le Progrès du dimanche 17 juillet 2016
COUP D'ÉTAT - ÉCHEC AU PUTSCH, ERDOGAN RENFORCÉ
Le président turc bénéficie d'un réflexe légitimiste de sa population, et du soutien des Occidentaux, Obama en tête. À l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières, il est devenu incontestable.
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l n'a fallu qu'une nuit au président turc Recep Tayyip Erdogan pour renverser à son profit une situation pour le moins compromise. Erdogan, accusé de dérive autoritaire depuis des mois, paraissait affaibli malgré son succès aux législatives de novembre 2015. Il sort de ce putsch beaucoup plus fort, avec l'aura de celui qui a sauvé la démocratie, alors qu'il est loin d'être démocrate !
Réflexe légitimiste
Bien au-delà des ses partisans, Erdogan a bénéficié d'un réflexe légitimiste dans la population turque, qui a connu trois coups d'État militaires en 60 ans (1960, 1971, 1980) et qui en a refusé un quatrième.
Erdogan a aussi obtenu le soutien unanime des Occidentaux, qui n'oublient pas que la Turquie est un pilier de l'Otan : du président Obama à François Hollande, en passant par Angela Merkel et le Grec Alexis Tsipras, tous on pris son parti.
Le putsch aboutit au résultat inverse de celui qui était recherché : Erdogan en sort plus puissant à l'intérieur de ses frontières, et obtient le soutien précieux de ses pairs internationaux avec lesquels il entretenait, depuis la crise des réfugiés syriens, des relations chaotiques et parfois conflictuelles.
Il saura en profiter. Angela Merkel, qui l'a pleinement soutenu, en est consciente, et a mis en garde contre une répression qui s'annonce musclée : "Le traitement des responsables des événements tragiques de la nuit dernière peut et ne devrait se faire qu'aux termes des règles de l'État de droit", a-t-elle insisté.
Bien organisé, mais...
Le putsch avait été soigneusement préparé. Peu avant minuit, des hauts gradés de l'armée turque s'étaient rendus maîtres des leviers du pouvoir. Le couvre-feu et la loi martiale avaient été décrétés, les rues d'Ankara, Istanbul et Izmir quadrillées, les ponts sur le Bosphore coupés afin d'empêcher les habitants de la rive asiatique d'Istanbul, réputés favorables à Erdogan, d'accéder au centre de la ville européenne. Le chef d'état-major de l'armée, nommé par Erdogan, était prisonnier des putschistes.
Retour par smartphone
Tout était sous contrôle... sauf l'essentiel : les têtes de l'exécutif (Premier ministre et Président) et leur possibilité de s'exprimer à la télévision non étatique.
Le président Erdogan était en vacances au bord de la mer Égée. Après un moment de flottement au cours duquel les rumeurs ont circulé à son sujet - il se serait enfui en avion, il aurait demandé l'asile politique en Allemagne, il aurait été arrêté - c'est avec un banal smartphone qu'il a fait son retour. Vers 0 h 30, heure locale, il s'est exprimé en "facetime" sur la chaîne d'information CNN-Türk pour appeler les Turcs à descendre dans les rues.
Il a été entendu : à son arrivée à l'aéroport d'Istanbul peu avant 4 heures du matin (3 heures en France), il a été accueilli par des milliers de sympathisants déchaînés. Le putsch, dès lors, était condamné. La place Taksim, au coeur d'Istanbul, était en effervescence. Des milliers de Stambouliotes y défendaient le pouvoir. Le couvre-feu n'avait servi à rien.
