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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du dimanche 13 septembre 2015

 

 

 

HISTOIRE – En septembre 1515, une bataille mythique. C'est aujourd'hui le 500e anniversaire de la victoire de Marignan. 1515 ? Marignan, évidemment ! Tout le monde connaît cette date. C'est le l'une des premières que l'on apprend à l'école.L'assonance est rigolote est facile à retenir. Mais pourquoi cette bataille était-elle si importante ?

 

 

 

16 500 morts sont décomptés à l'issue de la bataille de Marignan. Du jamais vu en Occident depuis la fin d'Antiquité ! Une première victoire particulièrement sanglante pour le jeune roi François 1er, acquise dès la première années de son règne.

 

 

 

"Je suis votre roi et votre prince. Je suis délibéré de vivre et mourir avec vous. Voici la fin de notre voyage, car tout sera gagné ou perdu". François 1er à ses troupes, avant la bataille de Marignan, le 13 septembre 1515

 

 

 

La-bataille-de-Marignan.jpg

 

 

 

Faites le test autour de vous : demandez 1515, on vous répond du tac au tac Marignan. Et puis... Certains y rattachent encore quelques mots-clés, victoire, François 1er, Renaissance... Mais en réalité, beaucoup méconnaissent le pourquoi de cette bataille légendaire, ses enjeux et ses conséquences. Décryptage avec l'historien Pascal Brioist, professeur des universités et membre du Centré d'études supérieures de la Renaissance (CESR).

 

 

 

Le contexte

 

Alors qu'une famille - les Sforza - gouverne le Milanais, en 1515, François 1er monte sur le trône de France. Et au nom de l'un de ses ancêtres (sa mère était la fille de Bonne de Savoie, ancienne duchesse de Milan), il poursuit d'emblée la conquête du Milanais entreprise par Charles VIII et Louis XII.

 

 

 

"François 1er n'avait en fait pas tellement le choix, précise Pascal Brioist. Etant donné sa légitimité dynastique, s'il avait reculé, il aurait été considéré comme un roi faible. Donc il y va, avec ses rêves de grandeur, en s'imaginant en nouvel Alexandre".

 

 

 

Francois1er.jpg

 

 

Le combat

 

Deux forces participent au combat qui se déroule à Marignan (aujourd'hui Melegnano, à 16 km de Milan) : d'un côté, l'armée du roi de France, composée aussi de mercenaires allemands et d'alliés vénitiens, 40 000 hommes au total ; de l'autre, les Suisses et Milanais sont environ 25 000. Ils sont soutenus par le pape Léon X. Les mercenaires suisses ont la réputation d'être un véritable rouleau compresseur capable de mettre hors service la chevalerie lourde, en usant d'une technique de combat en carré, armés de pics de 6 mètres de long. Cette fois, ce sont eux qui paient le plus lourd tribut. La bataille, qui se déroule sur 2 à 3 kilomètres de front, fait 16 500 morts. Commencée le 13 septembre, elle aura duré seize heures.

 

 

 

Les conséquences

 

La victoire est française. Et si elle est restée dans les mémoires, c'est parce qu'elle a des conséquences majeures. Territoriales, tout d'abord, avec la reprise du milanais pour dix ans ; religieuse ensuite : François 1er, fort de son prestige, signe le concordat de Bologne, qui régit les relations entre le Vatican et le roi, et donne à ce dernier un important pouvoir, notamment celui de nommer les évêques.

 

 

 

Surtout, les conséquences sont culturelles : 1515, c'est l'entrée dans la période de la Renaissance, avec la diffusion de la pensée et de l'art italien. Nombre de peintres, architectes transalpins sont accueillis en France : Léonard de Vinci, le plus connu, mais aussi Dominique de Cortone, futur architecte de Chambord, et bien d'autres encore.

