Franceinfo - le lundi 5 mars 2018
RECIT. L'affaire Seznec : près d'un siècle plus tard, un fait divers qui déchaîne encore les passions
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L'engouement autour de cette affaire de meurtre n'a jamais faibli, alimenté par la persévérance de la famille du condamné et les recherches de passionnés en quête de la vérité. Mais l'os découvert récemment à Morlaix ne permet toujours pas de lever le mystère
Guillaume Seznec, photographié par les services de l'identité judiciaire, en juillet 1923. (AFP)
La solution de l'énigme aurait pu se trouver sous leurs pieds. Le temps d'un week-end, une quinzaine de "bénévoles" armés de pelles et de brouettes a bien cru découvrir ce qu'aucune enquête policière ou judiciaire n'a réussi à mettre au jour en près d'un siècle : le corps de Pierre Quéméneur, un notable du Finistère disparu en mai 1923 sans laisser aucune trace. Pour la justice de l'époque, aucun doute : le coupable s'appelle Guillaume Seznec, un petit entrepreneur avec qui Quéméneur faisait affaire. Immédiatement accusé de meurtre et de faux en écriture privée, Seznec fut condamné en 1924 aux travaux forcés à perpétuité. Sans preuve, ni aveux, ni cadavre.
Alors ce samedi 24 février, lorsqu'une pipe et un morceau d'os sont retrouvés dans un cellier au fond du jardin de l'ancienne maison des Seznec à Morlaix (Finistère), ces enquêteurs en herbe se prennent à rêver : et s'ils étaient en passe de résoudre l'un des plus grands mystères de l'histoire judiciaire française ? "C'est quand même extraordinaire. Depuis le temps que je m'intéresse à cette affaire, c'est la première fois que je viens voir la maison, et je trouve un bout d'os !" s'enthousiasmait Laurent Maillot, l'un des passionnés qui a participé aux fouilles, avant d'apprendre que les précieux ossements provenaient sans doute... d'un bovin.
Une nouvelle fausse piste dans cette affaire décidément insoluble ? En tout cas, les fouilles n'ont pas permis d'en savoir plus sur ce qu'il s'est passé le 25 mai 1923. Ce jour-là, il est établi que Guillaume Seznec est parti de Rennes (Ille-et-Vilaine) en voiture, avec à ses côtés son ami et conseiller général du Finistère Pierre Quéméneur. Direction Paris, où les deux hommes sont censés négocier la vente de voitures américaines. Sur la route, la Cadillac de Guillaume Seznec tombe plusieurs fois en panne. Selon ses dires, il dépose son acolyte dans une gare des Yvelines afin que celui-ci rejoigne Paris en train. De son côté, au volant de sa voiture, il rebrousse chemin et rentre à Morlaix.
Un engouement qui a traversé les époques
Quéméneur, lui, s'est volatilisé. Il y a bien ce télégramme, envoyé du Havre, dans lequel il indique à sa famille que "tout va pour le mieux" et qu'il rentrera "dans quelques jours". Mais il s'agit d'un faux. L'enquête accuse rapidement Seznec, qui s'illustre par ses dépositions contradictoires. La valise de Quéméneur, retrouvée au Havre tachée de sang, contient une promesse de vente dans laquelle il s'engage à céder à Guillaume Seznec sa propriété de Plourivo (Côtes-d'Armor), à un coût très faible. Mais là encore, l'enquête établit que le document est un faux, rédigé grâce à une machine à écrire appartenant à Seznec.
Dès le début, la presse s'intéresse de près à cette mystérieuse disparition. Une fois le principal suspect condamné, le fait divers aurait pu retomber dans l'oubli, comme d'innombrables autres affaires criminelles. Mais le feuilleton n'a jamais cessé. Et près de cent ans plus tard, il passionne encore.
