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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du lundi 3 octobre 2016

 

 

 

INÉGALITÉS - LA CROISSANCE ET L'INNOVATION SE CONCENTRENT DE PLUS EN PLUS DANS LES MÉTROPOLES

 

 

Ces Français qui se sentent abandonnés

 

 

Les inégalités entre métropoles riches et territoires en difficulté se creusent comme le raconte le géographe Christophe Guilluy dans le crépuscule de la France d'en haut. Un enjeu majeur de la présidentielle et pour l'avenir de 40 % des Français.

 

 

 

L

a France des oubliés, la France des territoires abandonnés... À sept mois de la présidentielle, tous les candidats cherchent comment récolter les suffrages de ce peuple des campagnes et des bassins industriels en déshérence, des villes moyennes et de gros bourgs ruraux en déclin, de communes dites périphériques où l'on s'installe par obligation financière plus que par envie. "Les paysages de l'histoire de ces territoires sont différents, mais le sentiment d'abandon par les pouvoirs publics et de décrochage dans l'économie mondialisée est partagé par leurs habitants", constate l'économiste Laurent Davezies.

 

 

 

Tout pour les métropoles

 

Selon un rapport de France Stratégie, organisme financé par l'État, entre 2000 et 2015, les inégalités entre les territoires se sont creusés comme jamais au cours du siècle précédent. Paris et les douze plus grandes métropoles concentrent 78 % des activités créatrices d'emploi et de valeur ajoutée. Le revenu disponible par habitant y est de 50% plus élevé que dans le reste du pays. Avec quelques bassins frontaliers dynamiques (Savoie, Pays basque, Alsace), ces 13 "géants" aspirent la richesse, les diplômés, l'investissement étranger, l'élite médicale.

 

 

 

Pouvoirs publics impuissants

 

Les politiques publiques ont amplifié le sentiment d'abandon en fermant administrations, tribunaux, postes, gares, et en n'instaurant pas une vraie péréquation entre collectivités riches et pauvres. Révélateur de cette fracture : le dépliement de la fibre optique. Sur les dix millions de foyers et de sociétés raccordées, sept millions vivent dans le Grand Paris ou dans les dix premières aires urbaines. Président de l'assemblée des départements de France, Dominique Bussereau constate : "Si 40 départements peinent à payer le RSA et/ou l'allocation personnes âgées, ce n'est pas parce qu'ils sont moins bien gérés mais parce que le nombre d'allocataires augmente et que l'économie ne procure pas assez de richesse".

 

 

 

Mouvement irréversible

 

Pour France Stratégie et beaucoup de spécialistes, le mouvement est irréversible. "L'égalité des territoires n'est plus un objectif raisonnable. La question, c'est l'égalité des citoyens", note Laurent Davezies. France Stratégie s'aventure plus loin : "Les politiques publiques doivent donc favoriser le dynamisme des métropoles à travers la recherche, les équipements, l'économie et organiser une redistribution sociale vers ces zones en difficulté".

 

 

Il ne s'agit pas de combattre mais de gérer la fracture territoriale. Politiquement, cette stratégie est invendable. "Nos lois sont trop urbaines, trop tournées vers les métropoles", avertit Gérard Larcher, président LR du Sénat, qui veut placer le sujet au centre de la présidentielle.

 

 

 

Défilé de politiques

 

De droite ou de gauche, au pouvoir ou aspirant à y parvenir, les politiques de tous bords multiplient les déplacements dans ces territoires pour célébrer le dynamisme de PME innovantes et de quelques petites villes heureuses, Saint-Flour, Pontarlier, Sarlat, le Pays basque intérieur, pour ne citer que quelques contre exemples méritoires au mouvement de déclin.

 

 

Lors de comités interministériels à Vesoul et Bourg-en-Bresse, le gouvernement a proposé des mesures, des programmes économiques fléchés vers la ruralité au sens large et le périurbain éloigné. Les crédits débloqués et complétés par des fonds européens et les régions ne sont pas négligeables.

 

 

Mais cela ne fait pas rouvrir les usines, les fermes, les écoles et les commerces "à céder". Deux chiffres illustrent les déchirures du tissu économique : en 15 ans, coopératives viticoles et agricoles ont perdu 8 000 salariés, selon la mutualité sociale agricole. Un commerce sur deux n'a pas été repris dans les bassins d'emplois de 100 000 habitants.

 

 

 

Le FN laboure, mais n'est pas seul

 

Marine Le Pen s'érige en porte-parole de ces populations où les immigrés sont peu représentés. Hors la Côte d'Azur, métropole en croissance où l'implantation du FN est ancienne, la carte de ses meilleurs scores se superpose à celle des territoires en souffrance. "Mais ce votre reste protestataire et volatil. Si le FN monte, l'abstention progresse plus vite dans ces zones où la participation se révélait plus forte que dans les métropoles", note Bernard Sananes, directeur de l'institut Elabe qui ajoute : "La question de l'identité y est plus  prégnante que dans les villes et même les banlieues". Nicolas Sarkozy s'adresserait-il à ces oubliés de la République en évoquant nos ancêtres les Gaulois ?

