"Le conflit malien est depuis longtemps internationalisé"
Le Monde.fr | • Mis à jour leLire : La presse anglo-saxonne s'inquiète de l'élargissement du conflit malien
Christophe Châtelot, journaliste en charge de l'Afrique au Monde, a répondu a vos questions.
Arturo : N'est-il pas trop tôt pour parler d'internationalisation alors que de nombreux observateurs soulignent encore la solitude française ?
Le conflit est internationalisé depuis longtemps. La présence militaire sur place comporte outre une présence française, la mission de stabilisation du Mali, la Misma qui est une coalition de pays africains. Sur le plan militaire, elle est internationalisée, et du côté islamiste, on peut considérer qu'il y a déjà eu internationalisation de leurs actions vu qu'ils agissent depuis déjà lontemps à partir du Mali en dehors de ses frontières.
Quant à la solitude de la France, je pense que c'est une erreur de parler de solitude. Dans ce type d'intervention coup de poing, telle qu'elle a été déclenchée le 11 janvier, on peut difficilement imaginer l'implication de forces issues de pays différents. L'efficacité de ces opérations tient à sa capacité opérationnelle et à sa vitesse de réaction qui est généralement portée par un seul pays.
Deuxième point, la France n'est pas isolée dès lors qu'un certain nombre de pays européens la soutiennent diplomatiquement et lui offrent une aide logistique, sans parler du contingent africain qui interviendra au côté des Français.
Rémi : Quelles peuvent être les réactions des pays occidentaux suite à la prise d'otage en Algérie ? Une participation plus active dans l'intervention au Mali ?
La prise d'otages en Algérie illustre la nature des risques liés à l'enracinement de groupes islamistes armés dans le nord du Mali et montre leur capacité à agir en dehors de leur sanctuaire. A l'image de la réaction américaine après l'assassinat de leur ambassadeur en Libye, à Benghazi, on peut s'attendre à ce que les pays concernés par cette prise d'otages réévaluent le risque et décident de s'engager plus avant.
Jesus : Pouvez-vous nous dire pourquoi parmi les soutiens moraux reçu par la France ces derniers jours (les Etats Unis, le Royaume Uni, l'Otan...) aucun de ces pays ou organisations internationales determinés à lutter contre le terrorisme ne déploie des forces sur sol malien ?
Depuis le début de la crise, en 2012, il a été reconnu à la France le rôle de leader sur ce dossier. C'est la France qui a "porté" les différentes résolutions votées à l'ONU. C'est également la France qui a travaillé à l'organisation et à la mobilisation des troupes africaines.
Sept pays occidentaux se sont déjà engagés à apporter une aide logistique à la France et à la mission africaine. Et la France, pour le moment, n'a pas demandé à ses partenaires l'envoi de troupes.
Pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis sont déjà très engagés dans la région sahélienne dans le cadre de formation de militaires de la région et de collecte de renseignements dont ils feront probablement bénéficier la France.
Tunisien : Vous ne craignez pas un transfert de conflit au sol français ?
Le gouvernement français a rehaussé son niveau d'alerte dans le cadre du plan Vigipirate. Preuve qu'il considère que le risques d'attentats liés à son engagement au Mali est plus important qu'avant.
Le risque n'est pas lié, semble-t-il, à l'existence de réseaux terroristes maliens non avérés à ce jour, mais plutôt à l'exacerbation d'un sentiment antifrançais au sein de réseaux islamistes originaires d'autres pays.
BP : Dans quelle mesure la prise d'otages changera-t-elle l'attitude de l'Algérie sur l'intervention au Mali ?
L'Algérie défendait jusqu'à récemment encore la voie de la négociation avec certains groupes islamistes armés du nord du Mali. Ils ont changé d'attitude depuis l'attaque menée par certains de ses partenaires de dialogue, le 10 janvier, au-delà de la ligne de démarcation virtuelle qu'ils s'étaient engagés à respecter auprès d'Alger. Cette opération a été ressentie comme une trahison par les Algériens qui ont décidé de fermer leurs frontières avec le Mali et d'autoriser le survol de leur territoire par les avions de chasse français.
