
Samedi 25 août, un Allemand de 35 ans, Daniel Hillig, est tué à Chemnitz. Très vite, un Syrien et un Irakien sont placés en détention provisoire. Agés de 22 et 23 ans, ils sont soupçonnés d'avoir, "à plusieurs reprises", porté des coups de couteau à la victime après une "altercation verbale", selon le parquet. L'homicide met le feu aux poudres. Le lendemain du meurtre, quelque 800 sympathisants d'extrême droite effectuent une "chasse aux étrangers" dans la ville. Ils sont prêts à en découdre avec la police. Lundi 27 août, des affrontements opposent plus de 2 000 militants d'extrême droite à environ un millier de contre-manifestants proches de l'extrême gauche. Plusieurs blessés sont à déplorer. La police est dépassée. Jeudi 30 août, plus d'un millier de personnes ont de nouveau défilé dans la ville. Les militants d'extrême droite demandent à Angela Merkel de "partir". La forte présence policière permet d'éviter de nouveaux débordements.
Quelle est la situation sur place ?
Les rassemblements de samedi se sont déroulés sans incident, en présence d'un très important dispositif policier. Des heurts sont cependant survenus au moment de la dispersion des cortèges, lorsque les plus déterminés des deux camps ont cherché à s'approcher les uns des autres pour en découdre. Neuf personnes ont été blessées.
Une équipe de la télévision publique locale MDR a déposé plainte après avoir été agressée lors d'un tournage. Un membre de l'équipe a été blessé et son matériel cassé. Par ailleurs, en marge de ces rassemblements, un Afghan de 20 ans a été roué de coups dans la soirée par un groupe de quatre hommes au visage camouflé, dans un quartier périphérique de Chemnitz. Il a été légèrement blessé, selon la police.
Quels sont les deux camps qui se font face ?
Environ 4 500 personnes ont défilé samedi à l'appel de divers mouvements d'extrême droite, principalement l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) et le rassemblement anti-islam et anti-Merkel Pegida. Les manifestants se définissent comme des "patriotes", ou des "conservateurs" note Le Monde, qui a interrogé certains d'entre eux. Ces manifestants veulent avant tout redorer leur image, après le rassemblement de lundi, où des saluts hitlériens ont été vus.
Samedi, certains scandaient "nous sommes le peuple", reprenant le slogan des manifestants lors de la chute du régime communiste de RDA à l'automne 1989, ou encore "Merkel dégage !" en portant des drapeaux allemands. D'autres défilaient avec de grands portraits de victimes d'attaques perpétrées, selon eux, par des demandeurs d'asile.
Mais l'extrême droite reproche surtout à la chancelière allemande Angela Merkel d'ouvrir les portes de l'Allemagne à l'immigration. Pour l'extrême droite, l'Allemand tué le 26 août à Chemnitz est un "mort de Merkel". Cette expression est une manipulation du parti pour discréditer la chancelière, a affirmé mercredi dernier une ancienne membre de l'AfD, Franziska Schreiber, à la chaîne de télévision Stern TV, note le Huffpost. Selon elle, les accords de Schengen signés en 1995 par des pays européens, dont fait partie l'Allemagne, permettaient déjà aux frontières intracommunautaires d'être ouvertes.
En parallèle, environ 3 500 personnes ont défilé à l'appel de plusieurs associations et partis politiques de gauche, selon la police. Ils se sont rassemblés autour du mot d'ordre : "Le cœur plutôt que la haine." "Chemnitz n'est ni grise ni brune", pouvait-on lire sur une immense affiche collée sous l'imposant buste de Karl Marx situé devant l'hôtel de ville de cette ancienne commune d'ancienne Allemagne de l'est (RDA).
Comment réagit le gouvernement allemand ?
Mardi, la chancelière allemande, Angela Merkel, a dénoncé "la haine dans la rue" lors d'une conférence de presse à Berlin.
"Ce que nous avons vu n'a pas sa place dans un Etat de droit". lors d'une conférence de presse
Depuis, la dirigeante ne s'est pas exprimée sur le sujet. Un silence que lui reproche l'opposition. "Merkel se planque, assène un électeur du parti de gauche Die Linke, auprès du Monde. Elle doit davantage se montrer et se faire entendre".
De son côté, le gouvernement de coalition entre la CDU (conservateurs) et le SPD (centre-gauche) a apporté son soutien à la manifestation des militants de gauche par la voix du ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas. "L'Allemagne a causé des souffrances inimaginables à l'Europe, a-t-il écrit sur Twitter. Si, à nouveau, des gens défilent aujourd'hui dans les rues en effectuant le salut nazi, notre histoire passée nous oblige à défendre résolument la démocratie."
C'est nouveau cette poussée de l'extrême droite en Allemagne ?
Les manifestations de militants d'extrême droite ne sont pas nouvelles en Allemagne. En 2014 et 2015, rappelle Le Figaro, le mouvement Pegida, qui affirme lutter contre "l'islamisation" de la société allemande, a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes, notamment à Dresde, dans la même région que Chemnitz, la Saxe.
Ces manifestations sont révélatrices d'un "malaise très ancien", estime sur franceinfo Jean-Yves Camus, politologue et directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. L'Afd a obtenu ses meilleurs résultats aux dernières législatives, en obtenant 12,6% des suffrages et faisant pour la première fois son entrée au Parlement, mais la présence de l'extrême droite dans la vie politique allemande ne date pas d'hier.
Au milieu des années 1990, le nombre d'agressions contre des demandeurs d'asile ou des immigrants, qui étaient à l'époque bien moins nombreux que depuis 2015, était également monnaie courante. sur franceinfo
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