le Progrès du lundi 13 février 2017
À 70 JOURS DU PREMIER TOUR, LA SITUATION EST INÉDITE
Pourquoi cette élection présidentielle bouscule tout
Ténors éliminés, partis de gouvernement en difficulté, candidats aux profils atypiques et/ou aux solutions radicales : cette drôle de présidentielle n'échappe pas à un mouvement global de colère du citoyen et de rupture avec les habitudes.
C'était le slogan des printemps arabes en 2011 : "Dégage" hurlaient les foules en colère aux régimes en place. Dans les démocraties, la colère, la révolte, le "dégagisme", c'est dans l'urne.
Vincent Tiberj Sciences Po Bordeaux, auteur de "Les citoyens qui viennent" (PUF)
Cette campagne nous conduit de surprise en surprise. Comment l'expliquer ?
Nos responsables politiques, qui ont une longévité exceptionnelle par rapport à leurs homologues en Europe, ne se rendent pas compte que l'obsolescence est aujourd'hui très rapide. Les gens veulent du neuf. Arnaud Montbourg, qui s'imaginait la révélation de 2017, s'est réveillé le has-been de 2012.
C'est un peu "sortez les sortants" ?
C'est la partie visible d'une demande plus large de changement de la démocratie. Et c'est pourtant à ce moment-là qu'on crée ces communautés de communes et d'agglomération qui sont des trous noirs démocratiques, avec des dirigeants qu'on n'élit pas, un programme qu'on ne peut pas choisir...
Quel rôle veulent jouer les citoyens ?
Tout part du renouvellement des générations : 52 % des électeurs de 2012 n'étaient pas en âge de voter, ou même pas né, en 1981. Ces nouveaux électeurs sont de mieux en mieux formés, en capacité de contester les décisions des politiques, vivent dans une société d'opulence informationnelle, où un clic suffit pour savoir en direct ce qui se discute dans une commission de l'Assemblée nationale. Ils décodent toujours mieux une communication toujours plus envahissante. Et ils acceptent toujours moins la démocratie représentative qui est au fond une démocratie d'élus professionnels, qui demande au citoyen de rester à sa place.
Elle s'accordait bien aux cohortes (générations) nées dans la années 30 et 40, à leur culture de la déférence, qui s'entremettaient à une élite - gaulliste ou communiste. Les nouveaux citoyens s'expriment par le boycott, la pétition, la manifestation... La Manif pour tous a montré que manifester est devenu tout à fait normal pour un électeur de droite, ce qui n'était pas le cas il y a vingt ans.
Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises : les électeurs peuvent changer d'avis jusqu'au dernier jour...
Oui, et ce n'est pas de l'instabilité, ni la marque d'une absence d'opinion, c'est de la mobilité, de l'adaptation en fonction des enjeux et des candidats. Ce sont des abstentionnistes intermittents, qui votent quand ils perçoivent un enjeu : forte abstention aux Européennes quand il s'agit d'élire des députés européens qui n'ont pas de pouvoir, mais forte participation au référendum de 2005 (69 %, plus qu'aux législatives de 2002) quand il faut décider de l'avenir de l'Europe.
Ensuite, ces citoyens n'ont plus une mentalité de supporteur, chacun a plusieurs cordes à son arc et choisit en fonction des configurations du moment : Jean-Luc Mélenchon peut faire 11 % à la présidentielle, et 5 % aux élections suivantes. Tout cela fait qu'il est de plus en plus dur de prévoir une élection - et moi, je suis bien incapable de vous dire aujourd'hui qui sera qualifié pour le second tour ! Recueilli par Francis Brochet
Royaume-Uni : David Cameron triomphe aux législatives en 2015 mais démissionne huit mois plus tard après le Brexit.
Italie : À mi-mandat, le Premier ministre Matteo Renzi a été balayé après les revers aux municipales remportées par le mouvement anti-système 5 étoiles et le non au référendum constitutionnel.
Espagne : deux élections en 2016 ne permettent pas de dégager de majorité face à la montée des partis contestataires à droite comme à gauche. Le Premier ministre Mariano Rajoy est dépendant de l'abstention des ex-rivaux socialistes au Parlement.
Allemagne : le parti d'Angela Merkel a perdu pratiquement toutes les élections locales depuis 2014, et n'est plus sûr d'effectuer un quatrième mandat (élection en 2017).
Pays-Bas : depuis 2002, tous les gouvernements ont démissionné. Les élections des députés le 15 mars pourraient place en tête le parti eurosceptique et islamophobe de Gert Wilders, mais sans majorité.
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