la tribune du jeudi 8 janvier 2015
TERRORISME - Le massacre et l'horreur au journal Charlie Hebdo. Hier matin à Paris, a eu lieu l'attentat le plus meurtrier en France. Les policiers du Raid intervenaient tard hier soir à Reims, où auraient été localisés les trois terroristes qui ont attaqué en fin de matinée le journal satirique Charlie Hebdo à Paris, tuant douze personnes et faisant onze blessés dont quatre sont dans un état grave.
Il est 11 H 25, hier, quand des hommes encagoulés et habillés de noir, tenant des fusils d'assaut de type kalachnikov, sortent d'une C3 noire et se précipitent au 6 de la rue Nicolas-Appert, près du boulevard Richard Lenoir (XIe arrondissement de Paris). Le bâtiment abrite les archives de Charlie Hebdo. Puis ils se ruent vers le numéro 10, où siège la rédaction de l'hebdomadaire.
A l'entrée, ils forcent la dessinatrice Coco, qui vient d'arriver avec sa petite fille, à taper le code d'accès. Ils abattent un ouvrier de maintenance et montent directement au deuxième étage où se tient la conférence de rédaction et tirent pas moins d'une cinquantaine de balles. Coco et sa fille échappent à la tuerie en se réfugiant sous une table.
Massacre dans la salle de rédaction
C'est l'hécatombe. Le dessinateur CHARB, directeur de la publication, est tué en compagnie du policier qui était chargé de la protéger. Il était, depuis des années, l'objet de menaces islamistes. Les deux terroristes ont expressément demandé où était CHARB, selon les survivants. Le garde du corps du journaliste n'a pas eu le temps de riposter. Puis les dessinateurs CABU, WOLINSKI, TIGNOUS, HONORE, l'économiste Bernard MARIS sont assassinés et les tirs continuent.
On dénombrera dix morts dans la salle de rédaction : huit journalistes, le policier chargé de la sécurité de CHARB et un invité, Michel RENAUD, ex-directeur de la communication de la ville de Clermont-Ferrand. A leurs côtés, onze blessés, dont quatre dans un état grave. Les islamistes reprochent au journal satirique d'avoir publié en 2006 les caricatures de Mahomet éditées par un journal danois. L'ancien siège du journal avait été incendié en 2011.
Hier, dès le début de l'attaque, des salariés d'une autre société de l'immeuble occupé par Charlie Hebdo se réfugient sur le toit, d'où certains filment, après plusieurs minutes de détonations insoutenables, la sortie de deux hommes qu'on entend distinctement hurler Allah Akbar (Dieu est grand) sur une vidéo mise en ligne. Les terroristes tirent sur pas moins de trois patrouilles de policiers qui tentent de les intercepter. Lors de la troisième fusillade, boulevard Richard Lenoir, un policier du commissariat local est touché. L'un des terroristes sort de la voiture et l'achève d'une balle dans la tête. "On a vengé le prophète Mahomet ! On a tué Charlie Hebdo !", cirent les assaillants avant de repartir.
La poursuite s'engage dans les rues de Paris. Place du colonel Fabien, à l'est de la capitale, les fuyards heurtent une Volkswagen Touran et blessent la conductrice. Celle-ci a pu constater que trois membres du commando circulaient dans la C3 : l'un deux était donc resté dans la voiture pendant l'attaque. Rue de Meaux, près de la Villette, ils percutent un poteau et s'emparent par la force d'une Renault Clio. Les policiers perdent la trace des agresseurs au niveau de la porte de Pantin.
La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la sous-direction de l'anti-terrorisme (SAT) de la PJ parisienne ont été chargés de l'enquête sur l'attentat le plus meurtrier perpétré sur le sol français depuis la guerre d'Algérie, soit depuis plus de 50 ans.
Nous sommes tous CHARLIE
Il faut d'abord dire l'horreur. De cette douzaine de vies qui finissent dans des mares de sang. Elles s'ajoutent aux plus de 17 000 autres victimes du terrorisme, chaque année, dans le monde. Un guide de haute-montagne exécuté dans une montagne algérienne, des enfants massacrés dans une école du Pakistan, des femmes violées et martyrisées au Nigeria. Et maintenant des policiers et des dessinateurs exécutés à Paris. Toutes ces victimes et leurs proches méritent notre soutien. Aujourd'hui, notre combat va au-delà de la colère face à cette lâcheté criminelle. Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons défendre de toutes nos forces une liberté de la presse, protégée par nos lois, mais si fragile face à la violence.
