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L'AIR DU TEMPS

la tribune du mardi 17 février 2015

 

 

TERRORISME – Le chaos libyen, un cauchemar pour l’Europe. Trois ans et demi après la mort de Kadhafi. Le massacre de 21 coptes (chrétiens égyptiens) par Daech sur une plage proche de Tripoli témoigne de la menace qui monte aux portes de l’Europe. Base arrière islamiste, lieu de transit de migrants, la Libye déstabilise aussi l’Afrique.

 

 

 

78 300 Le nombre de migrants qui ont traversé la Méditerranée par la voie dite centrale (Libye vers Sicile ou Malte), selon Frontex, l’organisme officiel de l’UE en charge des frontières extérieures en 2014, soit + 500 %. Plus de 3 000 auraient en outre péri en Méditerranée.

 

 

 

« Preuve est faite qu’il y a des centres d’entraînement et des actions spécifiques de Daech en Libye. La Libye, c’est très proche de nous, d’où la nécessité d’être très vigilant et d’être allié avec les pays de la coalition, comme l’est l’Egypte ». Jean-Yves le Drian, Ministre de la Défense français.

 

 

 

Des armes dans tout le Sahel

 

L’explosion de la Libye a tout d’abord essaimé des armes dans le Sahel et toute une partie de l’Afrique, où elles alimentent gangs de bandits et islamistes. Avec des conséquences géopolitiques mondiales, puisque ce surarmement a conduit la France à intervenir au Mali en janvier 2013, pour éviter que les islamistes prennent Bamako. Paris maintient, aujourd’hui encore, plus de 3 000 hommes au Sahel.

 

 

 

La route de l’émigration

 

Le chaos libyen a aussi ouvert le pays à un flot ininterrompu de migrants somaliens, irakiens, érythréens qui empruntent, jour après jours, les moyens de navigation les plus improbables pour échouer à Lampedusa, petit île italienne au milieu de la Méditerranée. Rien que dimanche, plus de 2 000 clandestins ont été secourus par la marine italienne. Ils seraient 600 000 attendant leur tour dans des conditions inhumaines en Libye.

 

 

 

Mafias, islamistes, chefs de guerre

 

Le président français Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron avaient obtenu le feu vert de l’Onu, au printemps 2011 pour protéger par « exclusion aérienne », la ville de Benghazi menacée par les chars du dictateur Kadhafi. Ils ont transformé une guerre civile libyenne en boîte de Pandore.

 

 

 

La protection de Benghazi s’est rapidement muée en chasse au dictateur. Après des mois de bombardements, c’est l’aviation française qui repérait finalement le convoi de Kadhafi, le 20 octobre 2011, permettant sa capture et sa mise à mort.

 

 

 

Le résultat a été le même que la chasse ouverte en Irak par les Anglo-Américains contre Saddam Hussein : un Etat a été détruit et sur ses ruines grandissent les mafias, les chefs de guerre et les islamistes. Le prétexte humanitaire est oublié depuis longtemps. A vrai dire, le nombre de morts a plus que décuplé depuis l’intervention franco-britannique relayée par l’Otan.

 

 

 

Et maintenant ?

 

Dimanche, l’ambassade italienne, l’une des toutes dernières à Tripoli, a fait ses cartons. Rome envisage d’envoyer 5 000 soldats en Libye. L’Egypte a commencé à mener des raids aériens contre les islamistes. On comprend qu’elle ait été pressée de moderniser son armée de l’air en achetant des Rafale : voilà des mois que la pression monte sur ses frontières (ainsi que sur celles de la Tunisie). Il est cependant bien tard pour renverser la vapeur… Jean Ping, ancien ministre des Affaires étrangères gabonais et auteur d’Eclipse sur l’Afrique – fallait-il tuer Kadhafi ?, cite un ancien patron des renseignements français : « La Libye est devenue l’Afghanistan de proximité des Européens ». Patrick Fluckiger

 

 

 

Questions à Patrick Haimazadeh

 

 

 

Ex-diplomate, spécialiste de la Libye, écrivain

 

 

 

« L’intervention militaire serait une erreur »

 

 

 

Comment en est-on arrivé à un tel chaos en Libye ?

