Franceinfo - le samedi 18 novembre 2017
Cancers multiples, maladies rares, diabète chez les enfants... : que se passe-t-il dans le Golfe de Fos ?
Dans le Golfe de Fos, près de Marseille, le taux de cancer est deux fois plus élevé qu'ailleurs en France. "Samedi investigation" a mené l'enquête dans cette zone extrêmement industrialisée pour tenter de comprendre
"Samedi investigation" s'intéresse le 18 novembre à la santé des habitants de Fos-sur-Mer, de Port-Saint-Louis-du-Rhône ou encore de Port-de-Bouc dans le Golfe de Fos. Ce secteur extrêmement industrialisé fait partie du grand port maritime de Marseille. Le taux de cancer y est deux fois plus élevé qu'ailleurs en France et les cas de diabète et d'asthme se multiplient. Pourquoi les habitants de cette zone en particulier déclarent-ils autant de maladies ? franceinfo a enquêté.
Cancers multiples et maladies auto-immunes
Comment ne pas être frappé par cette famille où la mère a eu deux cancers et le père est mort d'une maladie cardiaque ? Comment ne pas écarquiller les yeux dans cette rue de Fos où l'on a dénombré jusqu'à neuf personnes souffrant de sclérose en plaques ? Comment ne pas être étonné quand Sylvie se définit elle-même comme "un nid à cancer". Cette femme de 54 ans a commencé à être malade dès l’âge de 38 ans, et ça ne s’est jamais arrêté depuis. "J’ai commencé par avoir une maladie cardio-vasculaires. J’ai enchaîné sur un cancer de l’ovaire. Ensuite, j’ai développé un diabète. S’en est suivi un cancer de la thyroïde et là j’ai un cancer du sein", énumère-t-elle.
J’ai commencé à être malade à 38 ans, aujourd’hui j’en ai 54
Sylvie, habitante de Fos-sur-Mer, atteinte de trois cancersà franceinfo
Et cette femme est loin d’être un cas isolé, dans les communes du Golfe de Fos-sur-Mer. Les médecins généralistes constatent en effet que leurs patients développent de multiples pathologies. Depuis que Vincent Besin est installé à Port-Saint-Louis avec son épouse, médecin elle-aussi, toutes les maladies rares se sont données rendez-vous dans leur salle d’attente, explique-t-il. "On s’est d’abord demandé pourquoi les gens étaient dans cet état-là. On a d’abord incriminé des postes de travail difficiles. Mais quand on s’adresse à la population d’enfants ou à la population des femmes qui ne travaillent pas, ça ne fonctionne pas du tout", confie le médecin.
On a été bouleversé par la situation sanitaire des enfants en matière de diabète de type 1, d’asthme et de maladies auto-immunes, et on s’est dit qu’il y avait quelque chose dans le milieu ambiant qui était responsable de ça.
Forte présomption de lien avec la pollution de l'air
Dans l'air que ces gens respirent, on trouve beaucoup de fumées, parce qu’il y a beaucoup d'usines. L'ouest de l'étang de Berre est l'une des plus grandes zones industrielles d'Europe. Près de 200 entreprises, représentant 40 000 emplois, y sont installées. Et on parle là d'industrie lourde : raffineries, dépôts pétroliers, métallurgie, sidérurgie. Donc forcément il y a les rejets qui vont avec : métaux lourds, dioxyde d'azote, particules ferreuses, etc.
Le lien entre ces substances et les maladies des habitants, a fait l’objet de nombreuses études dans le passé. En 2010, l'Institut de veille sanitaire relevait un excès d'hospitalisations pour des maladies cardiovasculaires et pour des leucémies aiguës. Mais l'étude qui a mis le feu aux poudres a été publiée début 2017. Elle s'appelle Fos Epseal. Financée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, elle révèle qu’à Fos et Port-Saint-Louis, les habitants ont deux fois plus de cancers, de diabète ou d'asthme qu'ailleurs en France. La chercheuse Yolaine Ferrier a co-réalisé cette vaste enquête. Elle explique que la pollution industrielle est probablement l'un des facteurs déclenchant de ces maladies : "L’étude ne fait pas un lien direct entre les maladies et la pollution industrielle. Par contre, elle établit une forte présomption de ce lien."
