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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du jeudi 22 septembre 2016

 

 

SANTÉ - UNE RÉUNION DE HAUT NIVEAU S'EST TENUE HIER À L'ONU

 

 

Ces bactéries qui résistent aux antibiotiques : alerte mondiale

 

 

Née des mauvais usages et des effets pervers de la mondialisation, l'antibiorésistance menace la médecine moderne. Après l'Organisation mondiale de la Santé, les Nations Unies se saisissent de la question.

 

 

 

Antibiorésistance : c'est quoi ?

 

Certaine bactéries ont une résistance innée à des antibiotiques. Ce qui est préoccupant c'est la résistance acquise à un ou plusieurs antibiotiques qui arrive subitement alors que la bactérie y était avant sensible. Elle est due soit à un échange de gènes résistants avec une autre bactérie (80 % es cas) soit à une mutation génétique au  niveau du chromosome de la bactérie. La résistance concerne tous les antimicrobiens c'est-à-dire les antibiotiques mais aussi les antibactériens, antifongiques, antiviraux, antipaludéens, etc.

 

 

 

Des prévisions alarmistes

 

Quelque 700 000 personnes meurent chaque année des suites de la résistance aux antimicrobiens (RAM). Si rien n'est fait, la RAM causera 10 millions de décès d'ici à 2050, soit plus que le cancer, selon le rapport britannique O'Neill publié en mai, qui précise que des procédures comme les césariennes, les poses de prothèses et les chimiothérapies pourraient être "remises en cause". Sur le plan économique, les pertes de production s'élèveraient à 100 000 milliards de dollars. "Le monde s'achemine vers une ère post-antibiotiques où des infections courantes et des blessures mineures qui ont été soignées depuis des décennies pourraient à nouveau tuer", s'alarme l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

 

 

Face à ces risques, l'ONU a organisé hier une réunion de haut niveau en marge de son Assemblée générale à New-York. C'est seulement le 4e fois que les Nations Unies s'emparent d'un sujet de santé.

 

 

 

Pourquoi cette résistance ?

 

Découvreur de la pénicilline en 1928, Alexander Fleming avait prévenu qu'une utilisation irraisonnée entraînerait des résistances... En vain. Car la surconsommation en médecine humaine est bien l'une des causes de l'antibiorésistance. Au plan mondial, la consommation a augmenté de 30 % entre 2000 et 2010. Et même si les Français savent que "les antibiotiques, c'est pas automatique", leur consommation reste en hausse.

 

 

L'utilisation des antibiotiques pour booster la croissance des animaux est aussi une cause majeure de l'antibiorésistance. Si la pratique est interdite en Europe depuis 2006, elle reste systématique aux États-Unis. Selon l'OMS, au moins 50 % de la production des antibiotiques est destinée aux animaux et cette consommation vétérinaire devrait augmenter de 66 % d'ici 2030, selon des prévisions américaines.

 

 

 

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Fabrique de superbactéries

 

Enfin, sur le banc des accusés figure également la délocalisation de la production de médicaments dans les pays à bas coup en particulier la Chine, qui produit désormais 80 % à 90 % des principes actifs des antibiotiques, et l'Inde numéro un du conditionnement. Plusieurs ONG ont constaté des violations des réglementations environnementales et des rejets massifs d'effluents des usines. Un chercheur suédois a ainsi prélevé 44 kilos de cirpofloxacine, un antibiotique à large spectre, dans les eaux d'Hyderadad, le plus gros centre pharmaceutique indien. 44 kilos, c'est l'équivalent de la consommation de toute la Suède pendant 5 jours. Cette "soupe génétique" favorise les mutations et les résistances. La superbactérie NDM-1 de New-Delhi a par exemple été retrouvée dans plusieurs sites de traitement des eaux usées du Nord de la Chine.

 

 

 

Des bactéries voyageuses

 

Avec la mondialisation, les bactéries résistantes peuvent se retrouver dans les lieux les plus reculés de la planète. Car elles voyagent très bien : un voyageur sur deux en zone tropicale ramène dans son tube digestif des entérobactéries multirésistantes, selon une étude de l'AP-HP. Si 95 % les éliminent spontanément en 3 mois, la déclaration d'une infection dans cet intervalle peut donc s'avérer risquée. L'étude précise que les adeptes des "séjours fermés en hôtels-clubs" ont moins de risques de ramener ce type de souvenirs que les routards... Sylvie Montaron

 

 

 

 

 

Pneumonies, tuberculoses, infections urinaires et sexuelles

 

La tuberculose, les pneumonies, les infections urinaires et des infections sexuellement transmissibles sont aujourd'hui les pathologies ans lesquelles on rencontre le plus de résistance aux antimicrobiens. En 2013, la tuberculose ultra-résistante avait été identifiée dans 100 pays avec 480 000 cas tandis qu'on assiste aussi à un retour de force des infections à gonorrhée autrement appelée "chaudes-pisses" (52 % en France entre 2008 et 2009) qui "pourraient devenir bientôt impossibles à traiter", estime l'OMS. En 2012, pratiquement tous les virus grippaux A en circulation chez l'homme s'étaient montrés résistants aux principaux médicaments utilisés dans la prévention de la grippe.

 

 

Selon l'Inserm, la situation la plus préoccupante est celle des entérobactéries EBLSE, produites par des microbes présents essentiellement dans le tube digestif, en constante hausse depuis dix ans et en particulier Klebsiella pneumonia et E. Coli.

