Franceinfo - le samedi 1er décembre 2018
Baisse des taxes, référendum populaire, zéro SDF... On a décortiqué les 42 revendications des "gilets jaunes"
Franceinfo a comparé les demandes des "gilets jaunes" à ce qui existe déjà, ou ce qui a été promis, sur le sujet
Des "gilets jaunes", le 18 novembre 2018, à Caen (Calvados). (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)
Une liste hétéroclite, qui illustre la variété des revendications des "gilets jaunes". Le mouvement de contestation, lancé en réaction à la hausse du prix des carburants à la fin octobre, s'est ensuite élargi à la critique des taxes en général et de la baisse du pouvoir d'achat. Pour preuve : une liste contenant une quarantaine de revendications allant de l'augmentation du smic au retour au septennat, a été envoyée jeudi 29 novembre aux médias et aux députés.
Cette liste de "directives du peuple" doit être "transpos[ée] en loi", réclame le mouvement. Franceinfo a décortiqué ces mesures (en gras), en indiquant pour chacune d'entre elles la position du gouvernement à ce sujet ou des éléments de contexte.
Aller lire directement les revendications concernant : la précarité, les retraites, la fiscalité et les banques, la transition écologique, la réforme des institutions, l'emploi et les salaires, l'économie, la politique migratoire, la santé, les autres revendications...
Sur la précarité
• "Zéro SDF : URGENT." C'était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Deux mois après son élection, en juillet 2017 à Orléans (Loiret), il avait assuré ne plus vouloir "personne dans les rues d'ici à la fin de l'année", relève Le Parisien. Promesse manquée.
Le gouvernement assure avoir créé 13 000 places d'hébergements supplémentaires cette année-là, note France 3. Mais c'est insuffisant pour un pays qui comptait 141 500 personnes sans domicile fixe en 2012, selon les derniers chiffres de l'Insee. Emmanuel Macron a d'ailleurs reconnu son échec lors de ses premiers vœux aux Français, le 31 décembre 2017.
Plus récemment, le Sénat a voté mardi 27 novembre des amendements du gouvernement supprimant des avantages fiscaux pour les personnes mettant à disposition des logements pour les sans-abri ou mal-logés, note Public Sénat. Ces avantages avaient été votés par l'Assemblée dans le projet de budget 2019. L'un prévoyait la possibilité de déduire de l'impôt sur le revenu d'un propriétaire le montant de la taxe foncière d'un bien immobilier gracieusement mis à disposition des associations d'accueil et de logement des personnes défavorisées reconnues d'utilité publique. Le second ouvrait le droit de réduire de l'impôt sur le revenu 66% du montant de la valeur locative d'un bien immobilier gracieusement mis à disposition de ces mêmes associations.
• "Les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés sur l'inflation." Chaque année, l'augmentation mécanique du smic est en partie liée à l'inflation. Grâce à ce mode de calcul, cette revalorisation devrait tourner autour de 2% en 2019. Problème : d'après les chiffres du ministère du Travail, communiqués en août dernier, les prix augmentent plus vite que les salaires.
Entre les mois de juin 2017 et juin 2018, dans les entreprises de plus de 10 salariés, le salaire mensuel de base a progressé de 1,5% alors que l'inflation a, elle, grimpé de 1,7%, résument Les Echos. Quant aux retraites et aux allocations, le gouvernement a affirmé qu'elles ne seront pas indexées sur l'inflation. En août, Edouard Philippe a annoncé dans Le JDD qu'elles ne progresseront que de 0,3 % par an en 2019 et en 2020, soit bien en dessous de l'inflation qui a atteint les 2,3% pendant l'été.
• "Augmentation des allocations handicapés." L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est passée à 860 euros par mois pour une personne seule le 1er novembre, contre 810 euros auparavant. Elle atteindra 900 euros le 1er novembre 2019. Selon le Premier ministre, cette hausse de 90 euros en deux ans représente "un effort supplémentaire de deux milliards d'euros sur le quinquennat".
• "Limitation des loyers. Plus de logement à loyers modérés (notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires)." Prévu dans une trentaine d'agglomérations par la loi Alur portée par Cécile Duflot lorsqu'elle était ministre du Logement au début du quinquennat Hollande, l'encadrement des loyers n'a été appliqué qu'à Paris, à partir de 2015, et Lille, en 2017. La justice a mis un coup d'arrêt à ces mesures à la fin 2017. Une décision confirmée le 26 juin 2018 par la cour administrative d'appel de Paris.