Si l'engouement pour cette histoire a traversé les générations, c'est d'abord parce que sa famille n'a jamais abandonné le combat pour faire reconnaître l'innocence de Guillaume Seznec. Les premières années, c'est sa femme, Marie-Jeanne, qui se démène pour pointer les failles de l'enquête, bâclée. A l'époque, une condamnation définitive ne pouvait être révisée que par la survenance d'un "fait nouveau de nature à établir l'innocence" du condamné. Alors jusqu'à sa mort en 1931, Marie-Jeanne ne cesse de traquer le moindre indice qui pourrait blanchir son mari. En vain : ses demandes de révision sont toutes rejetées.
Le combat d'une famille
La fille cadette du couple, Jeanne, reprend le flambeau. Guillaume Seznec, qui a pu bénéficier d'une remise de peine, est libéré en 1947, après vingt années de bagne en Guyane. Libre mais toujours coupable aux yeux de la justice. Il meurt sept ans plus tard, renversé par une camionnette. Plusieurs requêtes en révision sont encore déposées – il y en a quatorze au total – mais toutes connaissent le même sort. Rejetées.
Les années passent et Jeanne meurt en 1995. C'est désormais son fils, Denis Le Her-Seznec, qui mène la bataille, à grands renforts d'apparitions médiatiques. Mais en 1996, une énième requête est à son tour rejetée par la Cour de cassation. Dans la salle des pas perdus, les yeux rougis par la déception, le petit-fils du bagnard explose. "En France, on ne revient jamais sur la chose jugée, c'est clair !" lance-t-il devant les caméras de télévision, soutenu par quelques dizaines de membres de France Justice, l'association qu'il a créée.
La fin du combat n'a pas encore sonné pour Denis Seznec. A l'époque, la loi n'autorise pas le petit-fils d'un condamné à déposer des requêtes en révision. Seul le garde des Sceaux peut le faire à sa place. Alors lorsqu'en 2000 l'ancienne maire de Morlaix, Marylise Lebranchu, est nommée place Vendôme, l'espoir renaît dans le camp Seznec. La ministre dépose une requête.
"Ce n'était pas mon rôle de dire si Seznec était coupable ou innocent. D'ailleurs, je n'en sais rien. Mon rôle, c'était de dire qu'il n'y avait pas eu de procès équitable". à franceinfo
Mais en 2006, c'est la douche froide : contre l'avis de l'avocat général, la Cour de cassation refuse à nouveau de réhabiliter Seznec. Les drapeaux bretons et le biniou venus soutenir Denis Seznec jusque dans la cour du palais de justice de Paris n'y feront rien.
Une stratégie inefficace ?
Cette fois-ci, la partie est bel et bien terminée. Et si le petit-fils l'a perdue, c'est peut-être à cause d'une stratégie jusqu'au-boutiste. C'est en tout cas ce que pense l'avocat Denis Langlois, qui a défendu la famille jusqu'en 1990 avant d'être remercié.
"Je lui avais dit qu'il fallait changer de stratégie, que l'innocence totale ne serait jamais reconnue, mais qu'on pouvait s'appuyer sur le doute et obtenir l'annulation de la condamnation pour meurtre. En ce qui concerne la condamnation pour faux en écriture, c'était difficile car les faux étaient établis". à franceinfo
Depuis des années, Denis Seznec s'accroche à l'hypothèse selon laquelle Quémeneur aurait été tué dans sa propriété de Plourivo en raison de son implication supposée dans un trafic de Cadillac vers l'URSS, et que Guillaume Seznec aurait été victime d'une machination policière visant à lui faire porter le chapeau. Mais cette théorie ne convainc guère les nombreux passionnés qui ont mené leur propre enquête et contribué à faire avancer le dossier en dehors des prétoires. Elle a notamment été mise à mal par Bertrand Vilain, brocanteur passionné par l'affaire, dans son livre Affaire Seznec : nouvelles révélations (Coetquen éditions), publié en 2011 et fruit de plusieurs années de recherches.