 

 

Le socialiste Arnaud Montebourg vend à ces populations le "made in France", sorte de mélange entre protectionnisme et patriotisme. Jean-Luc Mélenchon y célèbre le retour de l'État avec des nationalisations, la retraite à 60 ans, les petites exploitations agricoles. Dans cette France inquiète du lendemain, les promesses et les propositions rappellent furieusement une France d'hier. Est-elle encore possible ? Les habitants attendent des réponses concrètes. Elles pèseront lourd dans la présidentielle 2017. Pascal Jalabert

 

 

66 % des classes populaires vivent dans la "France périphérique" des petites et moyennes villes ainsi que des zones rurales, selon les calcul de Christophe Guilluy

 

 

 

 

 

 

Christophe Guilluy, Géographe, auteur de Le Crépuscule de la France d'en Haut (Flammarion)

 

 

 

"Les catégories populaires ne vient plus là où se crée la richesse"

 

 

 

Qui sont les nouvelles classes populaires ?

 

Il s'agit des personnes dont les ressources sont inférieures ou égales à 1 600 euros net par mois, le revenu médian français. Les "nouvelles classes populaires" sont composées des personnes qui, progressivement, ont quitté la classe moyenne à cause de la mondialisation. Il y a d'abord les ouvriers, puis les petits employés, les paysans, les petits retraités... Elles ont en commun de ne plus être dans une logique d'intégration économique et sociale, ni pour elles ni pour leurs enfants.

 

 

Cette catégorie de la population, majoritaire, se trouve dans la France périphérique : les petites villes, les villes moyennes et les zones rurales. Une nouvelle géographie sociale émerge. Pour la première fois de l'Histoire, les catégories populaires ne vivent plus là où se crée la richesse. Les métropoles, qui concentrent les classes supérieures, sont devenues des citadelles imprenables, dont les couches modestes sont exclues.

 

 

 

Pourquoi cette France périphérique a disparu du discours des principaux partis politiques ?

 

Rendre invisible la France populaire permettait de valider le modèle économique choisi par les dirigeants, celui de la mondialisation. Mettre l'accent sur la France des catégories populaires, démontre que le système fonctionne économiquement mais ne fait pas la société : il n'est pas socialement durable car il n'intègre pas économiquement les gens, et ne leur offre pas de perspectives.

 

 

 

 

Quelles sont les conséquences politiques ?

 

Il existe une rupture entre les classes populaires et les classes supérieures. À force de voir que, malgré leur vote, malgré les débats, les choses ne changent pas, les classes populaires s'éloignent de plus en plus de la représentation. Ce processus a commencé par l'électorat ouvrier : il a abandonné le vote à gauche pour l'abstention ou le FN, parti qui a compris qu'il fallait être une chambre d'écho des classes populaires de ces territoires car il n'y avait plus personne sur ce créneau. Puis les autres catégories à mesure qu'elles étaient laissées sur le bord de la mondialisation ont adopté les mêmes réflexes. Le vote n'a plus de valeur. La réaction outragée des élites aux résultats du référendum sur la constitution européenne en 2005 ou sur le Brexit conforte cette idée que la représentation politique n'est qu'un barnum qu'on ne peut plus influencer. Ce qui pousse encore les gens davantage à la rupture.

 

 

 

C'est l'expression d'une colère ?

 

On est aujourd'hui au-delà de la colère. La classe populaire s'organise comme une contre-société. L'éloignement de la représentation se traduit par une réappropriation des valeurs traditionnelles, qui peuvent être la religion en banlieue ou l'identité, le village, le territoire dans la France périphérique des petites et moyennes villes et des zones rurales. Une contre-société s'organise par le bas. Non pas par idéologie, mais par obligation. Ses fondamentaux sont une ascension sociale bloquée et une forme de sédentarisation imposée. Les gens organisent leurs vies par rapport à leurs contraintes matérielles qui ordonnent un minimum de solidarité. Par exemple, on va partager la voiture parce qu'on pas pas de quoi la payer.

 

 

 

Quelle peut être la réponse à cette rupture ?

 

L'erreur était de croire que l'on pouvait adopter le modèle économique mondialisé sans ses conséquences sociétales, un creusement des inégalités entre catégories populaires et supérieures. Il faudrait une révolution des classes dirigeantes qui au lieu de se dire qu'elles vont "éduquer" le peuple s'interrogent : quelle place pour ces territoires industriels et ruraux dans le modèle mondialisé. Propos recueillis par Élodie Bécu

 

 

 



04/10/2016
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