Franceinfo - le samedi 28 septembre 2019
Les causes de l’alarmante disparition des oiseaux en France
Désorientés par le changement climatique, lentement empoisonnés par les néonicotinoïdes, un tiers des oiseaux nicheurs ont disparu des campagnes françaises
Le chardonneret élégant, le coucou, le milan royal, le pigeon ramier, la perdrix grise, l’alouette : la situation est alarmante. Non seulement ces oiseaux disparaissent, mais cette disparition s’est accélérée ces dernières années : "Depuis 1989, on a perdu en France à peu près un tiers des oiseaux des milieux agricoles, constate Frederic Jiguet, ornithologue et professeur au Centre d'écologie et des sciences de la conservation du Muséum d’histoire naturelle. Les alouettes, les tourterelles des bois, les perdrix, sont des espèces en déclin et dont on perd chaque année 1 % à 2 % des effectifs. On a perdu à peu près un quart des coucous en France, l’une des espèces en déclin marqué."
En tout, près de 275 espèces sont touchées, dont 32 % d’oiseaux nicheurs. Certaines, comme le moineau friquet, ont presque disparu dans toute l’Europe de l’Ouest. D’autres plus gros, comme les merles, les pies ou les corneilles, qui mangent tout y compris des oisillons, survivent mais se réfugient en ville. Le phénomène n’est pas qu’européen. En cinquante ans, près de trois milliards d’oiseaux ont aussi disparu en Amérique du Nord.
Comment sait-on qu’ils disparaissent ?
Des comptages sont effectués chaque printemps par des centaines d’ornithologues et d’amateurs. Ils écoutent et enregistrent les bruits des oiseaux à des points précis et identiques d’une année sur l’autre, et notent toutes leurs observations. En les compilant, ils arrivent au constat que partout en France, ces espèces déclinent. Quand une espèce perd 25 % de ses effectifs en dix ans, comme c’est le cas pour le chardonneret élégant par exemple, il est ajouté à la liste rouge des espèces menacées en France. Cette liste, éditée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ne cesse de s’étoffer.
Le changement climatique mis en cause
Les conséquences des activités humaines sur l'environnement sont, on le sait, une des principales raisons du déclin des espèces animales. Mais comment cela se traduit-il pour les oiseaux ?
Il y a d'abord, les effets du changement climatique. De nombreux oiseaux qui migrent au printemps et en automne sont perturbés par les effets du dérèglement climatique. Le coucou en fait partie : "La femelle a la particularité de ne pas élever son propre poussin et de pondre un œuf dans le nid d'une autre espèce, comme le rouge-gorge, explique Frederic Jiguet. Avec le changement climatique, les printemps sont de plus en plus précoces en Europe. Quand les coucous arrivent de migration, les rouges-gorges ont déjà pondu leurs œufs, il est donc trop tard pour que les femelles coucous puissent pondre dans un nid de rouges-gorges."
Les effets indirects des pesticides
Pour protéger les récoltes des insectes et animaux dits nuisibles, les agriculteurs utilisent depuis longtemps toutes sortes de pesticides, insecticides qui sont autant de poisons. En France, l’agriculture répand chaque année plus de 65 000 tonnes de pesticides pour traiter les céréales, la betterave ou encore les vignes. La plupart de ces produits ont des effets directs sur le déclin des oiseaux, qui se nourrissent de graines, d’insectes ou de petits rongeurs.
Parmi eux, on retrouve la bromadiolone, pesticide répandu depuis les années 70 pour lutter contre les campagnols, tue aussi par ricochet les rapaces, notamment les milans, victimes collatérales de ce raticide. Cet anticoagulant est indirectement ingéré par ces oiseaux, qui s’empoisonnent en se nourrissant de rongeurs. Il y a aussi les vermifuges sont utilisés sur les animaux (chevaux, vaches, moutons) pour éliminer les insectes parasites. Certaines espèces d’oiseaux comme la bergeronnette, le tarier, ou l’étourneau, se délectent de ces insectes, et sont à leur tour empoisonnés par ces produits vétérinaires.
Enfin, les néonicotinoïdes, insecticides les plus virulents, sont responsables du déclin des abeilles et de trois quarts des insectes. Commercialisés depuis les années 80, ils sont interdits en France depuis septembre 2018. En Allemagne, on estime qu’à cause d’eux, la biomasse des insectes a diminué de 80 %. Faute d’insectes, les oiseaux ne peuvent plus nourrir correctement leurs oisillons. Ce constat explique que les oiseaux des champs, directement en contact avec les pesticides, soient plus affectés que ceux des forêts.
Comment les pesticides agissent-ils sur les oiseaux ?
Qu’ils soient insecticides, désherbants, ou fongicides, les pesticides ont tous des effets sur la santé des oiseaux. "Ils vont agir sur plusieurs organes, notamment le foie et l’encéphale, détaille Norin Chaï, vétérinaire à la ménagerie du Jardin des plantes à Paris. Ils vont entraîner des lésions au niveau reproducteur, affiner et fragiliser la coquille des œufs. Les pesticides peuvent aussi entraîner des lésions nerveuses, causer des retards de croissance, une baisse de la fertilité, des pertes de repère dans l'espace, etc."