En visant CHARLIE HEBDO, les terroristes se sont attaqués à un double symbole de la liberté d'expression. Celui d'un journal irrévérencieux envers toutes les formes de pouvoirs, politique ou moral. Et celui incarné par la famille des dessinateurs de presse. Dans toutes les rédactions, ils font souffler un air de liberté dans des pages de faits vérifiés, d'analyses méticuleuses, de commentaires fouillés. Un dessin qui fait rire, c'est un peu comme un courant d'air qui claque la fenêtre d'un appartement bien rangé.
Ce terrorisme qui cible la presse ou les écoles veut jeter un voile noir sur l'héritage du siècle des lumières. Il veut détruire le progrès humain et social. Rien que ça ! Les centaines de milliers de personnes qui se sont rassemblées, hier soir, un peu partout en France, montrent que nous avons encore la ressource pour lutter contre l'obscurantisme. Nous souffrons, nous avons peur aussi, mais nous ne cèderons pas. C'est une question de survie. Rien n'est perdu et des bonnes nouvelles il y en a. Oui, la démocratie n'a pas cessé de progresser dans le monde. Y compris en 2014. Nous sommes CHARLIE. Des milliards de CHARLIE. Xavier Antoyé
102 C'est le nombre minimum de rassemblements qui se sont déroulés hier, spontanément, dans toute la France, afin de rendre hommage aux victimes de l'attentat. A Paris, place de la République, non loin du siège de l'hebdomadaire satirique, au moins 35 000 personnes étaient rassemblées en début de soirée.
Je n'ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. C'est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux". Charb, dans un interview au Monde en septembre 2012
"Ca a duré cinq minutes"
La dessinatrice Coco, qui travaille pour Charlie Hebdo a témoigné sur les réseaux sociaux et auprès des éditeurs de presse des événements vécus de l'intérieur : "j'étais allée chercher ma fille à la garderie, en arrivant devant la porte de l'immeuble du journal deux hommes encagoulés et armés nous ont brutalement menacées. Ils voulaient entrer, monter. J'ai tapé le code. Les deux hommes ont tiré sur Wolinski, Cabu. Ca a duré cinq minutes. Je m'étais réfugiée sous un bureau. Ils parlaient parfaitement le français. Se revendiquaient d'Al-Qaïda. C'était horrible, un bain de sang".
"On a changé d'échelle"
Qui sont les trois hommes - chiffre donné par le ministre de l'Intérieur - à l'origine de l'attentat méticuleusement préparé contre Charlie Hebdo ?
Pour Alain Chouet, ancien officier de renseignement français, spécialiste du terrorisme et de l'islam, "ce sont de véritables professionnels du terrorisme qui ont semé la dévastation pour mieux propager la terreur". Clairement, indique-t-il, "on a changé d'échelle et on n'a plus affaire à des Merah où à des Nemmouche". Ainsi, ces hommes portaient "tous les codes des forces spéciales" (cagoules, tenues sombres, gilet pare-balles...) voire ceux qu'utilise le grand banditisme.
Alain Chouet penche plus vers une piste (intérieure) de gangsters aguerris qu'à "un retour de volontaires djihadistes de Syrie". Ils auraient agi de façon spectaculaire, en "touchant un symbole". Pour prouver leur allégeance à Daech ou à Al-Qaïda ? Pour obtenir un soutien financier ? Pour ce spécialiste, la piste de l'islamisme radical est "privilégiée", mais il faut se méfier de "possibles manipulations".
La menace était-elle perceptible ces derniers temps, comme l'affirme le gouvernement français ? "Elle n'était pas pire dernièrement qu'il y a quelques mois, estime Alain Chouet, on ne pensait pas être au stade du passage à l'acte, même si tout le monde sait que des armes lourdes - comme celles utilisées - circulent aujourd'hui partout en France..." Xavier Frère
Le sursaut d'un pays face à l'horreur
Les Français sont descendus par milliers dans les rues pour dénoncer un acte barbare. François Hollande a appelé au rassemblement pour montrer que la France ne fléchira pas dans ses valeurs et la défense de la liberté.
