Franceinfo - le dimanche 17 mars 2019
RECIT. "On ne s'attendait pas du tout à ça" : samedi, à Paris, la violence embrase la manifestation des "gilets jaunes"
Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a dénoncé "des groupuscules hyperviolents venus piller, casser et harceler les forces de l’ordre". De nombreux commerces ont été saccagés. Franceinfo retrace la chronologie de cette journée chaotique
Des barricades en feu, des dizaines de vitrines brisées, une banque incendiée : quatre mois après le début du mouvement des "gilets jaunes", le 18e samedi de mobilisation a été marqué par un regain de violence.
Dès 10 heures, samedi 16 mars, des tensions ont éclaté entre manifestants et forces de l'ordre. Toute la journée, de nombreux incidents ont éclaté sur les Champs-Elysées. Franceinfo revient sur la chronologie des événements.
"Maintenant, on va passer aux choses sérieuses"
Pour cette 18e journée de manifestations, Eric Drouet, l'une des figures des "gilets jaunes", avait annoncé la couleur. "Maintenant, on va passer aux choses sérieuses : l'acte 18 arrive et ça, Macron, tu peux te méfier parce que ça va être un regain de mobilisation" avait-il annoncé sur YouTube dès le soir de la 17e journée. Samedi 9 mars, après le plus bas niveau de mobilisation du mouvement, le chauffeur routier appelait à donner un nouvel élan aux manifestations avec un "seul point de convergence" : Paris.
Pour les organisateurs, ce rassemblement devait être une démonstration de force, un ultimatum posé à Emmanuel Macron. De son côté, Maxime Nicolle, autre figure du mouvement, a laissé entendre qu'il fallait en finir avec le "pacifisme" lors d'un Facebook live diffusé dans la nuit de dimanche 10 à lundi 11 mars.
Cela fait 17 semaines que je prône le pacifisme, que je dis à tout le monde que je ne suis pas pour la violence. J'ai fait des appels au calme. Le 16, il va se passer ce qu'il va se passer. J'en ai plus rien à foutre sur Facebook
Des actions étaient prévues dans plusieurs régions, notamment à Bordeaux, Lyon, Montpellier, Dijon ou Caen. A Paris, des rendez-vous étaient donnés dès le matin, à 10 heures, aux abords de plusieurs gares, sur la place du Châtelet et sur les Champs-Elysées.
"On pensait rester ouverts..."
Dans plusieurs endroits de la capitale, la journée débute dans le calme. Des "gilets jaunes" se rassemblent dans les différentes gares de Paris et commencent à défiler. Vers 10 heures, des cortèges partent tranquillement de la gare du Nord et de la gare Saint-Lazare. Venue de Normandie, Murielle explique : "Aujourd'hui, la France monte à Paris". "Y'en a marre d'être dépouillés, taxés, avec le prix de l'essence qui a encore remonté", martèle Sylvie, d'Evreux (Eure).
A l'ouverture de leurs magasins, les commerçants sont plutôt sereins. C'est le cas de Pizza Pino, situé 31 avenue des Champs-Elysées. "C'était plutôt calme les derniers samedis, donc on a ouvert comme d'habitude avec les mêmes effectifs en termes de personnel", explique un cuisinier du restaurant à franceinfo. Même décision du côté du restaurant l'Alsace, de Massimo Duti et de J.M Waston, un magasin de chaussures pour hommes de l'avenue. Ils ouvrent, comme d'habitude sans protéger leurs façades comme certains avaient pu le faire les samedis de décembre. Mais rapidement, sur l'avenue, l'ambiance se tend.
Les premiers affrontements éclatent sur le haut des Champs-Élysées peu après 10 heures. Les forces de l’ordre lancent les premières grenades lacrymogènes. "Ça risque de chauffer aujourd'hui", met en garde Greg, un "street medic" de 38 ans, munis d'un casque et d'un masque. "Le mot d'ordre aujourd'hui, c'est faire attention devant, pour les LBD et derrière, pour les casseurs", explique-t-il.
Si les commerçants sont surpris, les forces de l'ordre semblent mieux préparées. Pour cette journée, le dispositif de sécurité a été revu à la hausse par rapport aux samedis précédents et atteint son niveau du mois de décembre. A Paris, plus de 5 000 membres des forces de l'ordre sont mobilisés, selon la préfecture. Quelque 38 compagnies de CRS (sur 60) et 61 escadrons de gendarmes mobiles (sur 108) sont affectés au maintien de l'ordre sur le reste du territoire.
