La tribune du mercredi 6 août 2014
SANTE - Imprimer du vivant, ce n'est plus de la science-fiction. Les nouvelles technologies d'impression de tissus ouvrent la voie à une médecine personnalisée. Si créer un organe de toutes pièces n'est pas encore d'actualité, l'impression 3D pourrait changer notre manière de nous soigner. Une équipe de chercheurs bordelais est en pointe dans ce domaine.
15 milliards de dollars, soit 11,2 milliards d'euros. C'est le montant du marché de l'ingénierie tissulaire dans le monde en 2014 et le chiffre devrait doubler d'ici 2018, selon MedMarket Diligence, LLC. Le nombre de personnes en attente d'une greffe d'organe est en constante augmentation.
"Nous vivons actuellement une crise de santé majeure en terme de pénurie de dons d'organes. Ces dix dernières années, le nombre de patients ayant besoin d'une greffe d'organes a doublé, alors que dans le même temps, le nombre de greffe a à peine progressé". Anthony Atala, chirurgien, Directeur du Wake Forest Institue for Regenerative Medecine.
Une révolution discrète est en cours dans les labos des chercheurs, où les scientifiques utilisent des imprimantes 3 D pour imprimer des tissus vivants.
Des médecins ont déjà utilisé les imprimantes 3 D pour créer des prothèses en titane ou autres matériaux afin de les implanter dans le corps humain. Cette fois, c'est une nouvelle étape qui se dessine : la "bio-impression". Il s'agit d'imprimer des tissus vivants. A la place de l'encre, ce sont des cellules que la machine assemble couche par couche jusqu'à créer de véritables tissus. Cinq techniques de "bio-impression" sont testées à travers le monde.
A Bordeaux, des chercheurs de l'Inserm (Institut national de la Santé et de la recherche médicale) travaillent depuis 2005 à la bio-impression par laser. Les principes : concevoir un modèle par imagerie médicale, le programmer par ordinateur puis le faire imprimer goutte par goutte par une imprimante 3D. Et enfin, laisser maturer pour que les cellules interagissent entre elles.
"L'impression du vivant comporte une "quatrième dimension" par rapport à l'impression 3D, et c'est la plus importante : il faut du temps pour laisser les cellules communiquer entre elles", explique Fabien Guillemot, responsable du programme de recherche à l'Inserm.
Son équipe a déjà imprimé des cellules viables d'épiderme, la partie superficielle de la peau. Les chercheurs travaillent à présent à mettre au point des tissus de la cornée de l'œil et de la peau pour la médecine régénérative.
La création de tissus vivants sert à l'industrie pharmaceutique comme matière première pour tester des médicaments. En reproduisant la physiologie de tissus humains sains ou de tissus pathologiques, on peut tester les molécules. D'ici trois à cinq ans, des tissus individualisés pourront être réalisés à partir de cellules du patient. Cela permettrait la mise en place d'une médecine personnalisée. En testant des molécules sur ces tissus spécifiques, on pourrait trouver le traitement le mieux adapté au malade.
Chirurgie esthétique : vers l'impression 3D de masse de nez, oreille et œil ?
Enfin, à moyen terme (sept à dix ans selon l'Inserm), ces tissus vivants créés à l'aide de l'ordinateur pourraient produire des tissus pour la médecine régénérative. Cela permettrait de pallier le manque de greffons naturels en créant des greffons artificiels de peau ou de cornée par exemple. En revanche, créer de toutes pièces un organe complexe - un foie, un rein ou un cœur par exemple - relève encore de la science-fiction.
Pour l'instant, il est difficile de dire combien coûterait d'imprimer un tissu pour un malade en particulier car les scientifiques n'e sont qu'au stade du prototype. Les "bio imprimantes" coûtent cher, plusieurs centaines de milliers d'euros. Mais les perspectives de marché sont alléchantes pour les professionnels, encore peu nombreux sur le créneau - deux entreprises aux Etats-Unis, une au Japon, au Canada, une en création (Poietis) en France. Ils se positionnent sur deux créneaux : la vente de bio imprimantes, et la fabrication de tissus pour l'industrie pharmaceutique et cosmétique. En 2014, ce marché était estimé à 15 milliards de dollars. Elodie bécu
Ces dernières années, l'impression 3D a connu un véritable essor dans le domaine de la santé. En 2012, une équipe médicale annonce une première mondiale : une mâchoire artificielle conçue grâce à une technique innovante d'imagerie 3D a été implantée à une patiente aux Pays-Bas. La dame âgée de 83 ans, a notamment retrouvé ainsi l'usage de la parole. Le coût de cette prothèse, qui pèse 107 grammes (contre 70 grammes pour une mandibule naturelle), s'élève à environ 9000 euros.
Deux ans plus tard, une femme de 22 ans recevait aux Pays-Bas une prothèse de crâne, le plus grande jamais posée. L'an dernier, l'impression 3D a permis de sauver la vie d'un petit bébé. Il était atteint d'une maladie rare qui réduit la taille des voies respiratoires. Des équipes de médecin américains ont réussi à mettre au point une prothèse parfaitement adaptée à sa trachée à partir d'une modélisation haute résolution. Branchée sur un ventilateur pendant vingt et un jours pour permettre au nourrisson de respirer, la prothèse s'est progressivement fondue dans sa trachée, lui permettant de se développer normalement. Elle doit ensuite être absorbée naturellement par le corps de l'enfant en deux ou trois ans, car elle est biodégradable.
La chirurgie du genou et de la hanche mise également sur l'impression 3D pour mettre au point des prothèses personnalisées.
Une prothèse crânienne à Limoges
Une prothèse crânienne en céramique, imaginée à Limoges, ville berceau de la porcelaine, révolutionne la chirurgie maxillo-faciale grâce à une technologie de pointe, si parfaite qu'elle dupe l'organisme lui-même.
Voilà plus de dix ans que Joël Brie, médecin au service de chirurgie maxillo-faciale du CHU de Limoges, travaille avec 3D Céram sur cette "prothèse ostéo-conductrice", qui permet de soigner des patients ayant perdu plus de 15 % de la surface du crâne. "La meilleure reconstruction est certes toujours celle faite avec l'os du patient, mais parfois celui-ci comporte un risque infectieux", explique-t-il.
Le principe : concevoir "une modélisation numérique en trois dimensions de la partie manquante du crâne". En 48 heures maximum, l'objet est ensuite modelé au laser, avant cuisson. "La machine crée l'objet par tranches de 25 microns, soit un quart de cheveu d'épaisseur, avec une telle précision que la découpe est pour ainsi dire sur mesure", explique Christophe Chaput, cofondateur de 3D Ceram. L'obsession du médecin étant de trouver le matériau le moins inflammatoire, donc le plus biocompatible, dans lequel l'os peut pousser et se fixer durablement, 3D Céram a ajouté à sa prothèse des centaines de micro-trous en périphérie, formant une véritable dentelle impossible à reproduire sans cette technologie.
"Grâce à cette porosité, au bout de six mois, l'os a recolonisé environ 25 % des zones poreuses et la prothèse fait partie intégrante du patient", se félicite le Dr Brie. Une opération coûte entre 10 000 et 18 000 euros selon les implants. Le CHU de Lille ou encore celui de Toulouse se sont montrés intérssés.
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