Franceinfo - le lundi 9 décembre 2019 - mis à jour le 10.12.19
"Le mal est plus profond" : dans le cortège parisien, les manifestants ne protestaient pas que contre la réforme des retraites
Entre les Invalides et Denfert-Rochereau à Paris, les mots "planète", "services publics", "égalité hommes-femmes" étaient aussi écrits en très gros sur les pancartes
Des manifestants marchent à Perpignan (Pyrénées-Orientales) contre la réforme des retraites, le 10 décembre 2019. (JC MILHET / HANS LUCAS / AFP)
C'est une grosse peluche rose en forme de cœur, qu'on dirait sortie d'une fête foraine. Mustafa l'a trouvée dans un magasin tout près de chez lui. Et encore, il aurait "dû prendre la taille au-dessus" tellement "il y a des choses qui ne passent pas". Ce mardi 10 décembre, à l'occasion de la nouvelle manifestation parisienne contre la réforme des retraites, cet éboueur employé par la Mairie de Paris estime malgré tout avoir "fait soft" en écrivant au feutre noir : "Macron, je te déteste de tout mon cœur."
Comme beaucoup de manifestants croisés entre les Invalides et la place Denfert-Rochereau, Mustafa ne défile pas uniquement pour dire tout le mal qu’il pense de la réforme des retraites. "Les retraites, OK, c’est super important, commence par expliquer l'employé municipal, qui a profité d'un de ses deux jours de repos hebdomadaires pour venir. Mais il n'y a pas que ça. Je suis prêt à emmener n’importe quel responsable politique avec moi lors d'une tournée. Là, ils verraient qu’il y a de plus en plus de gens dans la galère. Quand je nettoie à la fin des marchés, ça me fait mal de voir tout cette misère. Faut que Macron arrête ses conneries, ça suffit !"
#GREVE Mustafa n'est pas seulement là contre la réforme des retraites. "C'est aussi pour dire à Macron qu'il arrête ses conneries, me dit cet éboueur à la Ville de Paris. Je le vois bien en sillonnant les rues, il y a de plus en plus de gens dans la galère. Ça suffit !" pic.twitter.com/m2V8e1UZxC
— Raphaël Godet (@Raphaelgodet) December 10, 2019
Grégory, lui, joue des coudes pour passer entre les manifestants collés les uns aux autres comme un Carambar entre les dents. Au-dessus de sa tête, flotte un drapeau de la CGT réclamant l'abrogation du projet de réforme des retraites. Pour autant, le cheminot qui travaille dans le secteur d'Austerlitz est très clair : "Même si c'est le mot que l’on a écrit partout en très gros sur nos banderoles, c’est évident que les retraites ne sont qu'un sous-problème de fond. On n’est pas là que pour notre petit nombril. Il faut voir plus loin car le mal est plus profond, la casse sociale a atteint un point de non-limite."
Demandez leur profession aux gens qui manifestent, vous allez être étonné. à franceinfo
Sur les trois kilomètres du parcours de la manifestation, on a, c'est vrai, croisé des sapeurs-pompiers, des infirmières, un carrossier, des profs, un chauffeur-livreur, un coiffeur, des agents d'entretien… "Il n'y a pas de petite lutte", avertit d'ailleurs un autocollant scotché sur un abribus. Et ça se voit : les personnels pénitentiaires d'Ile-de-France sont là car ils attendent "toujours un geste" de leur ministère. Martine, une institutrice de l'Essonne, espère que sa classe, menacée de fermeture, sera sauvée "avant [s]a retraite". Delphine, instit elle aussi, envisage carrément de changer de boulot, car elle n'en peut plus des conditions de travail. Une association féministe distribue des tracts qui traite d'égalité hommes-femmes. Béatrice parle "abeilles" et "dérèglement climatique" avec un conducteur de train, "parce qu'il n'y aura pas de retraites sans planète". Quant aux femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles, déjà cinq mois qu'elles sont en grève pour réclamer au groupe Accor la fin de la sous-traitance du nettoyage.
"On devrait être des millions"
Le cortège parisien, même s'il était moins garni que jeudi 5 décembre , semble au moins avoir fait le plein de jeunesse. Lycéens et étudiants sont présents en nombre pour dénoncer encore une fois la précarité qui les touche. "Certaines mauvaises langues vont dire que je n'ai rien à faire là parce que je ne travaille pas encore et que donc je ne suis pas légitime pour parler retraites, s'emporte Alix, en Master 1. Ceux-là, je voudrais qu'ils se cotisent pour me payer mes soins dentaires qui attendent depuis cinq mois."
#GREVE C'est vrai. En une heure, j'ai déjà croisé de mémoire : des pompiers, un carrossier, des profs, un chauffeur-livreur, un coiffeur, des agents d'entretien, des retraités... et beaucoup (beaucoup !) d'étudiants. pic.twitter.com/bJYV9zUXN6
— Raphaël Godet (@Raphaelgodet) December 10, 2019
Ses propos seront suivis d'applaudissements. Jean-Louis, retraité de l'Education nationale, écoute en roulant sa cigarette. "Si après avoir entendu ça, il y en a encore qui pensent que le monde ne part pas en 'quenouille', qu'ils m'appellent tout de suite ! En 2019, on en est réduits à se battre pour que l'eau redevienne un bien public, pour que l'air ne devienne pas un truc privé, pour que la Sécurité sociale reste une assurance universelle, et non pas une assurance privée...".
Dany, partie dès 9 heures de l'Oise pour être certaine d'arriver à temps dans la capitale, rebondit. "Je pourrais tranquillement être au chaud chez moi. Mais il y a tellement de choses à revoir, s'agace la septuagénaire à la retraite. Les services publics qui ferment les uns après les autres, la planète... Vous voulez encore d'autres exemples ?" Elle se retourne et lance à ses camarades de bitume : "Vous diriez qu'on est combien là ?" Jean-Claude et Michèle, deux camarades avec qui elle bat le bitume, n'en ont pas la moindre idée. "Ce qui est sûr, c'est qu'on devrait être des millions, reprend Dany. C'est ça que les gens ne comprennent pas. Et ça me rend triste."
On devrait être au début de quelque chose de plus grand, de plus massif. Prenons la réforme des retraites comme un prétexte pour changer de société. à franceinfo
Tambourin dans les mains, une dame vient se coller presque nez à nez avec l'un des policiers postés devant le célèbre restaurant La Rotonde, au coeur du boulevard du Montparnasse, où Emmanuel Macron a passé la soirée après le premier tour de la présidentielle en 2017. "Vous devriez être avec nous, messieurs. Venez, ce n'est pas encore trop tard ! Vous voulez que je vous aide à enlever votre casque ?" Dans les rangs des forces de l'ordre, personne n'a moufté.
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