le Progrès du mardi 6 décembre 2016
ITALIE - RÉFÉRENDUM. MATTEO RENZI TOMBE, L'EUROPE TITUBE
Les marchés financiers ont réagi avec calme à la victoire du "non" en Italie. Mais la suite après la démission du président du Conseil, reportée de quelques jours, est lourde d'incertitudes pour le pays, et pour l'ensemble de l'Union.
"J'ai perdu, j'en prends toute la responsabilité". Matteo Renzi a tenu parole : il a présenté hier soir sa démission de président du Conseil au président de la République, après le "non" des Italiens à sa réforme des institutions. Une démission logique, tant la défaite est lourde, à près de 60 %, et parce qu'elle vaut sanction de sa politique, au-delà de la réforme proposée. Elle ne sera cependant pas immédiate mais interviendra après le vote du budget 2017 dans quelques jours.
Transition, puis élections ?
La suite est dans les mains du très discret président Sergio Mattarella. Le plus probable est qu'il ignore les appels de l'opposition à convoquer des élections anticipées. Il devrait confier la tâche de former un gouvernement à une personnalité consensuelle, comme le ministre des Finances PierCarlo Padoan ou le président du Sénat Petro Gasso. Un gouvernement de transition, qui devra faire voter le budget. Et surtout réformer la loi électorale : elle met aujourd'hui face à face une Chambre des députés et un Sénat aux modes de scrutin très différents, mais dotés de pouvoirs égaux, gage de blocage politique. Cela repousserait les législatives de quelques mois, sinon à la date prévue de février 2018.
Les électeurs fâchés de l'Union
"Les Italiens ont désavoué l'Union et Renzi", a triomphé Marine Le Pen sur Twitter. Une "nouvelle révolte contre l'establishment", a titré le quotidien britannique Daily Mail. "Nous allons gagner le 15 mars", a promis Geert Wilders, leader de l'extrême droite aux Pays-Bas, dans une allusion aux législatives dans son pays... Trois réactions parmi d'autres, qui dessinent la théorie des dominos de la démocratie européenne. L'Italien Matteo Renzi suit le Britannique David Cameron, victime du Brexit, et pourrait précéder le Néerlandais Mark Rutte, et d'autres... "Le populisme n'est pas une fatalité pour l'Europe", veut croire Manuel Valls, après la défaite de l'extrême droite à la présidentielle en Autriche. Peut-être, mais il progresse à chaque scrutin.
L'Europe en apparaît tétanisée, rendue incapable de réaction par des gouvernements sous menace permanente.
Le Conseil européen de la semaine prochaine devrait à nouveau en témoigner, en particulier sur le dossier des réfugiés : Matteo Renzi a chuté aussi parce que l'Italie est depuis trois ans laissée seule face aux flux de migrants traversant la Méditerranée.
Les marchés en attente
Pas de panique, ont répondu hier les marchés financiers, très calmes. Ils avaient anticipé la défaite. Et ce "non" ne "peut être comparé au référendum britannique", a souligné le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, l'"Italexit" n'est pas au programme.
L'agence de notation Standar & Poors estimait hier de son côté que le non est "sans effet" sur la note de l'Italie - sans effet "immédiat"... Car les nuages planant sur l'économie italienne sont connus : des banques fragiles et une dette très élevée, qu'une remontée des taux d'intérêt rendrait vite insupportable. En clair, le "non" des Italiens reste lourd de tempêtes pour l'ensemble de l'Union. F.B.
59,11 % de "non" (avec une participation assez élevée, à 65 %) à la réforme proposée : diminution des pouvoirs du Sénat, réduction du nombre de parlementaires, changement de la loi électorale avec forte prime majoritaire.
Marc Lazar, professeur à Sciences Po Paris
"Le malaise social est profond en Italie"
Quelles sont les causes de la victoire du "non" ?
"Une partie des Italiens n'accepte pas de réforme des institutions, notamment celle-ci, qui renforçait l'exécutif. Ils estiment qu'il y avait un risque d'autoritarisme, de "césarisme", et c'est sans doute le poids de l'Histoire qui l'explique avec Mussolini, le socialiste Craxi dans les années 80, et plus récemment Berlusconi. Ensuite, Matteo Renzi clive énormément. Son style lui a créé beaucoup d'ennemis, ce qui a fait naître une coalition du "non" très hétérogène, de l'extrême droite à la gauche de la gauche, sans oublier ses opposants au sein du parti démocrate. Enfin, et c'est le plus important, les réformes de Renzi ont divisé les Italiens. Il a créé des emplois avec sa réforme du marché du travail, mais les inégalités se sont creusées, la pauvreté s'accroit, le Sud décroche plus que jamais... Le malaise social est profond".
Après Matteo Renzi, vient forcément Beppe Grillo ?
"Non, clairement. Après la démission de Renzi, le président de la République va chercher une personnalité pour former un nouveau gouvernement, qui aura deux tâches : faire adopter le budget, et préparer une nouvelle loi électorale. Grillo n'est pas encore au pouvoir".
Vous dites "pas encore"... Qui est Beppe Grillo, assez mal connu en France ?
"Son mouvement 5 Étoiles, qui recueille autour de 30 % des intentions de vote, est très étrange. Ses thématiques sont à la fois de gauche classique (augmentation des plus bas revenus), de gauche post-moderne sur l'environnement, et de droite, sinon de droite extrême sur les migrants. Il prend des voix à gauche comme à droite, chez les jeunes et les abstentionnistes... Il est à la fois dans l'horizontalité de la démocratie participative, et dans la verticalité d'un homme fort. Son Mouvement est aujourd'hui traversé par un débat assez vif entre la composante protestataire, et une composante qui veut gouverner. Il est enfin très critique de l'Europe, mais sans demander la sortie de l'Union, et réclame un référendum consultatif sur l'euro". Propos recueillis par Francis Brochet
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