 

 

 

La mémoire

 

"François 1er lui-même en fait déjà un point central de la propagande de son règne, analyse Pascal Brioist. Même sur son tombeau, dans la basilique de Saint-Denis, un bas-relief exalte la bataille". Et tout au long des siècles qui vont suivre, ce souvenir de Marignan va être entretenu, dans les différentes histoires de France. Notamment celle de Lavisse, dans les années 1980. A l'époque, l'histoire est un roman national. Il s'agit alors de relater la victoire du peuple de France. Aujourd'hui, la façon de raconter l'histoire a changé. On insiste ainsi davantage sur l'ouverture à l'Italie et l'entrée dans la Renaissance. Mais Marignan est toujours là. Sarah Miquey-Pallandre - en savoir plus : www.marignan2015.fr

 

 

 

La série noire des années en 15

 

Si 1515 consacre une victoire française, nombre d'années en 15 marquent au contraire douloureusement l'histoire du pays. On pense notamment à

 

 

- 1815 et à la défaite de Waterloo qui signe la fin de l'épopée napoléonienne

 

 

- 1715, année de la mort du roi Soleil, marquant la fin du grand règne de Louis XIV et la plongée dans l'ère des révolutions

 

 

- ou encore 1415 et au désastre d'Azincourt, qui voit l'anéantissement de la chevalerie française face à l'armée anglaise, relançant la guerre de Cent ans.

 

 

 

Y aurait-il ainsi une "Fatalité de l'an XV", comme l'écrit l'historien Bernard Lecherbonnier ? (la Fatalité de l'an XV, de Bernard Lecherbonnier et Serge Cosseron - Editions l'Archiptel). "De fait, l'histoire montre qu'il y a systé-matiquement, depuis plusieurs siècles, une fracture extrêmement importante", explique cet enseignant à l'université de Paris-XII. "Et force est de constater qu'en 2015, la fatalité a encore frappé, dès début janvier avec les attentats de Charlie. Nous sommes encore aujourd'hui en plein milieu d'une crise multiple, de conscience, politique, économique, accompagnée d'un basculement dans l'ère du numérique. Mais des crises profondes renaît un monde meilleur !".

 

 

 

 

QUESTION à Michel LUSSAULT

 

 

Président du Conseil supérieur des programmes scolaires

 

 

"La date ne doit pas être une finalité"

 

 

 

Comment enseigne-t-on l'histoire à l'école ?

 

Cela dépend des niveaux. En primaire, se posent deux difficultés : l'enfant ne sais pas encore se repérer dans le temps, confond passé proche, lointain, et ne fait pas la différence entre histoire de fiction et histoire réelle. Les enseignants vont insister sur quelques dates, mais l'objectif sera plutôt de travailler sur la "périodisation", afin d'apprendre aux écolier à maîtriser une chronologie.

 

 

C'est-à-dire que pour Marignan, par exemple, qui est abordé en classe de CM1, l'idée sera de se servir de la date de 1515 comme d'un instrument de départ pour l'intégrer dans une période, la Renaissance, qui suit celle du Moyen-Age et précède l'époque classique. La date en elle-même ne sert à rien. Elle ne doit pas être une finalité, mais un point d'entrée.

 

 

 

C'est très différent au collège ?

 

Oui, dans la mesure où les adolescents se repèrent déjà bien dans le temps, la date prend encore moins d'importance en elle-même. On entre dans une histoire plus riche, plus tournée sur les questions sociales, économiques, politiques, culturelles. Pour reprendre l'exemple de Marignan, qui sera présent dans les nouveaux programmes (les nouveaux programmes doivent être dévoilés la semaine prochaine), en fin de 5e, l'objectif est surtout, à travers l'étude de la figure de François 1er, de faire prendre conscience aux élèves de ce qu'est un prince à la Renaissance.

 

 

 

L'enseignement de l'histoire a finalement beaucoup évolué en un siècle...

