Franceinfo - le dimanche 2 septembre 2018
Prélèvement à la source : pourquoi l'exécutif tergiverse
L'exécutif semble de moins en moins confiant quant à la mise en place de la réforme du prélèvement à la source pour des raisons techniques, politiques et psychologiques
Le président de la république Emmanuel Macron donne une conférence de presse avec le Premier ministre Finlandais à Helsinki (Finlande), le 30 août 2018. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Après avoir défendu pendant des mois la réforme du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, l'exécutif doute. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a affirmé dimanche 2 septembre sur BFMTV, que le calendrier de mise en application sera tenu, mais "si et si seulement si les garanties techniques sont réunies". Et c'est là où le bât blesse.
Samedi, Le Parisien a révélé les résultats alarmants de la phase de test du prélèvement à la source. Si le gouvernement se veut rassurant, l'arrêt de la réforme, évoqué par le président de la République, n'est plus exclu par Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics, qui porte le dossier depuis plusieurs mois. Franceinfo a recensé les obstacles à la mise en place de cette réforme emblématique.
La crainte de problèmes techniques ?
"Le dispositif technique fonctionne, il est prêt !", a assuré Gérald Darmanin, samedi soir, sur Twitter. Pourtant, les révélations du Parisien, publiées quelques heures plus tôt, montrent que l'affaire n'est pas si simple. Selon un document confidentiel du fisc, auquel le quotidien a eu accès, le dispositif était loin d'être au point lors des tests des derniers mois. En février 2018, par exemple, plus de 350 000 erreurs ont été recensées. D'un mois à l'autre, le nombre d'anomalies varie du pire au meilleur. Aucune anomalie n'a par exemple été repérée au mois de juin dernier, alors qu'elles ont fait leur réapparition en juillet et en août.
Dans ces conditions, comment savoir si le mois de janvier sera un bon mois ou un mauvais ? Gérald Darmanin assure samedi sur Twitter que "les erreurs identifiées [...] ont été depuis résolues".
Les deux principaux bugs techniques rencontrés sont des doublons, qui pourraient selon Le Parisien, mener à des prélèvements multiples (ce que nie le ministère) et des erreurs de prélèvement avec des homonymes. Surtout, le manque d'équipement des entreprises est pointé du doigt dans le document. Alors que la réforme a déjà été repoussée d'un an, et devrait théoriquement entrer en application en janvier 2019, les employeurs n'auraient pas mis à jour leurs logiciels de paie. De nombreuses déclarations sociales nominatives (DSN), envoyées au fisc par les entreprises, sont truffées d'erreurs, assure Le Parisien.
Des problèmes techniques dont a pris connaissance le président de la République. "J'ai besoin d'une série de réponses très précises, affirmait-il jeudi 30 août. C'est une réforme complexe, qui demande beaucoup de travail." La date du 15 septembre a été fixée comme limite par l'exécutif pour arriver à une décision sur le sujet. Quinze petits jours pour régler ces questions techniques et convaincre le chef de l'Etat de ne pas abandonner la réforme.
La frousse d'une défaite politique ?
L'opposition, de son côté, crie à la défaite politique. "Des problèmes techniques ? Je n'y crois pas une seconde", balaye l'ancien secrétaire d'Etat au Budget, Christian Eckert, qui a lancé la réforme sous François Hollande, auprès de Libération.
Toute cette histoire n'est donc qu'une affaire politique.à "Libération"
"Ces bugs techniques, qui viennent de nulle part, ont bon dos pour peut-être préparer les esprits à une reculade, [...] non pas technique, mais politique", a tancé sur franceinfo Jean-François Copé, ancien ministre délégué au Budget. Favorable à la réforme, qu'il juge "très bonne", le maire Les Républicains de Meaux affirme que l'administration fiscale est "parfaitement capable de mettre tout cela en place".
Le problème est-il politique, technique, ou les deux ? La réforme du prélèvement à la source tourne, en tout cas, au bras de fer entre le président et son ministre des Comptes publics. D'un côté, Gérald Darmanin ne veut pas faire machine arrière, lui qui a passé beaucoup de temps à expliquer la réforme, par exemple lors d'une longue interview dans Le JDD, en avril.
De l'autre, le président voit d'un mauvais œil les conséquences politiques d'un éventuel fiasco lors de la mise en application de la réforme, prévue en janvier prochain. Car la réforme concerne 38 millions de foyers fiscaux et la majorité craint de payer dans les urnes l'application de la mesure. Les élections européennes, premier scrutin depuis l'arrivée à l'Elysée d'Emmanuel Macron, sont prévues quelques mois plus tard, le 26 mai 2019.
La peur d'un effet psychologique ?
Autre problème : le prélèvement à la source fait mécaniquement baisser le chiffre affiché en bas de la fiche de paie. Pour certains analystes, le changement aura du mal à passer chez les Français.
L'effet psychologique du prélèvement à la source sera brutal.au "Point"
Pour certains, cet effet sur la psychologie des ménages pénalisera également la croissance. "Comme le moteur de la croissance en France a toujours été la consommation, on risque d'avoir des comportements d'attente, estime le député Les Républicains Gilles Carrez, interrogé par France 2. Psychologiquement, il peut y avoir le sentiment d’une perte de pouvoir d’achat, abonde auprès du Parisien Cendra Motin, députée LREM de l’Isère. Il ne faudrait pas que cela fasse comme lors du passage à l'euro, lorsque la consommation des ménages a chuté."
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