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"Ma ville est en train de changer" : aux européennes, le Rassemblement national s'est imposé sur les terres communistes de Tremblay-en-France

 

 

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Camille AdaoustMargaux DuguetFrance Télévisions

 

 

 

Franceinfo s’est rendu dans cette commune du nord de la Seine-Saint-Denis qui a placé Jordan Bardella en tête des élections européennes du 26 mai

 

 

 

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Les affiches pour les élections européennes sont collées devant la mairie de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), le 28 mai 2019. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)

 

 

 

"Il est grand temps que la gauche et la droite se rendent compte de la dérive de la France", lâche Yvan, à la sortie du Carrefour Market de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis). Ce retraité de 72 ans nous avait pourtant opposé une fin de non-recevoir. "Je ne vous dirai pas pour qui je vote", avait-il esquivé, s'éloignant avec son caddie de courses plein à ras bord. Et puis, on a compris. Dimanche 26 mai, jour des élections européennes, Yvan a, pour la première fois, glissé un bulletin Rassemblement national dans l’urne, lui qui "soutenait le vote PCF" jusqu’à présent. Deux jours plus tard, le retraité ne regrette rien. "Je connais des jeunes qui ont préféré arrêter de travailler pour toucher les aides. On a fait une génération de fainéants", maugrée-t-il, tandis que les mots "incivilité", "laxisme" et "immigration incontrôlée" fusent.

 

 

Yvan rejoint la cohorte des électeurs RN qui ont donné à Jordan Bardella la première place dimanche. La jeune tête de liste du parti de Marine Le Pen, ancien secrétaire départemental de Seine-Saint-Denis, a réalisé à Tremblay-en-France 21,94% des voix, loin devant La République en marche (15,05%) et surtout La France insoumise (12,83%). Un paradoxe dans cette ville traditionnellement d'extrême gauche, qui a voté à 35% pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle et élu Clémentine Autain aux législatives. Le maire, François Asensi, réélu sans interruption depuis 1991, a eu sa carte du PCF jusqu'en 2010 avant de devenir un sympathisant du Front de gauche. Pour autant, le vote en faveur de l'extrême droite n'est pas une nouveauté. Aux élections européennes de 2014, le parti de Marine Le Pen avait même fait mieux en décrochant 28,26% des voix dans cette ville qui compte 35 000 habitants.

 

 

 

"Ça ne m'étonne pas que le RN soit en tête"

A Tremblay-en-France, il n'est donc pas rare de rencontrer des électeurs de longue date du Rassemblement national. Eric, croisé à la sortie du Lidl du nord de la ville, votait déjà pour Jean-Marie Le Pen. "Le RN, c'est un fruit que l'on n'a pas goûté, il faudrait le goûter, glisse ce boulanger de 47 ans. Et puis, il faut changer entre la droite et la gauche." Lorsqu'on lui fait remarquer qu'Emmanuel Macron a justement construit son succès sur le "ni droite ni gauche", la réponse jaillit immédiatement : "Tout ce que fait Macron, c'est de nous prendre pour des vaches à lait."

 

 

Si cet électeur n'a jamais fait défaut au Rassemblement national, d'autres ont été tenté d'abandonner le vote bleu marine. "Il y a eu un passage à vide après la présidentielle avec la défaite et le débat raté. Il a fallu rebondir", reconnaît Alain Mondino, le délégué RN de la 11e circonscription de Seine-Saint-Denis, qui englobe Tremblay. Rémy, contrôleur technique, a ainsi préféré voter blanc au second tour de la présidentielle, déçu par la prestation de la candidate frontiste lors du débat de l'entre-deux-tours. Convaincu par Jordan Bardella, il est revenu voter RN aux européennes. Pour une raison simple : "Il y a un ras-le-bol de tout. Ça ne m'étonne pas que le RN soit en tête."