 

 

La découverte en mai dernier, chez une Américaine de 49 ans atteinte d'une infection urinaire d'une bactérie E. Coli résistante à l'un des antibiotiques de dernier recours, la colistine, a ainsi été considérée comme un événement très préoccupant. Il existe cependant quelques bonnes nouvelles : en France, la résistance aux antibiotiques est en baisse constante depuis 10 ans chez le célèbre staphylocoque doré et le pneumocoque. S.M.

 

 

 

 

 

Quelles solutions ?

 

Hier lors de la 71e session de l'Assemblée générale de l'ONU, des chefs d'États se sont pour la première fois engagés à adopter une approche générale et concertée, à renforcer la réglementation, à promouvoir de meilleures pratiques et à encourager l'innovation pour développer des alternatives aux anti-microbiens, de nouveaux diagnostics et des vaccins. "Les engagements pris aujourd'hui doivent maintenant être traduits en actions rapides [...] Le temps presse", a estimé Margaret Chan, directeur général de l'OMS. L'OMS, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) et l'OIE (Organisation mondiale de la santé animale) coordonneront les actions et dresseront le bilan à l'Assemblée générale de septembre 2018.

 

 

Parmi les traitements alternatifs figure la phagothérapie, l'utilisation de virus - inoffensifs pour l'homme - capables de détruire les bactéries. Coordonnée par l'hôpital militaire Percy, l'étude Phagoburn, évalue actuellement son efficacité contre les infections cutanées dans 11 centres de grands brûlés en France (dont le Centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc de Lyon et le CHR de Metz-Thionville), en Belgique et en Suisse.

 

 

En mai, l'économiste Jim O'Neill, chargé d'une mission par le gouvernement britannique, avait listé dix mesures, appelant notamment à ce que les antibiotiques ne soient plus prescrits sans test diagnostic préalable, à réduire l'usage non nécessaire dans l'agriculture, et à une incitation financière de 1,5 milliards de dollars pour les laboratoires qui produiront de nouveaux médicaments appropriés. Car l'innovation est en panne dans ce domaine : très peu de nouveaux antibiotiques ont été découverts ces trente dernières années. De son côté, un collectif d'associations américaines, anglaises, allemandes et françaises a lancé une campagne pour "exhorter l'industrie pharmaceutique à dépolluer sa chaîne d'approvisionnement". Il appelle à la diffusion d'une liste noire d'entreprises polluantes qui contribuent à l'antibiorésistance. S.M.

 

 

 

Dr François Ravat - Chargé de communication de l'étude Phaoburn

 

 

"La bactériophagie peut être  une arme supplémentaire"

 

 

 

Qu'est ce que la bactériophagie et la phagothérapie ?

 

"Un bactériophage est un virus, ennemi naturel de la bactérie dont il se nourrit et la phagothérapie, l'usage thérapeutique de ces phages. Le principe est le même qu'utiliser des larves de coccinelles pour se débarrasser des pucerons plutôt qu'un produit chimique. Notre étude Phagoburn, menée dans trois pays européens, vise à évaluer des cocktails de phages contre deux bactéries résistantes : Escherichia coli et des Pseudomonas".

 

 

 

Les bactériophages pourraient-être une alternative aux antibiotiques ?

 

"Ils ne les remplaceront pas mais pourraient être une arme supplémentaire. On sait que ça marche contre les angines à streptocoques, les otites, les infections pulmonaires, cutanées, digestives, osseuses... toutes celles pour lesquelles ont peut diffuser les bactériophages par aérosol car on ne peut pas les injecter. Sont juste exclues les septicémies, les atteintes dans des organes profonds et la tuberculose car le bacille se situe dans les cellules pulmonaires. On pourrait utiliser les bactériophages en première intention et s'ils ne sont pas performants, passer aux antibiotiques, dont on restreindrait ainsi l'utilisation. Grâce à leur effet multiplicateur, les phages tuent les bactéries beaucoup plus vite que les antibiotiques et à ma connaissance, il n'y a pas d'effets secondaires connus ni de résistances. Les bactériophages permettent aussi d'avoir un diagnostic en 2 h au lieu de 48 h ce qui est très précieux pour une méningite par exemple".

 

 

 

Pourquoi cela n'est encore qu'à l'étude ?

 

"La découverte de la pénicilline a donné un coup d'arrêt à la phagothérapie sauf dans des pays de l'Est comme la Géorgie où des Français vont se faire soigner. C'est le cas de Serge Fortuna, accidenté de la route contaminé par un staphylocoque, qui voulait se faire amputer et a pu remarcher un mois après avoir été soigné à Tbilissi. Le problème des bactériophages, c'est qu'ils ne sont pas brevetables donc il n'ont pas intéressé l'industrie pharmaceutique mais ils sont faciles à fabriquer et pourraient intéresser les pays du tiers-monde où circulent les antibiotiques frelatés.

 

 

Aujourd'hui, ils ne rentrent dans aucune case, ont est toujours à la limite de la légalité. Mais nous avons quand même obtenu une autorisation d'utilisation temporaire pour des cas compassionnels et une catégorie "médicaments biologiques" a été créée pour eux. Les choses avancent mais pas aussi vite qu'on le souhaiterait". Propos recueillis par S.M.

 

 

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23/09/2016
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