Des particules hors des radars de contrôle
Des mesures et des analyses de l'air sont pourtant réalisées dans la région du Golfe de Fos par Air Paca, organisme financé par l'Etat, les collectivités locales et les industriels. Mais le problème c'est que ces relevés ne détectent rien d’anormal la majeure partie du temps. Du coup, des scientifiques du coin et certains habitants aussi ont créé un institut éco citoyen en 2010. Parce qu'ils n'avaient pas confiance dans les données officielles, ils ont lancé leurs propres campagnes de mesures de la qualité de l'air. Et les résultats ont été stupéfiants, explique le chimiste Philippe Chamaret, qui dirige cet institut. "La première campagne de mesure de la composition de l’air a montré que l’air était composé à 80 % de particules ultrafines, et d’autre part que la composition chimique des polluants de l’air à Fos-Sur-Mer était extrêmement complexe", révèle le chimiste.
Ces particules ultra-fines dans l’air se révèlent particulièrement dangereuses pour la santé des habitants, car plus une particule est fine, plus elle pénètre à l'intérieur de notre organisme. Une particule de gros diamètre s'arrête au niveau du nez ou de la bouche. Une particule fine va jusqu’aux bronches. Une particule ultrafine descend, quant à elle, jusqu’aux poumons. Si Air Paca ne les mesurait pas, c’est parce que la réglementation européenne, qui fait foi en matière d'environnement, n'impose pas aux Etats de mesurer les particules ultrafines. Nous sommes donc allé voir le directeur d'Air Paca, Dominique Robin, pour lui demander s'il fallait changer la législation. Et il a fini par reconnaître qu'il fallait la faire évoluer.
On sait que le standard de 10 ou 2,5 microns, qui correspond à la taille des particules qui vont plus ou moins pénétrer dans le poumon, est un standard qui est un peu grossier encore.
Dominique Robin, directeur d'Air Pacaà franceinfo
"Vraiment, pour répondre à l’impact des plans d’action mais aussi mieux protéger la population, il faudrait passer à moins de un micron. Et donc ces particules fines ou très fines sont un enjeu", reconnaît-il.
Une industrie qui nourrit aussi la population locale
Voilà pourquoi, officiellement, tout va bien dans l'air du Golfe de Fos. Mais les habitants ont-ils conscience que la pollution de l'air est sous-estimée ? Difficile de le savoir. Ce qui est palpable en revanche, c’est la mansuétude de nombreux habitants du Golfe de Fos envers les industriels. Dans toutes les familles, il y a un parent plus ou moins proche qui travaille à l'usine, entraînant comme une forme de déni, selon Gérard Casanova, qui préside l'association de défense de l’environnement Au fil du Rhône. "Très clairement, il y a beaucoup d’emplois et d’emplois induits. Il y a tout un développement des cités qui s’est organisé autour de cet aménageur principal et on a du mal à imaginer un développement qui soit différent. Et donc, forcément on est un peu coincé", admet-il.
On a beaucoup de mal à imaginer qu’on puisse recevoir du mal de ceux qui nous ont donné à manger.
Gérard Casanova, président l'association Au fil du Rhôneà franceinfo
Le résultat c'est qu'aucun malade n'envisage de lancer une action en justice contre les industriels, contrairement à ce qu'on a vu avec le glyphosate ou l'amiante. Dans le Golfe de Fos, il y a une forme de résignation et de fatalisme, pour l'instant du moins.
Ce qui différencie le mode de vie et la vie quotidienne de ces habitants par rapport à la moyenne des habitants en France, c’est justement leur proximité, depuis plusieurs décennies, avec la zone industrielle
Yolaine Ferrier, chercheuse et co-auteur de l’étude Fos Epsealà franceinfo
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