la tribune du samedi 28 mars 2015
"D'autres pays arabes seront touchés par la guerre civile"
Religion - Il est une des personnalités religieuses les plus influentes du Liban, y compris sur la scène politique, et plus encore depuis que le "pays du Cèdre" est privé de Président. Le cardinal Boutros Rahi, patriarche de l'Eglise catholique maronite, nous a accordé un entretien dans son palais de Bherké, à 25 km au nord de Beyrouth.
Vous venez d'accueillir la visite du cardinal Barbarin, archevêque de Lyon. Comment l'avez-vous vécue ?
Nous apprécions beaucoup ce geste de solidarité, signe de communion entre l'Eglise de France et la nôtre. Les chrétiens du Moyen-Orient se sentent délaissés par l'Occident, pourtant de tradition chrétienne. En arabe, un dicton dit : "Il vaut mieux m'accueillir que me donner à manger". En venant au Liban, c'est comme si l'archevêque de Lyon nous avait accueillis chez lui. Cela nous fait du bien moralement et spirituellement.
Le conflit israélo-arabe est le "péché originel"
La guerre civile en Syrie, pays frontalier du Liban, dure depuis quatre ans. Pourquoi ce conflit s'éternise-t-il ?
Tout ce qui arrive aujourd'hui au Moyen-Orient est lié au conflit israélo-palestinien, devenu aussi un conflit israélo-arabe, avec l'occupation par Israël de certains territoires en Palestine, en Syrie et au Liban. Malgré toutes les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU, ce problème reste insoluble. Pour moi, c'est le "péché originel", duquel tout découle. Les guerres en Syrie et en Irak sont des conflits inter-musulmans : entre les pays sunnites et les pays chiites, entre les gouvernements locaux et les organisations fondamentalistes et terroristes, entre les musulmans modérés et les musulmans intégristes.
Beyrouth
Le règlement du conflit israélo-palestinien permettrait selon vous celui de toutes les crises au Moyen-Orient ?
Oui !
Que recommandez-vous ?
Je souhaite de retour des réfugiés palestiniens et un Etat pour les Palestiniens, conformément à ce que prévoient les résolutions de l'ONU. Ceux qui font le jeu de la politique internationale ne veulent pas de cet Etat. Et ce problème est maintenant oublié en raison de tous les conflits qui surgissent au Moyen-Orient : Syrie, Irak, Yémen, en attendant sans doute d'autres pays arabes. Car je pense que tous les pays arabes seront touchés.
Il y a cinq ans, les "Printemps arabes" avaient soulevé beaucoup d'espoirs...
Ces mouvements réclamaient à juste titre des réformes économiques, sociales et politiques allant dans le sens de la démocratie. Tout d'un coup, ces manifestations populaires ont disparu. Ce moment de liberté a été utilisé par des pays qui ont instrumentalisé des organisations fondamentalistes.
La rivalité entre musulmans sunnites et chiites, résumée par l'opposition entre l'Arabie saoudite et l'Iran, joue là-dedans un rôle central. Et vous trouvez des Etats, en Orient et en Occident, qui alimentent les deux camps, avec de l'argent, des armes et un soutien politique. Certains ont aussi intérêt à la poursuite de la guerre pour faire commerce de leurs armes.
Ce qui m'inquiète, c'est que tout cela concourt à une perte de la modération islamique. Comment les musulmans modérés pourraient-ils ne pas baisser les bras quand ils voient que seuls les fondamentalistes sont choyés ?
Le Liban est bousculé par ces conflits environnants. Le pays n'a plus de président de la République depuis le 25 mais 2014. Peut-on espérer une prochaine élection ?
Malheureusement, cette élection est tributaire du conflit sunnites-chiites dans la région. Tant que personne ne mettra la pression sur l'Arabie saoudite et l'Iran, il n'y aura pas d'accord à l'Assemblée nationale libanaise pour élire un président de la République (N.D.L.R. : ce dernier est toujours maronite ; le Premier ministre sunnite, et le président de l'Assemblée, chiite). Car les sunnites libanais sont liés à l'Arabie saoudite, et les chiites libanais, à l'Iran... Pendant ce temps, notre pays se noie.
Craignez-vous un retour de la guerre civile au Liban ?
Non, car les Libanais en ont assez : la guerre civile (N.D.L.R. : 1975-1898) a mis le pays à terre. Aujourd'hui, ils payent en plus le prix du conflit israélo-palestinien et le prix de la guerre en Syrie. Le tiers de notre population vit sous le seuil de pauvreté. Les gens émigrent parce qu'il n'y a plus assez de travail. La moitié de la population au Liban se compose de réfugiés syriens et palestiniens.
Imaginez la France avec 35 millions de réfugiés ! Ce n'est plus tenable. On est en train de saccager la perle de l'Orient et c'est très grave. Car le Liban est le pays qui a transmis la modernité, la démocratie, les droits de l'Homme et l'ouverture dans la région. E il reste toujours capable de le faire, du fait de sa spécificité géopolitique et culturelle. Recueilli a Bkerké (Liban) par Nicolas Ballet
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