A 10h30, des assaillants cagoulés entourés de "gilets jaunes" prennent d’assaut un fourgon de gendarmerie. Acculées, les forces de l’ordre quittent la zone et le petit escadron restant réplique à coups de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement.
A 10h45, la préfecture de police fait savoir que 20 personnes ont déjà été interpellées. "On veut plus de justice sociale, les mêmes règles pour tout le monde en France, pas tout pour les riches et rien pour les autres", lance Karine, 42 ans, de Valenciennes (Nord). La tension monte et les cortèges convergent vers l'arc de Triomphe.
"Cela n'a rien à voir avec les samedis précédents"
Vers 11 heures, plusieurs vitrines de magasins ont déjà été caillassées. Presque toutes les enseignes des Champs-Elysées ferment leurs portes. La plupart sont prises de court. "On ne s'attendait pas à une telle violence, ça n'a rien à voir avec les samedis précédents", souffle un serveur de la brasserie L'Alsace, située au milieu de l'avenue. Chez Pizza Pino, "on a fermé le restaurant au public. Le personnel est resté à l’intérieur. On fait bouclier devant les vitres pour dissuader les manifestants, pour qu’ils ne nous attaquent pas", confie le cuisinier, plus tendu.
Un kiosque est en train de brûler devant le restaurant !à franceinfo
Certains commerçant ont quand même pris leurs précautions et ont protégé leurs vitrines avec des panneaux de bois.
Au même moment, plusieurs départs de feu surgissent à différents endroits de l'avenue. Des motos sont aussi incendiées
Des affrontements éclatent autour de l'arc de Triomphe entre manifestants et forces de l'ordre. La situation se tend également avenue Mac-Mahon avec plusieurs départs de feu aux abords d'une barricade de police. Plusieurs personnes sont venues masquées, vêtues de noir. La gendarmerie nationale poste un tweet pour demander aux "gilets jaunes" de se tenir à l'écart. "Gilets jaunes, dissociez-vous des casseurs !" est-il écrit.
A 11h30, le bilan augmente : 31 personnes ont été interpellées. Pendant ce temps, les premiers participants à la "Marche du siècle" se rassemblent place du Trocadéro, à deux kilomètres de là.
Le Fouquet's ravagé, une banque incendiée
Plusieurs enseignes sont prises pour cible sur la célèbre avenue. Les vitrines des magasins Hugo Boss, Nike, Etam, Swarovski, Bulgari, Longchamp sont détruites, tout comme une vitrine du drugstore Publicis.
Vers 12h30, des casseurs s'en prennent au Fouquet's. Des vitrines du restaurant sont détruites, les buis qui délimitaient la terrasse sont saccagés, les panneaux de protection tagués. On peut notamment lire "Sarko a tout cassé". L'intérieur n'est pas non plus épargné : les tables et fauteuils sont renversés et la vaisselle brisée. Devant le restaurant, un "gilet jaune" se réjouit : "C'est un symbole, c'est pour ça que ça me fait plaisir : je suis contre la casse du petit commerçant mais là, ça, on s'en fout", déclare-t-il à franceinfo. A quelques mètres, une autre manifestante, moins tranchée, constate simplement : "On savait que ça allait casser, on savait que ça allait être une grosse journée : bon ben ça a cassé, c'est dommage."
Les Champs-Elysées ressemblent de plus en plus à une scène de bataille, rappelant les samedis les plus violents du mouvement. Face à l'intensification des violences, l'avenue est verrouillée tandis que des manifestants forment des barricades avec le mobilier urbain.
A 13h30, un incendie commence à ravager la banque Tarneaud, à l’angle de la rue du Colisée et de l’avenue Franklin-Delano-Roosevelt. La gérante du salon de coiffure situé en face filme la scène avec son smartphone.
"Le feu a commencé à prendre dans la partie basse de la banque puis il est monté au niveau au-dessus", raconte-t-elle à franceinfo. L'incendie a été déclenché volontairement au rez-de-chaussée, selon plusieurs témoins. Le quartier est bouclé, les pompiers arrivent vingt minutes plus tard. Une femme et son bébé sont sauvés des flammes alors qu'ils étaient coincés au deuxième étage du bâtiment. Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, réagit dans un tweet : "Les individus qui ont commis cet acte ne sont ni des manifestants, ni des casseurs : ce sont des assassins". Au total, l'incendie fait 11 blessés légers. Le feu est maîtrisé avant 14 heures.
A ce moment-là, la préfecture de police dénombre environ 10 000 manifestants dans la capitale et quelque 14 500 manifestants dans toute la France. Une mobilisation en nette hausse par rapport aux précédents week-ends. Samedi dernier à la même heure, les manifestants étaient 7 000 sur l'ensemble du pays, dont 2 800 dans la capitale, selon les chiffres de la place Beauvau.