• "Les prix du gaz et de l'électricité ayant augmenté depuis qu'il y a eu privatisation, nous voulons qu'ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente." Aujourd'hui, l'Etat détient 83,7% du capital d'EDF et 23,64% d'Engie. Pour le premier, le gouvernement ouvrira "une réflexion sur le renforcement de sa participation au capital de l'entreprise en lien avec les enjeux et risques particuliers de l'activité nucléaire". D'après une source proche du dossier, citée par Reuters, une option consisterait à réguler les prix du nucléaire et à nationaliser le parc de centrales d'EDF pour le mettre à l'abri des soubresauts du marché et de la concurrence. Quant aux prix du gaz, ils dépendent des tarifs réglementés de vente (TRV) appliqués par Engie et calculés selon différentes variables (les coûts d'acheminement, de stockage, etc...).
Le gouvernement prévoit de mettre fin à ces tarifs spécifiques au 1er juillet 2023, pour se conformer au droit européen.
Sur les retraites et les personnes âgées
• "Retraite à 60 ans et pour toutes les personnes ayant travaillé dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple) droit à la retraite à 55 ans." L'âge légal du départ à la retraite est aujourd'hui fixé à 62 ans et le gouvernement a dit sa détermination à ne pas revenir sur ce point. Aujourd'hui, hors régimes spéciaux, seuls certains salariés dont la carrière est considérée comme "pénible" peuvent partir à la retraite dès 60 ans.
Mais les conditions actuelles pour bénéficier de ce départ anticipé sont très strictes, comme l'explique Capital (ils doivent faire valoir une incapacité permanente d'au moins 20% liée à leur condition de travail, faire partie du régime général ou agricole...). Le gouvernement prévoit une vaste réforme des retraites dont on ne connaît que les premiers arbitrages. Elle devrait instituer un droit à partir plus tôt tenant compte de la pénibilité, même si les détails de la réforme ne sont pas encore connus.
• "Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé (pas de retraite à points)." Dans la nouvelle réforme des retraites, il est prévu de passer d'un système basé sur les anciens salaires à un système de cotisation par points. "Au lieu de calculer le montant de votre retraite en fonction d'une série d'anciens salaires [les 25 meilleures années pour les travailleurs du secteur privé], on pose le principe suivant : chaque fois que vous cotisez, même un euro, cela crédite vos droits à la retraite", explique dans L'Obs Antoine Bozio, l'un des inspirateurs de la réforme lancée par Emmanuel Macron. Mais attention, "on fonctionne toujours par répartition : les actifs cotisent pour financer les pensions des retraités. Il ne s'agit pas de passer à un système par capitalisation".
• "Pas de retraite en dessous de 1 200 euros." Aujourd'hui, les retraités ayant effectué une carrière complète peuvent bénéficier du minimum contributif de la retraite générale. Ce dispositif instaure un plancher minimum pour les pensions de retraite bien inférieur au smic, puisqu'il est fixé depuis octobre 2017 à 634,66 euros par mois (7 615,94 euros par an), indique le site service public. Ce montant est majoré si le retraité a cotisé plus de 120 trimestres (693,51 euros par mois et 8 322,13 euros par an).
• "Interdiction de faire de l'argent sur les personnes âgées. L'or gris, c'est fini. L'ère du bien-être gris commence." Nourriture rationnée, soins bâclés, personnels insuffisants ou intérimaires : en septembre, l'émission de France 2. "Envoyé spécial" avait enquêté sur les conditions de vie des pensionnaires dans les Ehpad privés, qui coûtent parfois plusieurs milliers d'euros par mois.
Pas facile de cerner avec précision ce que réclament les "gilets jaunes" dans cette proposition. Lors des rassemblements, la hausse de la CSG a été citée par de nombreux manifestants comme l’une des causes de leur mécontentement.
Cet impôt est accusé de peser injustement sur les personnes âgées puisqu’il est calculé sur l’ensemble des revenus touchés par le contribuable, dont la pension de retraite. Face au mécontentement, Edouard Philippe a annoncé en septembre l'exonération de la hausse de la CSG pour 300 000 foyers de retraités à partir de 2019. Malgré l’annonce, la Confédération française des retraités a exprimé sa méfiance.
