Franceinfo - le samedi 9 mai 2020
"Je redoute que ce soit trop anxiogène" : remettre (ou pas) son enfant à l'école, un dilemme insoluble pour les parents
Après huit semaines de confinement et d'enseignement à domicile, certains enfants, de la crèche au CM2, s'apprêtent à retourner en classe. Malgré un protocole sanitaire strict, de nombreux parents s'interrogent
A partir du mardi 12 mai, des crèches, des écoles maternelles et élémentaires vont rouvrir leurs portes. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)
"Les parents sont invités à prendre la température de leur enfant avant le départ à l'école", explique le protocole sanitaire du ministère de l'Education. A partir du 12 mai et à des rythmes différents, des crèches, des écoles maternelles et élémentaires vont rouvrir leurs portes. Et ce retour en classe après huit semaines de confinement se fera sous haute surveillance. Depuis quelques jours, maires, directeurs, enseignants, personnels et parents d'élèves passent leur temps à l'éplucher. Ce document de 54 pages détaille les règles à mettre en œuvre au sein des établissement scolaires en pleine épidémie de coronavirus.
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Après avoir été les premiers confinés le 16 mars, les enfants de maternelles et de primaires seront les premiers à retrouver les bancs de l'école. Si l'Elysée a prévenu que ce retour en classe se ferait sur la base du volontariat, la décision n'est pas facile à prendre pour les parents. D'autant qu'il n'y aura pas de place pour tout le monde –15 élèves par classe maximum. Seront prioritaires les enfants des personnels "indispensables à la continuité de la vie de la nation", comme les soignants, ainsi que les "décrocheurs" ou les enfants en "situation de handicap".
"Le virus m'obnubile"
Certains parents ont déjà tranché. Le Covid-19 et la maladie de Kawasaki ont convaincu Mathilde*, commerciale dans une société d'assurances, de ne pas envoyer à l'école ses deux filles qui sont en grande section de maternelle et en CM2 dans le Val-d'Oise. "Le virus m'obnubile", lâche-t-elle. Le risque de contamination, notamment chez sa cadette, est trop grand pour envisager sereinement un retour à l'école. "Il y a déjà eu des cas à l'école et maintenant on nous parle de la maladie de Kawasaki. Donc, oui, je suis inquiète", ajoute-t-elle.
Une ancienne maîtresse de ma grande fille ne va pas remettre ses enfants à l'école, elle m'a conseillé de faire de même pour ma plus jeune qui est en maternelle et est plus fragile.à franceinfo
Si le gouvernement a laissé le choix aux parents de remettre ou non leurs enfants à l'école, cette décision n'est pas simple à prendre. D'ailleurs Alice*, journaliste et mère de trois enfants, dont un en grande section et un en CE2, à Bruges (Gironde), ne comprend pas pourquoi les parents se retrouvent face à un tel choix.
Je trouve ça atroce, ça donne l'impression que le gouvernement n'est pas sûr que ce soit la bonne décision. Ni que ce ne soit pas dangereux. à franceinfo
Mandy est sur la même longueur d'ondes. Cette maman d'un garçon de 3 ans, habitante de Bellegarde (Loiret), a l'impression que l'Etat lui demande de choisir entre ses convictions et retourner à son travail au sein d'une crèche. "Soit je me mets en difficulté par rapport à mon employeur en gardant mon fils à la maison, soit je mets sa santé en danger en le remettant à l'école."
"Ma fille n'aura aucun contact avec les autres enfants"
Pourtant, le protocole sanitaire implique une hygiène stricte. Les enfants devront au minimum se laver huit fois les mains entre leur arrivée et la fin des cours. Tout objet échangé : ballon, jouet, crayon, livre devra être obligatoirement désinfecté, tout comme l'établissement trois fois dans la journée. Ce nettoyage quasi permanent fait hésiter Isabelle, auxiliaire de puériculture en crèche et maman de deux filles de 4 ans et 6 mois, près de Rennes (Ille-et-Vilaine). Le contact prolongé auprès de produits désinfectants "aussi forts et aussi puissants" l'interroge : "J'ai peur des perturbateurs endocriniens présents dans tous ces produits."
Un des camarades de ma fille, qui a continué d'aller à l'école depuis le début du confinement, à des crises d'urticaire géantes à force de côtoyer des produits sanitaires alors qu'il n'en avait pas avant.à franceinfo
Ces nouvelles règles d'hygiène vont accaparer du temps sur la journée des enfants, des personnels enseignants et des parents. "Tous les matins, après avoir attendu mon tour pour rentrer dans la crèche, je devrais à nouveau habiller intégralement ma fille de 2 ans avec une seconde tenue qui reste à la crèche, lui laver les mains, l'amener aux toilettes et lui fournir son repas avant de pouvoir repartir."
Charlène, 32 ans, est maman de deux filles, dont l'aînée de 5 ans doit retourner en grande section. "Ma fille n'aura accès ni aux jeux ni aux livres. Elle n'aura aucun contact avec les autres enfants." Si cette maman de Mayenne (Loire) ne remet pas en cause ce protocole sanitaire, elle estime que ces règles sont de la "maltraitance pour les enfants" et que le gouvernement aurait pu attendre septembre pour "une rentrée plus sereine". Elle n'est pas la seule à dénoncer ces nouvelles conditions d'accueil.