"J'ai démontré dans mon bouquin que cette histoire de trafic de Cadillac vers la Russie soviétique, c'était du bidon". à franceinfo
L'organisateur des fouilles de Morlaix ne se contente pas d'invalider la version défendue par Denis Seznec dans son propre ouvrage Nous, les Seznec (éd. Robert Laffont), paru en 1992 et plusieurs fois réédité. Il se montre très sévère avec les méthodes approximatives du petit-fils : "Son livre est truffé d'erreurs factuelles, il y en a à chaque page. Il part d'une hypothèse, dans l'édition suivante ça se transforme en vérité absolue, et puis ensuite ça devient une religion."
Des passionnés en quête de "vérité"
Quand Denis Seznec se bat coûte que coûte pour laver l'honneur de son grand-père, Bertrand Vilain n'est animé que d'un seul but : "la recherche de la vérité". Passionné par les archives, le brocanteur dit avoir collectionné "200 à 300 documents" datant des années 1920 qui concernent l'affaire Seznec. "Un jour, j'en ferai certainement donation aux archives départementales du Finistère", promet-il.
Les fouilles menées par Bertrand Vilain dans la propriété de Morlaix n'ont pas été menées au hasard. Depuis quelques années, Denis Langlois suggère que le corps de Quéméneur se trouve là, dans ce jardin. Langlois se base sur la foi d'un "secret de famille", un témoignage datant de 1978 dont il n'a révélé l'existence qu'en 2015, dans son livre Pour en finir avec l'affaire Seznec (éd. La Différence). Ce témoignage, c'est celui d'un fils de Guillaume Seznec, surnommé "Petit Guillaume" car il porte le même prénom que son père.
Dans un enregistrement réalisé à son insu par un neveu, "Petit Guillaume" donne sa version du meurtre. Il dit se souvenir d'avoir entendu sa mère, Marie-Jeanne, crier dans la maison familiale, "un dimanche ensoleillé". Intrigué, le garçon de 11 ans, qui se trouvait dans le jardin, se serait approché d'une fenêtre et aurait vu le corps de Quéméneur recroquevillé sur le sol de la salle à manger. Sa mère l'aurait tué d'un coup de chandelier à la tête pour se défendre d'une agression sexuelle. Toujours selon ce témoignage, Guillaume Seznec aurait alors entrepris de couvrir le meurtre commis par sa femme et dissimulé le corps de Quémeneur en l'enterrant dans le jardin.
Si le squelette de Quéméneur avait pu être retrouvé dans ce jardin, la thèse en aurait été incontestablement renforcée. Et aurait sans doute permis de déboucher sur une révision du procès de Guillaume Seznec, quatre-vingt-quinze ans après les faits. Mais sans corps, cette version des faits prend un sérieux coup dans l'aile. D'autant que l'enregistrement a disparu en même temps que le neveu confident, Bernard Le Her, qui s'est suicidé en 1996. Seule une retranscription manuscrite appartenant à Denis Langlois subsiste.
Bertrand Vilain n'est tombé dans l'affaire Seznec que tardivement, en 2005, "passionné par le livre de Bernez Rouz". L'ouvrage de cet ancien journaliste de France 3 Bretagne, L'affaire Quéméneur-Seznec, enquête sur un mystère (éd. Apogée), fait toujours figure de référence parmi les très nombreuses publications parues sur l'affaire en près d'un siècle. Bernez Rouz a commencé à s'intéresser à l'affaire un peu par hasard, au début des années 2000, lorsqu'une connaissance lui a remis un dossier inédit de sept pages manuscrites que personne n'avait jamais transmis à la justice. Il s'agissait de l'enquête familiale réalisée par les proches de Quéméneur avant qu'ils ne déposent plainte. Le journaliste a par la suite réussi à avoir accès au dossier judiciaire. "A chaque fois que je trouvais quelque chose d'intéressant dans le dossier, je m'amusais à aller voir ce que Denis Langlois et Denis Seznec en disaient dans leurs livres respectifs", raconte-t-il.