Les drapeaux en berne pendant trois jours et un deuil national aujourd'hui comme reflet de la douleur de la République. Des rassemblements de masse dans toute la France comme réponse à la barbarie. Une classe politique unanime dans sa condamnation d'un acte barbare et des médias solidaires de Charlie Hebdo. La Nation a répondu à l'attentat contre l'hebdomadaire satirique par un message d'unité et de solidarité.
Hollande en première ligne
En première ligne, François Hollande, le président de la République, a immédiatement réagi. Il s'est rendu sur les lieux du drame moins d'une heure après l'attentat, a piloté une réunion de crise à l'Elysée avant d'adresser un message de rassemblement aux Français : "Notre meilleure arme est l'unité face à cette épreuve. Rien ne peut nous diviser, rien ne doit nous séparer [...] La liberté sera toujours plus forte que la barbarie.
"Le chef de l'exécutif reçoit aujourd'hui les présidents des deux assemblées et les forces politiques représentées au Parlement à qui il fera aussi part de sa volonté de fermeté à l'égard des hommes qui ont commis un "lâche assassinat" et agressé la République "en son coeur". Son appel à l'unité nationale a été entendu par tous.
A droite comme à gauche et au centre, la classe politique a condamné, unanime, un acte barbare. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, a même accepté l'invitation de Manuel Valls d'associer tous les partis républicains à une manifestation commune, samedi à Paris. Les associations des élus locaux de France ont publié un communiqué commun pour exprimer leur indignation et leur soutien aux familles.
Seule musique différente : la présidente du FN Marine Le Pen, a aussi exprimé son "choc" mais jugé que l'attentat devait "libérer (la) parole face au fondamentalisme islamique" et demandé un débat sur le sujet.
Au-delà de la classe politique, l'ensemble de la société est sous le choc, a réagi, abasourdie par la violence de l'attaque contre la liberté d'expression. Responsables religieux, syndicaux, patronaux : tous les corps intermédiaires ont dénoncé l'acte terroriste et l'atteinte à la démocratie et à la République, faisant part de leur horreur devant la barbarie et de leur solidarité avec les victimes.
Plus de cent rassemblements populaires ont réuni en quelques heures des dizaines de milliers de citoyens sur les places et dans les rues. Tous portaient le même message : "Je suis Charlie". Philippe Val, ex-patron de Charlie Hebdo, a appelé tous les journaux à adopter aujourd'hui le nom de l'hebdomadaire satirique après l'attentat qui a décimé la rédaction du titre : "Si toute la France titrait Charlie Hebdo, ça montrerait qu'on n'est pas d'accord avec ça, que jamais on ne laissera le rire s'éteindre".
Anthropologue des religions
"Ce drame va fragiliser un tissu social déjà abîmé"
Quelles sont les conséquences de l'attentat contre Charlie Hebdo sur la société française ?
Notre tissu social, déjà abîmé, va en souffrir. Cet attentat va cristalliser les peurs, bloquer les initiatives et tendre d'atmosphère. Même si nous savons tous qu'il y a deux islams, un islam de paix et un islam de guerre, avec ces événements, c'est l'image d'un islam de guerre qui prend le dessus.
Cet attentat intervient en pleine polémique sur le livre de Michel Houellebecq et celui d'Eric Zemmour sur la place des musulmans en France
Il n'y a pas de lien entre ces livres et les attentats, qui s'inscrivent dans une plus longue temporalité. Ils étaient préparés à l'avance comme une réponse à l'affaire des caricatures parues dans Charlie. Ils s'inscrivent également dans un climat de tensions au Proche-Orient et de rivalités entre Al-Quaïda et Daech. La violence terroriste religieuse se structure et se perpétue, s'organise. La liberté d'expression quand elle met en cause l'islam, est devenue une cible.
Charlie Hebdo attaquait les autres religions ; leurs représentants, même les plus intégristes, n'ont pas réagi violemment. Pour les intégristes de l'islam, en revanche, il est impossible de mettre en cause leur religion. Il existe un divorce culturel entre la conception de la liberté ici, et celle des terroristes religieux. C'est de la nitroglycérine.
Les deux hommes parlaient français...