 

 

Il n'y a rien qui marche actuellement, alors pourquoi ne pas aller voter pour les extrêmes ? Rémy à franceinfo

 

 

Ce vote RN est encore très contestataire à Tremblay. "Le Rassemblement national capitalise sur ce vote de colère et on n'arrive pas à sortir de ça", soupire Pierre Laporte, le responsable de La France insoumise dans la ville. "A part deux ou trois identitaires à Tremblay, les gens ont surtout peur du lendemain et cèdent à la thèse du 'grand remplacement'", analyse le maire François Asensi. Pourtant, la ville n'est pas la plus à plaindre en Seine-Saint-Denis. Le taux de chômage s'établit à 11,6% (contre 12,7% pour le département), le revenu mensuel médian y est de 1 630 euros (contre 1 289 euros dans le département) et la commune bénéficie surtout des retombées économiques de l'aéroport Paris-Charles de Gaulle.

 

 

 

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Le maire de Tremblay-en-France, François Asensi, dans ses bureaux le 28 mai 2019. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)

 

 

"Il y a eu un changement de population"

L'explication de l'ancrage du vote RN est plutôt à chercher du côté de l'évolution démographique de la ville et des mutations des différents quartiers. C'est dans les zones pavillonnaires, situées en périphérie du centre-ville, que se concentrent les bulletins pour Jordan Bardella. Depuis quelques années, les mouvements de population ont accéléré la poussée du RN dans ces zones. "Il y a 10 ou 15 ans, certaines familles du centre-ville [issues de l'immigration] ont eu accès au crédit et ont pu s'acheter un pavillon. Et ça ne plaît peut-être pas aux anciens habitants", tente de comprendre dans le local de son association Samir Souadji, à la tête d'Apart qui agit pour l'insertion professionnelle et l'accompagnement social de 500 jeunes dans le département.

 

 

 

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La ville de Tremblay-en-France, située en Seine-Saint-Denis. (NOEMIE CARON / FRANCEINFO / GOOGLE MAPS)

 

 

 

Le maire ne dit pas autre chose. "Il y a eu un changement de population. Des résidents des tours du Grand ensemble ont acheté des pavillons et depuis, il y a des non-dits", explique François Asensi, du haut de sa mairie construite dans les années 1970. Contrairement à d'autres villes du département, à Tremblay-en-France, les logements sociaux sont concentrés au cœur de la commune et les résidences individuelles construites en périphérie.

 

 

La cohabitation n'est pas toujours facile, cela se manifeste par des silences et dans les urnes. François Asensi à franceinfo

 

 

La section locale du Rassemblement national, qui compte pourtant moins d'une dizaine d'adhérents, n'a rencontré aucune difficulté sur le terrain.

 

 

On a été agréablement surpris de l'accueil des gens, ils nous félicitaient plus que lors des autres campagnes.Didier Boulain délégué adjoint du RN de la 11e circonscription de Seine-Saint-Denis

 

 

Cette enracinement du vote RN terrorise Anne. "Les résultats de dimanche m'ont fait très mal, c'est un parti qui me dérange", soupire cette professeure des écoles de 50 ans, qui vote socialiste. Mais elle n'est pas surprise par le vote de ses voisins. "Je suis dans la zone pavillonnaire, on a eu des voitures brûlées et mon mari a été agressé il y a un mois et demi, raconte-t-elle. Et ça, ça pousse les gens à voter RN."

 

 

 

"On a rendu service au Rassemblement national"

L'arrivée en tête du Rassemblement national à Tremblay-en-France s'explique aussi par un très fort taux d'abstention. Dans la ville, 64,83% des électeurs ne sont pas allés voter dimanche, un taux bien plus élevé que la moyenne nationale (49,88%). "L'abstention a plus touché certains quartiers", vient préciser le premier édile. Ceux du centre par exemple. "L'électorat habituel de La France insoumise, qui vit plutôt dans les quartiers populaires, ne s'est pas déplacé", commente Pierre Laporte. Dans le bureau de vote de l'école Rosenberg, au centre d'un groupe d'immeubles, seuls 20,4% des inscrits ont glissé un bulletin dans l'urne. "On a vu un désintéressement autour de ces européennes. C'est trop loin, ils ne se sentent pas concernés, estime Samir Souadji. Ces élections sont loin des problématiques des gens au quotidien."

