le Progrès du dimanche 9 octobre 2016
ÉDITION - JEAN-PIERRE JOUYET ("ILS ont fait la révolution sans le savoir", un ouvrage de Jean-Pierre Jouyet, publié aux éditions Albin Michel
Une France en révolution, vue de l'Élysée
Dans "Ils ont fait la révolution sans le savoir", un récit historique sur les grands hommes et les grandes dames du XVIIIe siècle, le secrétaire général de l'Élysée, Jean-Pierre Jouyet, dresse des parallèles entre cette époque prérévolutionnaire et celle qu'il vit au quotidien comme premier serviteur de l'État.
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n 1715. Louis XIV emporte dans la crypte de Saint-Denis son pouvoir absolu, ses guerres qui ont déchiré l'Europe, pendant son interminable règne. Son neveu et gendre, le régent Philippe d'Orléans, gouverne jusqu'en 1723 au nom du futur Louis XV, âgé de 5 ans. "Huit ans de réformes pour redresser la France. Le régent a favorisé l'émergence d'une classe moyenne, supprimé les rentes, rétabli la paix religieuse entre jansénistes et Jésuites, ouvert la France sur l'Europe et a permis la transhumance vers un nouveau monde", raconte Jean-Pierre Jouyet. Il ajoute : "Des réformes souvent conduites contre son camp". Et avoue une préférence pour les personnages impopulaires de l'histoire.
Toute ressemblance... Jean-Pierre Jouyet assume les parallèles audacieux entre la décennie du régent et le quinquennat en cours : "François Hollande comme Philippe d'Orléans gouverne une France qui change de monde. La France du XVIIIe siècle a vécu une révolution des moeurs et une révolution technique d'ampleur avec les découvertes de Lavoisier, Buffon, avec l'imprimerie, comme nous vivons le bouleversement numérique".
Laïcité accueillante
L'auteur ajoute à notre époque la dimension religieuse : "Le rapport entre la religion et la société au XXIe siècle n'est déjà plus le même qu'au XXe siècle". Catholique et "serviteur depuis 41 ans du seul État laïque de l'Union européenne", il dénonce d'ailleurs dans son livre la déchristianisation après 1789. Et défend une laïcité française "accueillante et surtout pas stigmatisante : la vision de la laïcité par une partie de la gauche et par l'extrême droite ne me convient pas.
Quand je me baigne dans la mer, je n'ai pas honte de porter une croix. Les signes religieux distinctifs ne me choquent pas, contrairement à l'islamophobie. À Nice, un tiers des victimes de l'attentat étaient musulmanes". Le secrétaire général de l'Élysée replonge au quotidien dans son siècle préféré quand il mesure la dimension monarchique du président français. "La France ne s'est pas remise d'avoir guillotiné le roi et Marie-Antoinette d'ailleurs très à la mode aujourd'hui à travers des expositions, des biopics.
Le nombre de décisions qui remontent au président de la République est impensable. Dans la même journée, il travaille sur des réformes qui engagent l'avenir de la France, prend des décisions majeures pour la sécurité du pays et à l'international. Quant à moi, je dois parfois arbitrer des nominations de sous-préfets ! Comme si tout était régalien. En France, que l'on soit dans l'État ou en dehors, chacun veille pour préserver ses intérêts à ne fâcher le monarque".
Sa description du début du XVIIIe siècle raconte aussi une Europe de monarques éclairés qui ont construit la paix et le dialogue. Comme au temps de Catherine II de Russie et des sultans de Constantinople, "sans des rapports réalistes avec Moscou, sans accord européen avec la Turquie sur les migrants ou la Syrie, sans une Europe forte, la stabilité reste illusoire".
L'ennemi de la démocratie : la lenteur
La différence entre les deux siècles réside sans doute dans l'accélération du temps, selon Jean-Pierre Jouyet : "Le monde de 2017 n'est déjà plus celui de 2012. Les attentats d'ampleur, la montée de l'abstention et des partis populistes, le Brexit, les guerres... La démocratie peut être en danger".
Comment la régénérer ? "Comme le régent, avec les corps intermédiaires et avec des réformes qui entrent vite en application pour que les résultats se voient, la démocratie souffre de la lenteur des procédures. À une époque où l'on réserve un billet d'avion en deux minutes, il est difficilement compréhensible que la moitié des décrets de certaines lois ne soit pas encore prise". Le régent actuel et son auteur ont donc encore du boulot. Même si en principe, un régent est programmé pour s'effacer ? Réponse de Jean-Pierre Jouyet : "Philippe d'Orléans aurait dû continuer". Pascal Jalabert
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