C'est d'autant plus grave que cela jette le discrédit sur tous les convertis et les musulmans du pays. La société se découvre des ennemis de l'intérieur. Avec des conséquences sur le plan de la sécurité intérieure - cela rend plus difficile la tâche des forces de l'ordre. Et sur la communauté musulmane. Cette dernière est effrayée, effondrée, car elle ne peut pas empêcher le passage à l'acte d'individus radicaux. Recueilli par Elodie Bécu
3 octobre 1980
Une bombe explose dans la synagogue de la rue Copernic à Paris à l'heure de la prière: 4 morts
29 mars 1982
Attentat contre le train Toulouse-Paris, le "Capitole", à bord duquel le maire de Paris, Jacques Chirac, aurait dû se trouver : 5 morts, 77 blessés. Le terroriste Carlos aurait mené l'attaque en représailles à l'arrestation de deux membres de son groupe.
9 août 1982
Un commando attaque le restaurant "Goldenberg", rue des Rosiers, en plein quartier juif de Paris. Bilan : 6 morts, 22 blessés. L'attaque n'a toujours pas été élucidée.
17 septembre 1986
Attentat à la bombe commis par un réseau pro-iranien devant le magasin Tati, rue de Rennes à Paris (VIe) : 7 morts, 55 blessés.
25 juillet 1995
Une bombe explose dans une rame du RER à la station Saint-Michel, en plein cœur de Paris : 8 morts, 119 blessés. Cet attentat est attribué aux extrémistes islamistes algériens.
11 mars 2012
Mohamed Merah, 23 ans, tue trois militaires par balles, puis trois enfant et un enseignant dans un collège juif de Toulouse, avant d'être tué par le Raid qui assiège son appartement.
Fusillade de Montrouge : deux gardés à vue, le tueur toujours en fuite
Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le
L'enquête sur l'attaque de Montrouge (Hauts-de-Seine, sud de Paris), qui s'est produite jeudi 8 janvier au matin et au cours de laquelle une policière municipale a été tuée et un agent de voirie gravement blessé, était toujours en cours jeudi soir.
D'après le parquet, qui a communiqué dans la soirée, le tueur est toujours en fuite. Plus tôt dans la journée, une source policière avait indiqué que deux personnes ont été placées « en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire des Hauts-de-Seine ». Il s'agit d'un « homme de 52 ans, interpellé [le] matin, et une deuxième personne ».
Lire notre reportage sur place : Fusillade au sud de Paris : « On s'est dit “ça y est, un nouvel attentat” »
L'AUTEUR PRÉSUMÉ TOUJOURS EN FUITE
Clarissa Jean-Philippe était en mission pour cette ville réputée paisible des Hauts-de-Seine. « Elle s'était rendue avec un de ses collègues sur un accident de voiture et gérait la circulation à quelques mètres du lieu de l'accrochage », rappelle David Merseray, vice-président de la CFTC police municipale. C'est là qu'elle a été visée. Arrivés très rapidement sur place, les secours n'ont pas réussi à la ranimer, en dépit de soins très intensifs. Son décès a été annoncé en milieu de matinée.
L'homme était au moment des faits porteur d'un gilet pare-balles, d'une arme de poing et d'un fusil-mitrailleur. Il s'est enfui à bord d'une Clio qui a été retrouvée à Arcueil (Val-de-Marne) et sa trace a été perdue « dans le quartier de La Défense ».
Jeudi après-midi, l'avocate de l'homme de 52 ans, Laurence Roche, a assuré que son client n'était « en aucune façon mêlé à cette affaire », assurant qu'il « se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment ».
Lire le portrait : Clarissa Jean-Philippe, 25 ans, la policière tuée dans les rues de Montrouge
PAS DE LIEN ÉTABLI, LE PARQUET ANTITERRORISTE SAISI
Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, a déclaré qu'il n'y avait pas de lien « à ce stade » entre cette fusillade et l'attentat de Charlie Hebdo dans lequel 12 personnes ont trouvé la mort mercredi.
« La succession de deux drames d'une extrême violence, dirigé à la fois contre la liberté de la presse et les forces de l'ordre, donc l'Etat républicain, doit susciter dans la dignité une condamnation générale et appelle de notre part une réaction d'une extrême fermeté », a souligné le ministre dans une déclaration solennelle depuis la place Beauvau.
« Au vu du contexte, de l'armement lourd de l'auteur des faits et du caractère délibéré d'un acte visant les forces de l'ordre », la section antiterroriste du parquet de Paris a annoncé qu'elle se saisissait de l'enquête.
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