C'était déjà le signe que l'Algérie ne croyait plus à cette voie négociée. La prise d'otages d'In Amenas devrait les conforter dans cette opinion. D'autant que certains des dirigeants de ces groupes islamistes sont des Algériens, qu'Alger avait réussi à chasser de son territoire et qui reviennent aujourd'hui y commettre des violences.
Bruno : La France est intervenue militairement au Mali avec 4 avions de combat, quelques hélicopteres et 800 hommes. Cela semble dérisoire. L'armée malienne est-elle si mal en point ? N'avait elle pas la capacité de le faire par elle-même ?
Il ne faut pas négliger la force de frappe de quelques avions de chasse et des hélicoptères français contre des colonnes de pick-up non protégés. On l'a vu en Libye au début de la guerre. L'aviation est d'une redoutable efficacité contre ces colonnes.
Par ailleurs, il ne s'agissait là que de la première phase de l'opération qui impliquera beaucoup plus de moyens en hommes et en matériel. Quant à l'armée malienne, elle a été mise en déroute en 2012 par les groupes rebelles. Démoralisée, mal équipée, elle est en plus divisée depuis le coup d'Etat du capitaine Sanogo le 22 mars 2012. Et depuis, elle ne s'est pas reconstituée et n'avait donc pas les moyens d'intervenir efficacement.
Alex : Pouvez-vous nous faire un point sur les forces africaines prêtes à intervenir au Mali en soutien de l'initiative française ?
Il y a deux composantes au sein des forces africaines qui ont commencé à se déployer au Mali. La première concerne la Misma. Huit pays se sont engagés et ont commencé à fournir des hommes. Il s'agit en premier lieu du Nigeria (900 hommes), dont un général dirige la Misma, le Togo (540 hommes), le Niger (500), le Burkina Faso (300), le Benin (300), le Ghana (180), la Guinée (145) et le Sénégal (450).
La deuxième composante concerne les pays qui ne sont pas membres de la Cédéao et on parle en premier lieu du Tchad qui s'est engagé aujourd'hui à envoyer un contingent de 2 000 hommes. Cette décision peut s'avérer essentielle pour cette intervention armée, connaissant la qualité des combattants tchadiens sur ce type de terrain.
Visiteur : Pourquoi les forces africaines mettent-elles du temps à se mettre en place ?
Elles n'ont pas mis autant de temps que cela à se mettre en place. La rébellion est apparue il y a un an seulement. Les semaines suivantes, le Mali a été plongé dans le chaos par un coup d'Etat. Il a donc fallu du temps aussi pour que le Mali, Etat souverain, formule ses demandes auprès de la communauté internationale. Il a fallu ensuite que les pays africains étudient ce qui leur été possible de faire sur le plan militaire ; ensuite définir l'objet et la nature de la mission à envoyer au Mali et franchir un certain nombre d'étapes à l'ONU.
Donc le double processus diplomatique et militaire prend nécessairement du temps. Quelques mois pour déployer plusieurs milliers de soldats originaires de neuf pays différents dépourvus pour certains de beaucoup de moyens, ce n'est finalement pas si long.
Etienne : Peut-on attendre des missions d'instruction et de formation de l'armée malienne de nets progrès par rapport aux missions de ce type que les Etats-Unis avaient mis en place depuis le début des années 2000 ? Si je ne me trompe pas ce sont ces troupes qui ont déserté en premier ou rejoint le camp de la rébellion djihadiste.
La formation des troupes maliennes est une nécessité, mais cela prendra énormément de temps. C'est essentiellement un argument politique. Ce conflit se déroule sur le sol malien, donc il est inenvisageable qu'il ne participe pas aux opérations. Ses programmes de formation consisteront probablement à identifier au sein de l'armée malienne les quelques unités réellement capables d'aller au combat, mais l'essentiel des opérations sera probablement conduit par la France et la mission africaine.
Marie-Hélène : Peut-on craindre un "enlisement"de plusieurs années comme ce fut le cas en Afganistan sur ce type de terrain ?