"L'ambiance est parfois électrique"
A la lecture du protocole, Albane a aussi pris peur. "Les conditions ne sont pas réunies pour accueillir les élèves dans de bonnes conditions, la trousse individuelle, les masques pour les adultes, le lavage des mains pour chaque enfant... Je redoute que ce soit trop anxiogène", estime cette infirmière, mère de trois enfants, actuellement en congé maternité. Elle aurait aimé remettre son cadet en grande section car il rentre en CP en septembre.
Sa maîtresse lui manque et pour l'enseignement, j'aurais aimé qu'il retrouve l'école. Mais pour son bien, je préfère éviter. Mon fils ne sait pas ce qui l'attend. à franceinfo
Huit semaines sans école, sans jeux dans la cour de récréation et sans voir les copains, c'est long pour les enfants et leurs parents confinés. "L'ambiance est parfois électrique dans l'appartement avec nos deux filles de 4 ans et 6 mois", concède Isabelle. Sa fille aînée réclame de revoir sa maîtresse et ses camarades. Mais cette maman a vite déchanté quand elle a appris que sa fille ne retournera à l'école qu'un jour par semaine, et qu'elle ne sera ni avec son institutrice ni ses amis dans la classe, et encore moins à proximité des autres enfants.
"Je pense qu'ils vont vite déchanter"
Dès le 12 mai, à l'école ou en crèche, les enfants devront vivre à une distance d'un mètre minimum les uns des autres. Qu'ils soient en classe, dans un couloir ou dans la cour. Les récréations, ces moments de détente, deviendront alors plus compliqués à gérer pour le personnel enseignant. "Nous serons en alerte permanente pour voir qui a bougé à moins d'un mètre, qui doit se laver les mains, qui a donné un jouet ou un crayon à son camarade pour pouvoir ensuite le désinfecter", raconte Laurence*, professeure des écoles dans les Yvelines. Depuis le début du confinement, elle accueille notamment des enfants de personnel soignant.
Le suivi des règles sanitaires est un stress permanent. Expliquer à un enfant de 5-6 ans qu'il doit rester assis trois heures de suite à la même place, c'est compliqué. à franceinfo
D'ailleurs pour Alice, si l'adaptation au protocole tourne au cauchemar, ses deux garçons resteront à la maison. "Ils en ont marre d'être confinés et veulent revoir leurs amis, mais je pense qu'ils vont vite déchanter", prédit-elle.
"Ce sera de la garderie"
Pour certains parents, la question ne se pose plus car ils doivent reprendre leur activité professionnelle, malgré les difficultés d'organisation. Mandy ne cache pas son stress à l'idée de devoir concilier le retour au travail et l'emploi du temps décousu de son fils. La mairie l'a récemment informée qu'il n'y aurait pas de cantine, sûrement pas de garderie et que la reprise de l'école serait très progressive.
Un véritable casse-tête pour les parents qui devront jongler entre leurs horaires de travail et les jours de classe de leurs enfants. Quand ce n'est pas avec des dates de reprise décalées comme pour Sophie, 31 ans. Cette maman célibataire de trois enfants fait partie du public prioritaire pour le retour en classe de ses enfants. Mais l'école de sa fille ne rouvrira que le 25 mai et elle doit reprendre son travail en crèche le 11 mai. Sa direction a accepté de repousser sa reprise jusqu'à cette date.
Mais, après cette date, est-ce que ma direction acceptera que je vienne travailler que deux jours par semaine pour pouvoir garder mes filles les deux autres jours ? Et est-ce que mon chômage partiel prendra la relève ? à franceinfo
"Stressée" à l'idée de ne pas savoir et de n'avoir aucune solution de garde, cette mère de famille s'interroge. Frédéric* a les mêmes soucis de garde pour sa fille qui n'est pas reprise en classe de CE1. Ce photographe indépendant, installé dans les Yvelines, doit reprendre son activité pour des raisons économiques. Sa fille est la seule de sa classe à postuler pour un retour. Tous les autres parents d'élèves ont trouvé une solution. Ce père craint qu'à partir du 1er juin, jour où sa compagne pourrait être amenée à retourner au bureau, il doive renoncer à certains contrats car il sera obligé de garder sa fille. "Si je dis non à une proposition de travail, un autre prendra ma place", redoute-t-il.
D'autres parents n'ont même pas eu à choisir : l'école restera fermée jusqu'à septembre. Comme en Martinique, où l'association des maires a dit non à la réouverture des écoles. "J'étais la seule parent à répondre oui au retour en classe de mon fils quand son école nous a posé la question", raconte Maryse*. "Mais il ne retournera pas en CE1 cette année", se désole cette orthoptiste de 43 ans. Son mari et elle travaillant, ce sont les aînés de la fratrie qui garderont leur petit frère.
A l'instar de Maryse, Pauline et Antoine* sont également dans une impasse. Ces Lyonnais, parents d'un garçon de 4 ans et d'une fille de 2 ans, ont eu la désagréable surprise d'apprendre par la mairie que l'école de leur fils gardera ses portes closes. Cette responsable de communication ne sait pas encore ce que va lui demander son employeur à partir du lundi, mais s'attend à les garder jusqu'à septembre. En cas de présence obligatoire au bureau, elle envisage à contre-cœur la solution baby-sitter, même si ça l'agace de payer quelqu'un 10 euros de l'heure. Mardi 12 mai, nombre de parents auront tranché et leurs enfants retourneront en classe. Mais pour y faire quoi ? "On ne peut pas dire que l'on ouvre les écoles et que l'on fera de l'apprentissage, conclut Laurence, la professeure des écoles. Ce sera de la garderie."
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