Sur la fiscalité et les banques
• "Impôt sur le revenu plus progressif (davantage de tranches)." Aujourd'hui, il existe cinq tranches dans le barème d'imposition du revenu français. Le nombre de tranches du barème et les taux d'imposition applicables à chaque tranche (de 0% à 45%) restent inchangés dans le projet de loi de finances pour l'année 2019. En revanche, ce dernier prévoit une revalorisation de 1,6% des tranches de l'impôt sur le revenu, pour prendre en compte l'inflation.
• "Que les gros (McDo, Google, Amazon, Carrefour...) payent gros et que les petits (artisans, TPE, PME) payent petit." Dans la loi, l'impôt sur les entreprises est progressif : plus les résultats financiers d'une entreprise sont importants, plus elle doit contribuer à l'impôt.
Mais plusieurs multinationales telles que Google, Apple, Facebook ou Amazon (que l'on désigne sous l'acronyme Gafa), évitent en partie l'impôt français grâce à des montages financiers. Et ce, malgré les poursuites judiciaires engagées. Plusieurs entreprises françaises, comme Carrefour ou EDF, sont aussi concernées.
• "Pas de prélèvement à la source." Cette réforme emblématique du quinquennat d'Emmanuel Macron doit rentrer en vigueur le 1er janvier 2019. Après une semaine d'incertitude au début du mois de septembre, le gouvernement a exclu toute possibilité d'abandon de cette mesure.
• "Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte Bleue." Lors d'un paiement par carte bancaire chez un commerçant, ce dernier paie une commission à sa banque. Cet argent est ensuite reversé à votre établissement, qui a rendu possible le paiement.
Depuis le 7 décembre 2015, un règlement européen limite ces commissions interbancaires "à 0,3% par opération pour les cartes de crédit et à 0,2% pour les cartes de débit". En ce domaine, la baisse a été importante : entre 2014 et 2016, les commissions interbancaires de paiement ont baissé de 42%, note le Comité national des paiements scripturaux.
Sur la transition écologique
• "Grand plan d'isolation des logements (faire de l'écologie en faisant faire des économies aux ménages)." Plusieurs mesures existent déjà pour aider à financer ses travaux d'économie d'énergie. La loi sur la transition énergétique votée en 2015 a ainsi instauré un dispositif de chèque énergie pour aider les ménages aux faibles revenus à payer leurs factures ou à réaliser des travaux de rénovation énergétique.
En 2018, pour sa première année d'existence, ce chèque a bénéficié à 3,6 millions de ménages, pour un montant allant de 48 à 227 euros. Le gouvernement a par ailleurs annoncé que le chèque allait être étendu à 5,8 millions de ménages en 2019 et augmenté de 50 euros. Parmi les autres mesures existantes, citons le crédit d'impôt transition énergétique (CITE), les subventions de l'Agence nationale de l'habitat, mais aussi les aides de certaines collectivités territoriales.
• "Fin de la hausse des taxes sur le carburant." Emmanuel Macron a exclu de supprimer la taxe sur les carburants (TICPE), dans son discours sur la transition énergétique mardi 27 novembre. "On ne peut pas être le lundi pour l'environnement et le mardi contre l'augmentation des prix du carburant", a-t-il justifié.
Mais il a annoncé que celle-ci serait modulée, en fonction des cours mondiaux. En clair : la taxe sera baissée en cas de nouvelle "envolée", afin que les automobilistes les plus dépendants des carburants n'en paient pas le prix.
• "Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée." Le 24 novembre, le gouvernement a dévoilé, à l'issue du Conseil des ministres, son projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), qui vise à améliorer les transports et à rendre moins polluants les déplacements. Ce texte prévoit un "effort sur le fret ferroviaire". Ses contours seront précisés en février, lors de son examen au Parlement.
• "Taxe sur le fuel maritime et le kérosène." Les anciens ministres de l'Ecologie, Ségolène Royal et Nicolas Hulot, ont pointé l'absence de taxes dans le secteur aérien et maritime. Interrogée sur ce point par franceinfo, la secrétaire d'Etat Brune Poirson s'est dit favorable à des taxes sur le kérosène, mais pas "au niveau national". "Les vols intérieurs, ça représente 4% du trafic aérien. Ce sont des mesures que nous devons prendre au niveau européen, a-t-elle affirmé. La France se bat là-dessus. On va continuer à se battre."