"Chacun pense que son hypothèse est la meilleure"
"Je me suis rendu compte que dans son livre, Denis Seznec coupait la moitié de certaines citations et qu'il ne gardait que ce qui allait dans le sens de son grand-père", poursuit Bernez Rouz. "J'ai trouvé plein d'éléments défavorables à Seznec. Mais, contrebalance-t-il aussitôt, il m'est apparu que les policiers avaient l'intuition depuis le départ que Seznec avait tué Quéméneur vers Dreux ou Houdan. L'enquête s'est focalisée là-dessus. Et ils n'ont pas étudié d'autres hypothèses."
Il n'y a, par exemple, pas eu d'enquête de proximité sérieuse à Morlaix, au domicile de Seznec. L'hypothèse que Seznec ait tenté de brûler le corps ou l'ait enterré n'a donc jamais été vérifiée.à franceinfo
"Ces pistes délaissées ont intéressé tout un tas de gens, qui sont allés faire des enquêtes dans leur coin", raconte-t-il. Comme à Lormaye, un village d'Eure-et-Loir où Quéméneur aurait pu être enlevé et tué par un marchand de bestiaux, selon un journaliste de l'époque. A partir de 1992, une habitante de la région, ancienne journaliste à L'Express, s'est ainsi focalisée sur "la piste de Lormaye", alimentant abondamment un blog. Une piste abandonnée définitivement en 2013, "parce qu'elle s'est avérée fausse", reconnaît Liliane Langellier.
La quête de la vérité n'est pas sans froisser quelques ego. "Chacun se persuade que son hypothèse est la meilleure, observe Bernez Rouz. En plus, ces hypothèses se contredisent les unes les autres. Les gens qui s'en occupent se vouent des haines terribles, parce que l'hypothèse d'à côté tue leur hypothèse !"
Un mystère encore bien enfoui
Bernez Rouz a étudié ces histoires alternatives une par une. Dans son livre paru en 2005, il a retenu "une dizaine d'hypothèses sérieuses" qui pourraient expliquer la disparition de Quéméneur. Trois font de Seznec l'auteur ou un complice du crime, les sept autres l'innocentent. "L'hypothèse la plus probable, selon moi, est que Quéméneur ait été tué par des complices de Seznec impliqués dans les trafics de voiture, et que Seznec ait été chargé de se débarrasser du corps", confie-t-il.
Car loin de la figure de l'homme au-dessus de tout soupçon dépeinte par son petit-fils, Guillaume Seznec traînait une sale réputation. "Quand on commence à gratter dans sa vie, on tombe très vite sur du nauséabond. C'était un trafiquant, un type qui arnaquait tout le monde", raconte Bernez Rouz. "Un escroc, une fripouille, un menteur", renchérit Bertrand Vilain. "Tous les gens qui ont travaillé sérieusement sur l'affaire arrivent à la même conclusion sur ce personnage. Mais cela ne veut pas dire qu'il soit un assassin…"
Un personnage sulfureux, une enquête bâclée, un corps jamais retrouvé, une condamnation au bagne, des rumeurs de complot, une famille déchirée... Tous les ingrédients étaient réunis pour passionner les foules. Mais près de cent ans après les faits, un constat s'impose : personne n'a réussi à établir avec certitude le déroulement des faits. Régulièrement, Denis Seznec annonce vouloir engager une nouvelle procédure de révision, mais personne ne voit quel "fait nouveau" il pourrait invoquer devant la Cour de cassation. A moins que des ossements de Quéméneur ne soient prochainement retrouvés par le duo Vilain-Langlois, dont les fouilles privées ont repris samedi, l'affaire Seznec est bien partie pour demeurer à jamais un mystère.
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