le Progrès du lundi 28 mars 2016
ATTENTATS - NOUVEAUX COUPS DE FILET ANTITERRORISTES
L'enquête avance alors qu'en Syrie le groupe djihadiste perd du terrain
Les perquisitions et les arrestations se multiplient et permettent aux enquêteurs d'avancer et de démanteler les réseaux des attentats de Paris et Bruxelles où la situation était hier tendue lors de l'hommage.
Quatre personnes étaient en garde à vue hier à la suite de nouvelles perquisitions antiterroristes en Belgique. Quatre se sont déroulées dans la province d'Anvers, à Malines et Duffel, les huit autres dans la région bruxelloise. Au total neuf personnes avaient été interpellées mais cinq ont été libérées après audition.
Une première inculpation avait eu lieu samedi dans le cadre de l'enquête sur les attentats de Bruxelles, visant Fayçal Cheffou. La police belge tentait toujours hier de déterminer si Cheffou est bien l'"homme au chapeau" qui accompagnait mardi Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui, les deux kamikazes de l'aéroport.
Se présentant comme journaliste indépendant, Cheffou était soupçonné depuis plusieurs mois d'essayer de recruter des djihadistes parmi les réfugiés présents dans la capitale belge. Deux autres hommes, Rabah N. et Abderamane Ameroud, on également été inculpés ces derniers jours dans le cadre de l'enquête franco-belge sur un projet d'attentat déjoué dans l'Hexagone. Ils s'ajoutent à Reda Kriket, interpellé jeudi près de Paris et toujours en garde à vue.
Interpellation en Italie
Un Algérien de 40 ans, Djamal Eddine Ouali, a par ailleurs été arrêté samedi près de Salerne en Italie, à la demande de la justice belge. Selon les médias italiens, il est soupçonné d'avoir participé à la falsification de documents utilisés par des membres de commandos djihadistes parisiens et bruxellois. Son nom était apparu la première fois lors de perquisitions effectuées en octobre 2015 à Saint-Gilles, une banlieue de Bruxelles.
Un millier de photos numérisées avaient alors été saisies dans un repaire de faussaires et parmi elles auraient figuré celles de trois terroristes appartenant au groupe ayant planifié les attentats parisiens du 13 novembre, dont Najim Laachroui, un des kamikazes de l'aéroport de Zaventem. L'homme refuse cependant de parler.
"Daech veut diviser et conquérir l'Europe"
Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS
Que veut Daech ?
"C'est difficile à comprendre pour nous Occidentaux, car cela mêle le religieux et le politique, sous une forme messianique, millénariste. Daech vise l'établissement à l'échelle mondiale d'un califat, un régime politique fondé sur la charia, vue par des lunettes salafistes. C'est le mélange d'une utopie universelle, qui se traduit par des déclarations de guerre au monde entier, et d'un ancrage très local, fondé sur le ressentiment des communautés arabes sunnites".
Daech s'inscrit dans la suite des printemps arabes ?
"Oui, les sociétés civiles qui ont émergé au Moyen-Orient arabe dès 2011 se sont d'abord manifestées dans un cadre national. Puis se sont communautarisées : il y a eu en Irak un printemps chiite, un printemps sunnite et un printemps kurde. C'est sur ces divisions communautaires que Daech a pu prospérer.
Pourquoi ces attaques contre la Belgique ou la France ?
"Elles ont été au début une forme de réponse aux attaques de la coalition au Moyen-Orient. Mais c'est devenu depuis environ un an une stratégie spécifique, avec l'objectif de conquérir l'Europe. Cela peut paraître fou, mais c'est le côté millénariste du mouvement... Ils ciblent la France et la Belgique, car ils ont perçu des failles du vivre-ensemble dans nos pays. Ils espèrent cliver nos sociétés, dresser les communautés les unes contre les autres, comme ils l'ont fait en Irak. Et ils s'appuient sur l'histoire coloniale, qui a inspiré une sorte de grand récit victimaire chez les musulmans".
Pourquoi Daech ne s'attaque pas aux Américains ?
"Il y a une raison simple de proximité. Mais aussi le passé colonial... Car les idéaux républicains et laïcs ont légitimé la colonisation. La laïcité, vécue comme la nouvelle version de l'idéologie des "croisés", est désormais assimilé à une soumission à l'Occident, ou à des régimes autoritaires comme la Tunisie de Ben Ali ou la Turquie... L'Etat islamique essaie aussi de raviver l'opposition entre nos principes humanistes et notre pratique, en instrumentalisant les migrants : ils sont aujourd'hui une arme pour dénoncer la contradiction entre les valeurs de l'Europe et son incapacité à accueillir des centaines de milliers de migrants".
Quand un terroriste agit en France au nom de Daech, est-il envoyé par le calife ?
"Non, Abou Bakr Al-Baghdadi ne commande pas depuis Mossoul les attentats kamikazes de Boko Haram au Nigéria ou des frères Kouachi à Paris. Le lien entre eux, c'est le label de l'Etat islamique, qui donne du sens et du retentissement à l'action de ces terroristes".
Et un lien financier ?
"Il peut y avoir une aide logistique, surtout quand le terroriste est passé par l'Irak ou la Syrie. Mais elle n'est pas déterminante : ces cellules agissent de façon indépendante. C'est la force de l'Etat islamique, d'être une organisation virtuelle qui peut transcender une situation très locale, dans tel quartier d'Argenteuil ou de Bruxelles, et lui donner une dimension universelle qui entre en résonance avec des tribus de la vallée de l'Euphrate".
Comment contrecarrer Daech ?
"L'Etat islamique prospère là où les Etats s'effondrent. La réponse est donc de proposer aux populations des solutions politiques, qui ne soient pas une simple restauration des régimes précédents, avec leurs armées et leurs forces spéciales vécues comme des prédateurs. Et pars forcément des élections qui ne servent qu'à diviser". Propos recueillis par Francis Brochet
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