 

Bien sûr. L'entrée en matière reste, par essence, chronologique, mais n'est plus une succession de dates et de personnages comme avant. L'histoire s'est aussi diversifiée, on étudie plus de thèmes, on est plus ouvert aux problématiques sociales, culturelles, aux problématiques mondiales. On insiste également désormais sur la méthodologie : comment constituer un corpus de documents, vérifier une source, illustrer un propos... Oui, l'histoire a changé est c'est tant mieux. Propos recueillis par Sarah Miquey-Pallandre

 

 

 

 

Dix autres dates très connues

 

 

52 avant J.C. - Bataille d'Alésia. Vercingétorix se rend à César, la Gaule tombe définitivement sous le contrôle de Rome.

 

 

 

 

496 (25 décembre) - Baptême de Clovis à Reims par l'évêque Rémy. Il devient ainsi le premier roi chrétien du royaume des Francs.

 

 

 

 

800 (25 décembre) - Charlemagne est sacré empereur d'Occident. Il est couronné à Rome par le pape Léon III.

 

 

 

 

1431 (30 mai) - Condamnée pour hérésie, Jeanne d'Arc est brûlée vive à Rouen.

 

 

 

 

 

1598 (13 avril) - Henri IV impose l'Edit de Nantes afin de clore les guerres de religions qui ont ravagé le royaume de France au XVIe siècle.

 

 

 

 

 

1789 (14 juillet) - Prise de la Bastille, moment clé de la Révolution française.

 

 

 

 

 

1815 (18 juin) - Défaite de Napoléon à Waterloo, qui conduit à son abdication quatre jour plus tard.

 

 

 

 

1905 (3 juillet) - La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat est adoptée. La France laïque reconnaît la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, mais n'en finance désormais aucun.

 

 

 

 

1914-1918 - Première Guerre mondiale, déclenchée par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, hériter du trône d'Autriche-Hongrie, le 28 juin 1914.

 

 

 

 

1939-1945 - Seconde Guerre mondiale, qui s'achève le 8 mai 1945, par la capitulation de l'Allemagne.

 

 

 

 

 

Une reconstitution 500 après

 

Le cliquetis des épées et les tirs de boulets de canons ont résonné avec fierté, cet été, sur les terres de François 1er. Fin juillet, plus de 500 figurants bénévoles venus de plusieurs pays européens ont en effet rejoué, 500 après la victoire de Marignan, des scènes de la célèbre batailles.

 

 

 

Au total, quatre représentations, à Romorantin (Loir-et-Cher) et à Amboise (Indre-et-Loire), ont été organisées, pour 500 000 euros de budget. Avec un beau succès : 12 000 spectateurs. Pour réussir cette unique commémoration en France de l'épopée de 1515, les "reconstituteurs" ont été particulièrement soucieux du détail :  chacun à plumet sur la tête, engoncés dans des pourpoints de cuir, tambour de guerre ou arquebuse en main.

 

 

 

Sur fond de musique traditionnelle, et dans un décor de village d'époque, toute l'équipe du spectacle et les visiteurs ont littéralement replongé, durant quatre jours, au coeur du XVIe siècle. Cet aventureux pari avait été lancé par Pascal Brioist, superviseur du spectacle et membre du centre d'études supérieures de la Renaissance (CESR). Toutefois, l'idée d'une reconstitution de la victoire avait été initiée par le monarque  lui-même.

 

 

 

En effet, François 1er n'avait pas hésité à commander en mai 1518 à Léonard de Vinci, une simulacre de guerre pour célébrer sa victoire et sa bravoure. De cette fête, subsistent des témoignages décrivant une reconstitution spectaculaire où participèrent des milliers de figurants, autour d'un château de bois et de tissu attaqué par des canons chargés à blanc.

 

 

 

"Le roi avait fait rejouer cette épopée à Ambroise, en Touraine,  l'occasion du mariage de Laurent II de Médicis et de Madeleine de la Tour d'Auvergne, précise Pascal Brioist. Il s'agissait alors de mettre en valeur le tout-puissant roi de guerre. Mais mois, ce qui m'intéressait dans mon spectacle, c'était d'insister sur l'autre aspect de Marignan, l'entrée de la France dans la Renaissance, et dans la culture moderne". S.M.-P.

 



14/09/2015
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