 

Dès février 2011, j’ai dit que c’était une guerre civile et qu’elle ne s’arrêtait pas avec la mort de Kadhafi. Ce n’était pas la vision dominante à l’époque… Ce chaos résulte d’une succession de faits : l’absence d’Etat, une militarisation de la société fragmentée – c’est pour cette raison qu’on ne peut pas parler de problématique libyenne, ni trouver un consensus.

 

 

 

Après 42 ans de Kadhafi, les gens ne veulent plus d’un homme fort. Il n’y a plus d’identité nationale affirmée, on a un repli sur des identités primaires qui peuvent être locales ou religieuses. Aucune force n’est actuellement en mesure de s’imposer, il faut donc réarticuler des dialogues au niveau local, grâce à l’envoyé spécial de l’ONU. La sortie de crise passera par la réintégration de tous ceux qui, dans la société libyenne, rejettent le terrorisme de Daech. C’est possible si l’on ne stigmatise personne.

 

 

 

Quelle force représente aujourd’hui Daech en Libye ?

 

Le combat va être long contre Daech, parce que la Libye est un terrain idéal pour ce type de groupe, qui recrute désormais des Africains subsahariens, des adolescents. Mais en face d’eux, ils ont des milices aguerries comme Misrata.

 

 

 

Quelle peut-être la position des pays voisins ?

 

Après les bombardements, l’Egypte va sans doute demander un blanc-seing au conseil de Sécurité pour intervenir. Ce serait la pire chose. On rentrerait dans un conflit à la syrienne avec la fin d’une reconstruction étatique possible. La Tunisie, elle, a des inquiétudes au niveau du flot de réfugiés – comme l’Italie -, des armes qui circulent, la contrebande, mais il n’est pas dans la doctrine tunisienne d’intervenir à l’extérieur.

 

 

 

Si la population est contre Daech, elle est aussi opposée à toute intervention étrangère. Je pense que l’intervention militaire serait une erreur. Toutes les interventions passées l’ont prouvé. D’ailleurs, les insurgés qui ont voulu l’intervention internationale en 2011 n’en veulent plus aujourd’hui… Recueilli par Xavier Frère

 

 

 

« Quelle religion peut accepter ça ? »

 

Une violence inouïe, une scénarisation morbide. La vidéo et les photos du meurtre de 21 chrétiens coptes égyptiens par des combattants de l’EI en Libye ont choqué la planète entière. Ils avaient été enlevés en janvier, à Syrte.

 

 

 

Victimes de massacres commis durant les soubresauts de la Révolution égyptienne, la communauté copte est meurtrie, mais cette fois dans le pays limitrophe en proie au chaos.

 

 

 

« Quelle sauvagerie, il n’y a aucune religion qui peut accepter ça, nous expliquait hier, ému, Mgr Michel Chafik, recteur de la Mission copte catholique en France. Ce sont des gens qui ont quitté leur province de Mynia pour aller gagner leur croûte en Libye, pour aider leurs familles. Ils n’ont rien fait de mal, ils sont tués au nom de leur religion, égorgés parce qu’ils sont chrétiens ». Ils seraient quelques centaines de coptes parmi les 700 000 Egyptiens à travailler en Libye.

 

 

 

Leur gouvernement, dont l’armée a bombardé en représailles hier des positions de l’EI, leur intime de rentrer. Les chrétiens sont-ils menacés au quotidien ? « On a vécu la convivialité ensemble durant quatorze siècles, dans les joies et les peines, retrace Michel Chafik, mais aujourd’hui les chrétiens sont menacés dans tous les pays ou l’islam intégriste domine. Tout a changé depuis les années 70, l’arrivée des pétro-dollars avec l’esprit du wahhabisme, qui ne voulait plus accepter l’altérité ».

 

 

 

En Egypte, l’arrivée au pouvoir du général al-Sissi a plutôt rassuré la communauté copte. « On est protégé par la nouvelle Constitution, nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone ». Et Michel Chafik, pour marquer son attachement au pays des pharaons, de reprendre l’expression : « Ce n’est pas un pays dans lequel nous vivons, c’est un pays qui vit en nous ». Xavier Frère

 

 



17/02/2015
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