L'un des problèmes tient à l'évaluation des forces en présence au nord du Mali. Les premiers combats sembleraient démontrer qu'il existe un noyau de combattants bien entraînés et motivés qui seraient, en effet, difficile à déloger, sachant qu'ils évoluent sur un terrain plus grand que la France, terrain à la fois désertique et montagneux où ils peuvent se cacher.
La deuxième interrogation porte sur la motivation des sympathisants militants de cette cause. Vont-ils être dissuadés de se battre face à la violence des frappes françaises ou, au contraire, vont-ils percevoir cela comme une agression et de grossir les rangs de troupes armées ; ce qui compliquerait évidemment la tâche de reconquête du nord.
Visiteur : Est ce qu'il y a un risque de contagion à d'autres pays de la région (pays qui présentent les mêmes caractéristiques politico-socio-économiques : pauvreté, faible légitimité du pouvoir en place, inégalités, ...) ?
Les pays de la région n'ont pas été épargnés par l'activité de ces groupes islamistes. Donc on peut dire qu'ils sont déjà contaminés. La question est de savoir s'il existe un risque de propagation à large échelle. Et là, la question se pose, notamment, concernant l'attitude d'anciennes rébellions touareg au Niger, par exemple.
Par ailleurs, on peut se demander si en intervenant au Mali, la France et la coallition africaine ne donnent pas un coup de pied dans la fourmilière. Autrement dit, est-ce que de petits groupes ne peuvent pas tenter de fuir vers les pays frontaliers où ils pourraient à nouveau commettre des violences.
Visiteur : Que sait-on du soutien des différentes populations du nord Mali (arabes, touareg, etc.) aux islamistes ? Le Mouvement national de libération de l'Azawad-MNLA a-t-il encore un rôle à jouer ?
La présence d'Al-Qaida au Maghreb islamique, dans le nord du Mali, remonte à environ dix ans. Ils sont intégrés dans le tissu social. Ce sont souvent des Maliens, même si la direction du mouvement est plutôt algérienne. Donc, ils sont intégrés et jouent un rôle social. Les trafics auxquels ils s'adonnent sont générateurs de revenus qu'ils redistribuent dans une population désoeuvrée.
Par ailleurs, Ansar Eddine est un mouvement touareg malien, certes, islamiste, mais originaire du nord du Mali et partie intégrante de sa culture.
On peut donc supposer qui'il bénéficie d'un réel soutien auprès des populations arabes ou touareg. Quant au MNLA, il est vrai qu'il a été quasiment chassé du nord du Mali par les islamistes après l'offensive éclair de janvier et février 2012, mais il dispose encore de quelques forces, certes isolées, et d'un réseau de politiques établis à l'étranger qui peut être utilisé comme interlocuteur par certains pays.
Tom : Comment se déroulera l'après guerre ?
Il faut d'abord que la guerre se termine. Mais pour éviter la situation rencontrée en Libye par exemple, les responsables français et européens ont commencé à se pencher sur la question.
Le Mali, pays parmi les plus pauvres d'Afrique, aura besoin d'une aide financière massive pour reconstruire un Etat failli. Il faudra également que le Mali organise des élections et là aussi, la communauté internationale aura un rôle à jouer. Mais, dans tous les cas, je ne pense pas que le risque d'un néocolonialisme français existe réellement. Cela ne semble pas, en tous les cas, être le plan du gouvernement français.
Dandou : Est-ce rare d'avoir un conflit sans images ni vidéos ?
D'abord les conflits ne sont jamais faciles à couvrir. Parce que l'on se trouve souvent d'un côté ou de l'autre du front et que l'on a donc une vision parcellaire de la situation. Et au Mali, ce qui complique les choses, c'est que le nord est totalement inaccessible pour le moment à des journalistes occidentaux qui constituent autant d'otages en puissance.
Et le conflit est, pour le moment, d'une ampleur très limitée. Les routes sont facilement contrôlables par les armées présentes qui voient rarement d'un bon oeil la présence des journalistes. Sauf lorsqu'ils sont "embedded" [emarqué].
Chat modéré par Hélène Sallon
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