le Point - publié le 11.01.2016
François Lenglet - Le chiffre qui nous tue
Entre 2001 et 2015, le nombre d'emplois dans le secteur privé n'a pas augmenté. Une spécificité bien française.
Tout le mal français tient dans un simple nombre à huit chiffres : 15 848 000. C'est, selon l'INSEE, le décompte des emplois dans le secteur privé à la fin 2015. Et c'est aussi, à quelques milliers près, le niveau que l'emploi avait déjà atteint... au quatrième trimestre 2001.
En quatorze ans, la France n'a donc pas créé d'emploi privé - en réalité, ce nombre est légèrement monté jusqu'en 2008, pour redescendre ensuite, à cause de la crise. Pourtant, entre 2001 et 2015, la population française est passé de 61 à 66 millions d'habitants.
La première explication est démographique : nous avons 13,4 millions de retraités aujourd'hui, alors qu'il n'y en avait que 9,8 millions en 2001 - les effets du vieillissement de la population. On mesure avec cette augmentation le choc subi par les régimes de retraite : + 36 % de pensionnés sur quatorze ans, soit 3,6 millions d'individus en plus. Quel régime aurait pu tenir avec une telle révolution démographique ?
Seconde explication, l'extraordinaire montée du chômage que nous avons connue depuis 2001. Le nombre de sans-emploi au sens du Bureau international du travail, qui a une définition un peu plus restrictive que celle de Pôle emploi, est passé de 2 à 3 millions sur la période. Soit une croissance d'un million de personnes. Sur ces quatorze année, la France a donc fabriqué massivement des retraités et des chômeurs.
Incroyable disproportion
Pour autant, cela ne suffit toujours pas à expliquer en totalité l'écart. Il faut alors s'intéresser à l'emploi salarié public. Il est passé, sur la période, de 5 millions (hors contrats aidés et vacataires) à 5,4 millions : + 400 000 fonctionnaires. Une croissance imputable pour l'essentiel à la fonction publique territoriale, alors que celle de l'Etat a sensiblement baissé et que la fonction publique hospitalière n'a que légèrement progressé.
Entre 2001 et 2015, la France a donc fabriqué 3,6 millions de retraités, 1 million de chômeurs et 400 000 fonctionnaires territoriaux. Soit un total de 5 millions de personnes, c'est-à-dire peu ou prou l'augmentation de la population de notre pays sur les quatorze années concernées... Alors que, dans le même temps, le secteur privé n'a pas bougé.
Une incroyable disproportion, problématique, car le trait commun aux retraités, au chômeurs et aux fonctionnaires est qu'ils vivent de la redistribution : leurs pensions, indemnités ou traitement proviennent des prélèvements sur la création de richesse et en particulier sur le secteur privé, par le biais des impôts.
Le nombre de "prélevants" a donc explosé, alors que le nombre de "prélevés" n'a pas changé. Il n'y a pas d'autre explication à la montée de la charge fiscale française sur la période, ainsi qu'à l'explosion de la dette publique, nourrie par les déficits récurrents, eux-même causés par les transferts croissants...
Notre secteur productif n'est tout simplement pas assez puissant pour supporter tout cela. Il faut toutefois nuancer un peu le propos. Car si l'emploi salarié stagne, ce n'est pas le cas de l'emploi non salarié, c'est-à-dire des indépendants, des commerçants, des professions libérales, dont le nombre est passé de 2,2 à 2,7 millions, malgré la décrue des professions agricoles. Autrement dit, le secteur privé a quand même gagné 500 000 paries de bras, principalement dans le tertiaire et dans la construction. Mais cela n'infléchit qu'à la marge l'extraordinaire déséquilibre français, caractérisé par une atrophie de l'économie privée.
Handicap français
Gardons-nous de considérer ce mal comme un handicap français de toujours. Au contraire, cette atrophie est récente. Sur les quatorze ans qui précèdent la période, entre 1987 et 2001, notre machine à jobs fonctionnait à plein régime, la France avait alors créé 2,5 millions d'emploi salariés marchands. Nous avons donc connu, il n'y a pas si longtemps, une rythme qui permettait de financer à la fois l'extension de l'Etat-providence et celle de la sphère publique.
Pourquoi une telle rupture ?
L'intensité de la croissance, bien sûr. En 1987, la France était parfaitement compétitive, grâce aux dévaluations régulières que le franc avait subies vis-à-vis du Deutsche Mark. De surcroît, dans les années 90, l'Allemagne est tout à sa réunification et nous achète plus qu'elle ne nous vend. La mondialisation n'existe pas, les délocalisations, pas davantage : Renault fabrique près de 4 millions de véhicules en France en 1989, ce sera le record, contre moins de 1 million aujourd'hui.
Au début des années 2000, au contraire, la France est dans l'Union monétaire, elle a mangé depuis longtemps le bénéfice de ses dévaluations en ayant laissé dériver sa compétitivité, tandis que l'Allemagne a réduit ses coûts, par dévaluation interne. Notre solde commercial avec notre voisine s'est donc gravement détérioré, et avec lui notre croissance. Et c'est justement alors que nous passons aux 35 heures - une sorte de réévaluation interne, qui renchérit nos produits. L'euro et les 35 heures, c'est comme boire et conduire - il aurait fallu choisir. Faisant les deux, la France part dans le décor.
Survient alors la crise mondiale, qui achève de plomber l'économie tricolore. Avec l'incroyable complexification du Code du travail français. Sans oublier le choc fiscal sans précédent. Au total le PIB français n'aura progressé que de 16 % entre 2001 et 2015, soit moins de 1 % par an, alors qu'il avait fait un bond de 40 % dans les quatorze année qui précèdent.
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