 

 

 

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Samir Souadji, directeur de l'association Apart, à Tremblay-en-France le 28 mai 2019. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)

 

 

 

Nejma est assistante de direction dans l'association Apart. Habitante de Tremblay-en-France "depuis toujours", la jeune femme de 23 ans est allée voter lors des élections présidentielle et législatives. Cette fois-ci, elle est restée chez elle, "comme beaucoup de gens de [son] entourage". "Le seul lien qu'on a eu avec ces élections, c'est les flyers dans nos boîtes aux lettres et l'affichage. Je n'ai pas compris l'importance qu'elles avaient", justifie-t-elle. Après avoir vu les résultats, elle "regrette" son choix.

 

 

Ma ville est en train de changer, elle est divisée, ça m'inquiète. Nejma à franceinfo

 

 

C'est ce que montrent en effet les résultats dans les différents bureaux de vote. Si dans les quartiers pavillonnaires, comme celui du Vert Galant, la liste de Jordan Bardella signe son plus haut score (27,08%) et écrase La France insoumise (11,26%), la tendance s'inverse dans le quartier du Grand ensemble. Au bureau de vote de l'école de Rosenberg, quelque 27,78% des habitants y ont voté pour Manon Aubry, contre 6,79% pour le Rassemblement national. Les affiches du parti de Marine Le Pen y sont déchirées. Mais cela ne suffit pas à replacer en tête l'extrême gauche à Tremblay-en-France.

 

 

 

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A Tremblay-en-France, la ville est divisée entre les zones pavillonnaires et les quartiers composés d'immeubles. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)

 

 

 

Forte abstention, montée du Rassemblement national… Face à ces constats, élus, habitants et responsables associatifs l'affirment : les élections européennes serviront d'exemple. A suivre ou non. "On ne s'est pas mobilisé. C'est un faux pas, on a raté quelque chose et on a rendu service au RN", regrette Samir Souadji, qui organise habituellement des rencontres entre les politiques et les jeunes de Tremblay. Pour les municipales de 2020, il travaille déjà à augmenter leur taux de participation. "On va se bouger. Les jeunes, il faut aller les piquer !", dit-il. Nejma, elle, est déjà convaincue : "Pour les municipales, on ira voter, ça c'est sûr."

 

 

 

"Aux municipales, je voterai FN"

Pour quelle liste ? Des incertitudes planent encore. Car le maire, âgé de 73 ans, apprécié des habitants et présent depuis 40 ans dans la vie locale, n'est pas sûr de se représenter – il devrait annoncer sa décision fin septembre.

 

 

Le Rassemblement national s'est installé durablement dans le paysage. Pour les municipales, il se peut qu'il y ait une liste RN. François Asensi à franceinfo

 

 

S'il voit ces résultats aux européennes comme "un tremplin" pour le parti en Seine-Saint-Denis, Alain Mondino n'est pourtant pas sûr de présenter une liste en 2020. "A Tremblay, on n'aura pas de liste RN, mais on travaille à une alliance, un bulletin Les Républicains-Rassemblement national", avance-t-il.

 

 

 

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Alain Mondino et Didier Boulain, membre du Rassemblement national, à Tremblay-en-France le 28 mai 2019. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)

 

 

 

Cette éventuelle alliance RN-LR compte déjà potentiellement deux votes. Louis et Louisa, 52 ans, habitants des quartiers pavillonnaires depuis 20 ans, sont en pleine réflexion. "J'ai changé de vote. Avant, on votait plutôt à gauche. Aux européennes, j'ai voté blanc. Aux municipales, je voterai FN", indique Louis, salarié du bâtiment, qui utilise encore l'ancien nom du parti. Le couple n'est pas forcément attaché aux idées du Rassemblement national – "j'aime beaucoup mon maire", affirme même Louisa, employée de la mairie – mais la transformation de la ville ne lui plaît pas. Et d'espérer : "Ça peut faire du bien, un peu de changement."

 



31/05/2019
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