A Bordeaux et Nantes convergence des "gilets jaunes" et de la marche pour le climat
Si la situation est chaotique sur le bas des Champs-Elysées, ailleurs en France, les cortèges sont plus calmes. Dans une atmosphère bon enfant, militants pour le climat et "gilets jaunes" se rassemblent sur la place de la Bourse, à Bordeaux. Les deux cortèges s'élancent simultanément sous le soleil. Sous un ciel plus gris, les deux marches se mélangent aussi à Nantes. Un journaliste sur place estime qu'il y a entre 1 000 et 2 000 personnes dans les rues à 14h41.
Pendant ce temps à Paris, une grande partie des manifestants est bloquée en haut de l'avenue des Champs-Elysées, sur la place de l'Etoile. Dans un nuage de gaz lacrymogènes permanent, les forces de l’ordre essuient de nombreux jets de pavés tandis que des manifestants tentent d'avancer, des barrières de chantiers en guise de boucliers.
A 16 heures, Benjamin Griveaux promet "ni excuse, ni faiblesse". Le porte-parole du gouvernement déclare sur Twitter que "l’ultra violence et la haine de la France s’expriment de nouveau dans nos rues". Il affirme également son soutien aux "commerçants et aux Parisiens qui n'en peuvent plus".
Edouard Philippe et Christophe Castaner aux côtés des forces de l'ordre
Il est 17 heures, et la plus belle avenue du monde est méconnaissable. Des feux brûlent devant les boutiques Longchamp, Foot Looker et le restaurant Léon de Bruxelles. Plusieurs commerces, notamment d'habillement, sont pillés. Le Premier ministre Edouard Philippe et le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner font un état des lieux devant les caméras au niveau du Grand Palais, à l’entrée de l’avenue. "Je ressens une grande colère, car les actes qui sont été commis ne sont pas le fait de manifestants, ils sont le fait de casseurs, de pillards, d’incendiaires, de criminels", déclare le Premier ministre.
Edouard Philippe adresse "son plus grand soutien aux forces de l'ordre, aux sapeurs-pompiers, qui par leur travail ce matin ont permis d'éviter le pire"après l'incendie de la banque Tarneau.
David Michaux, secrétaire national CRS à l’Unsa Police, livre une autre analyse des événements. Il se dit "scandalisé" par la répartition des forces de sécurité dans la capitale. "On a 12 compagnies de CRS qui ont été cantonnées et cloisonnées pour sanctuariser l'Elysée et on a laissé les débordements se faire", dénonce-t-il sur franceinfo.
C'est flagrant, à partir du moment où on n'anticipe pas un dispositif qui était annoncé à risques avec aucun contrôle en amont, avec des dispositifs qui auraient pu être maîtrisés.à franceinfo
Pendant ce temps, des manifestants sont revenus s'en prendre au Fouquet's dont le auvent est parti en fumée.
A Bordeaux, il est 17h30, la manifestation se termine par quelques accrochages en fin de cortège. Une agence bancaire a été saccagée et des heurts ont lieu entre manifestants et forces de l'ordre.
A 18h30, dans la capitale, les violences se calment enfin et les forces de l'ordre continuent de progresser en rangs serrés sur la place de l'Etoile pour chasser les derniers manifestants. La manifestation des "gilets jaunes" se solde par 60 blessés à Paris : 42 manifestants, 17 membres des forces de l'ordre et un pompier, selon la préfecture de police qui annonce un total de 200 personnes placées en garde à vue à Paris, dont 15 mineurs.
Tout au long de la journée, Emmanuel Macron a été la cible de critiques au sein de l'opposition qui dénonce "l'incompétence" de l'exécutif. Sur les réseaux sociaux et dans les rues, des "gilets jaunes" ont également raillé son week-end à la montagne à La Mongie (Hautes-Pyrénées) alors que la capitale s'embrasait. Peu après 19 heures, le chef de l'Etat annonce qu'il écourte son séjour et rentre à Paris le soir même. Dans la soirée, il promet des "décisions fortes" en réponse aux dégâts commis sur les Champs-Elysées. "Nous avons aujourd'hui des gens qui essayent par tous les moyens (...) d'abîmer la République pour casser, pour détruire au risque de tuer", affirme le chef de l'Etat dans la soirée depuis la cellule de crise du ministère de l'Intérieur. Pour lui, "tous ceux qui étaient là se sont rendus complices" des saccages commis dans la journée.
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