Les pesticides dérèglent également les hormones thyroïdiennes, indispensables au vol et à la migration des oiseaux, comme le coucou et l’hirondelle. "Les hormones thyroïdiennes sont essentielles pour la prise de poids et les changements des muscles, précise Barbara Demeinex, biologiste et endocrinologue, et autrice du livre Cocktail toxique : comment les perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau. Elles sont indispensables pour la navigation. À cause de l’interférence des pesticides, les oiseaux vont littéralement perdre le Nord."
Plus de 287 produits suspects ont été recensés. Des produits qui ne sont pas seulement cancérogènes mais aussi mutagènes et reprotoxiques, c’est-à-dire qu’ils affectent aussi les mécanismes de la reproduction.
Pourquoi on parle d’effets sublétaux
Les pesticides causent une mort lente chez les oiseaux. Chez la perdrix grise, le pigeon biset ou chez le ramier, les effets, dans un premier temps, ne sont pas visibles. "La majorité des pesticides ont des effets sublétaux, c'est-à-dire des effets insidieux, liés à des expositions plus longues où répétées à ces produits, analyse Olivier Cardoso, écotoxicologue à l’ONCFS, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Avec pour conséquence "des troubles neurologiques, des troubles de l'immunité, des perturbations endocriniennes, qui vont mettre en jeu la santé de l'animal, mais pas forcément de manière foudroyante, violente, et qui vont même avoir parfois des effets transgénérationnels et des effets sur la population globale de ces animaux, avec un affaiblissement général de ces populations."
Pesticides et mortalité des oiseaux : causalité démontrée
En février 2018, l’ONCFS a publié un rapport qui prouve pour la première fois que les oiseaux sont bien exposés aux pesticides, et en particulier l’imidaclopride. Cette molécule appartient à la famille des néonicotinoïdes utilisés dans les champs pendant plus de 20 ans.
Ce rapport précise que "sur 3 000 cas suspects d'oiseaux empoisonnés sur 20 ans, 239 carcasses ont été récupérées près de champs fraîchement semés dans les zones de culture céréalière intensive du Nord et du Centre de la France. Plus de cent cas ont été associés à une réelle exposition à l'usage agricole de la molécule insecticide imidaclopride. Dans les deux tiers des cas, les oiseaux avaient mangé des semences traitées. La mortalité par empoisonnement a donc été déclarée probable dans 70 % des cas."
Dans le sillage de ces conclusions, le Museum d’histoire naturelle compte saisir l’Office français de la biodiversité, afin de comparer la carte des achats de pesticides en France avec celle des observations d’oiseaux dans les départements, afin de voir quels produits chimiques peuvent être précisément incriminés dans la diminution des oiseaux.
Comment font les oiseaux pour s’empoisonner avec l’imidaclopride ?
L’imidaclopride est particulièrement facile à repérer et picorer car elle enrobe la semence d’une couleur rose.
Les graines ainsi traitées ne sont pas toutes enfouies lors du processus d’ensemencement. Entre 10 et 70 graines par mètre carré restent en surface, ce qui en fait nourriture abondante pour les oiseaux. Or quelques dizaines de ces graines suffisent à déclencher chez eux des effets neurologiques ayant des conséquences sur leur vigilance et leur motricité.
Pourquoi interdire ne signifie pas la fin des problèmes
Malgré sa récente interdiction, les effets de cet insecticide perdurent. "L’imidaclopride et les molécules de cette famille peuvent rester plusieurs années dans les sols où elles peuvent s'accumuler, affirme Stéphane Foucart, auteur de Et le monde devint silencieux - Comment l'agrochimie a détruit les insectes. On trouve dans le pollen et le nectar des fleurs sauvages, butinées par les papillons et les abeilles en marge des champs, des traces non négligeables et parfois même létales de produits."
Par ailleurs, on détecte encore, 50 ans après, du DDT, insecticide interdit en France depuis le début des années 70, dans le liquide amniotique des femmes enceintes.
Après les oiseaux, les hommes ?
"Quand des scientifiques vous alertent sur la dangerosité d'un produit, la moindre des choses, c'est de prendre son temps, de réfléchir et d'adapter la production en fonction de ce que l'on vient d'apprendre, estime l’écologiste Fabrice Nicolino, journaliste et auteur du livre Le crime est presque parfait. Or là, on fait exactement le contraire. Autrefois, les canaris permettaient d’alerter sur l’imminence d’un coup de grisou dans les mines. Eh bien c'est le même message que nous adressent les oiseaux quand ils disparaissent par centaines de milliers. Il faut sonner le tocsin, c'est évident."
Le risque à terme, selon les ornithologues, est de se retrouver avec un petit nombre d’espèces qui prendraient la place de toutes les autres, avec d’un côté certaines adaptées à la pollution et au changement climatique, et de l'autre des oiseaux d'élevages – poules et autres canards – qui seraient, elles destinées à la consommation. Ce serait donc la fin de la biodiversité telle qu’on l’a connue jusqu’à présent.
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