Des centaines de morts
Les putschistes n'avaient pourtant pas lésiné sur les moyens. Certains ont tiré sur ceux qui bravaient le couvre-feu, place Taksim, ou sur les ponts du Bosphore. Erdogan a affirmé que l'hôtel dans lequel il séjournait, en bord de mer, a été bombardé après son départ. On dénombre au moins 161 morts civils et loyalistes, et 104 du côté des rebelles. Ceux-ci ont perdu un hélicoptère, abattu par un F16 de l'armée restée fidèle à Erdogan. Ils ont surtout perdu toutes leurs illusions : les derniers bastion laïques et kémalistes de Turquie sont en passe de tomber. Patrick fluckiger
À Istanbul, la foule contre les putschistes
Comme toutes les colères d'Istanbul, celle des partisans d'Erdogan a déferlé sur la place Taksim, où convergent plusieurs artères de la rive européenne d'Istanbul. À la tombée de la nuit, des milliers de Stambouliotes, certains drapés dans le drapeau turc, sont venus manifester contre la tentative de coup d'État militaire. "La plupart des manifestants ont fait leur service militaire. Ils savent ce que l'avènement d'un régime militaire signifierait", explique Dogan, 38 ans, depuis la place Taksim.
Certains n'ont pas hésité à franchir les ponts qui enjambent le Bosphore malgré les tirs des soldats putschistes et les chars d'assaut qui arrivent de tous les côtés. "Je ne suis pas pour l'AKP (Parti du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan) et Erdogan n'est pas un grand démocrate, mais un coup d'État n'est pas la solution. Je crains une guerre civile", raconte-t-il.
Sur la place, l'armée répond en ouvrant le feu. Au moins trois personnes sont touchées. Quelques minutes plus tard, des camions déchargent des policiers anti-émeutes chargés de dégager les lieux.
Lynchage de putschistes
La foule se disperse dans les rues adjacentes et le calme revient sur Taksim, totalement désertée comme toute la ville d'ordinaire grouillante et bruyante et plongée dans un silence surréaliste. Les bistrots de Besiktas, le quartier européen, et autour de Taksim ont tiré les rideaux avant même que la loi martiale soit décrétée. Certains civils n'ont pas hésité à aider la police et les légalistes de l'armée à neutraliser les soldats putschistes et, à la télévision, on a assisté à des scènes de lynchage.
Au petit matin, au milieu de milliers de Turcs célébrant l'échec du putsch, Erdogan félicite ces partisans "surtout ceux de Taksim". Naguère emblème de son opposition, la place est devenue symbole de sa victoire sur la Turquie militaire et laïque du siècle dernier.
- 2 839 arrestations
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PORTRAIT - RECEP TAYYIP ERDOGAN
La résistance du "sultan"
Arrivé à la tête du gouvernement turque en 2003, Recep Tayyip Erdogan dirige le pays d'une main de fer. Il représente la majorité parlementaire religieuse et conservatrice.
"S |
i Dieu le veut, nous allons surmonter cette épreuve", avait lancé dans la nuit Recep Tayyip Erdogan, alors que les militaires rebelles paraissaient l'emporter. Avec ou sans Dieu, il a surmonté l'épreuve, confirmant à 62 ans sont incroyable résistance face à l'adversité.
Fils d'un modeste officier des garde-côtes, éduqué dans un lycée religieux, Erdogan est arrivé à la tête du gouvernement en 2003. Après avoir rempli une condition : l'amnistie d'une peine de prison infligée pour avoir récité en public un poème religieux...
Erdogan est l'élu de la majorité religieuse et conservatrice du pays, contre l'élite laïque appuyée sur l'armée. Et pendant des années, son modèle de démocratie conservatrice, alliant capitalisme libéral et islam modéré, a enchaîné les succès, dopé par la croissance "chinoise" de l'économie et l'objectif d'entrer dans l'Union européenne.
Un palais à 500 millions d'euros
Mais en 2013, plus de trois millions et demi de Turc ont exigé sa démission dans la rue. Ils dénonçaient sa main de fer et une politique de plus en plus ouvertement "islamiste", le soupçonnant de vouloir "rétablir le sultanat". L'opposition critique également sa "folie des grandeurs", qui l'a fait s'installer dans un palais de 500 millions d'euros et l'instrumentalisation du conflit kurde.
Erdogan a répondu par une répression sévère, et le projet de réformer la Constitution pour instaurer un régime présidentiel taillé à sa mesure. Et le 1er novembre 2015, son Parti de la justice et du développement (AKP) regagnait une majorité absolue au Parlement.
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