Sur la réforme des institutions
• "Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transport seront surveillés et remboursés s'ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et aux chèques-vacances." Les indemnités des élus sont en général bien supérieures au salaire médian (1 797 euros net mensuel en 2015, selon l'Insee), comme les 7 209,74 euros brut perçus par les parlementaires. A noter toutefois : l'indemnité perçue par les maires démarre à 658 euros brut, dans les communes de moins de 500 habitants.
Mais attention, souligne l'administratrice de projet Arcadie, un site de base de données sur les parlementaires : "En donnant une indemnité aux parlementaires, on garantit une forme d'indépendance et d'autonomie", afin d'éviter leur "corruption". En clair, un élu qui touche 1 800 euros par mois, comme le réclament les "gilets jaunes", risquerait d'être plus clément à accepter les pots-de-vin que celui qui est mieux rémunéré.
• "Le référendum populaire doit entrer dans la Constitution. Création d'un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si elle obtient 700 000 signatures alors elle devra être discutée, complétée, amendée par l'Assemblée nationale qui aura l'obligation (un an jour pour jour après l'obtention des 700 000 signatures) de la soumettre au vote de l'intégralité des Français." En France, l'initiative de la loi appartient au gouvernement et aux parlementaires. Le référendum d'initiative populaire, c'est-à-dire organisé à l'initiative de tout ou partie du corps électoral, n'est pas prévu par la Constitution, rappelle le site du Sénat. L'initiative du référendum appartient au président de la République.
Cette proposition des "gilets jaunes" ressemble beaucoup à ce qui existe en Suisse, où certains actes votés par le Parlement, notamment les révisions de la Constitution, sont obligatoirement soumis au vote des citoyens. France Inter a consacré en avril 2017 une chronique à cette spécificité de nos voisins, où la démocratie directe est beaucoup plus développée qu'en France.
• "Retour à un mandat de sept ans pour le président de la République. (L'élection des députés deux ans après l'élection du président de la République permettait d'envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique. Cela participait donc à faire entendre la voix du peuple.)" Des groupes de gauche et de droite (UDI-Agir-Indépendants, communistes, LR, RN) ont défendu le retour du septennat à l'Assemblée, lors des débats sur le projet de réforme des institutions, en juillet dernier.
Si la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a reconnu que "le quinquennat a fait évoluer la pratique de notre régime", elle estime qu'il permet aux institutions d'être "à la fois stables et efficaces". Le quinquennat a été instauré par référendum, en pleine cohabitation entre Lionel Jospin et Jacques Chirac.
• "Fin des indemnités présidentielles à vie." Outre des locaux meublés, une voiture avec chauffeur et plusieurs collaborateurs, les ex-chefs de l'Etat touchent aujourd'hui une dotation annuelle de 65 000 euros, sans compter les 14 400 euros mensuel pour ceux qui siègent au Conseil constitutionnel.
Un décret publié en 2016, lors du quinquennat Hollande, a néanmoins instauré une dégressivité de ces avantages : au-delà de ces cinq années, le nombre des "collaborateurs permanents" passe de sept à trois, et celui des agents de service de deux à un.
Sur l'emploi et les salaires
• "Fin du travail détaché. Il est anormal qu'une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des même droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu'un employeur français." La question des travailleurs européens détachés a été l'un des thèmes emblématiques de la campagne présidentielle. Après plus de deux ans de débat, le Parlement européen a adopté, au mois de mai, à une large majorité une réforme accordant à ces travailleurs un salaire identique pour un même travail au même endroit, mais aussi tous les bonus prévus dans ce pays (comme les primes, de pénibilité, d'ancienneté ou le treizième mois). Emmanuel Macron avait salué "un succès essentiel pour une Europe qui protège". Les Etats membres ont désormais un délai de deux ans pour transposer cette directive.
• "Pour la sécurité de l'emploi : limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI." Le 9 novembre, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place, au début de l'année 2019, d'un système de bonus-malus pour inciter les entreprises à limiter leur recours aux CDD. "Les entreprises, qui favorisent l'emploi durable pour les gens et donc la stabilité, auront des bonus et celles qui font trop de contrats courts auront des malus", a-t-il expliqué, sans en dire beaucoup plus.
• "Smic à 1 300 euros net." Actuellement, le salaire minimum de croissance (smic) est de 1 184,93 euros net. Chaque année, au 1er janvier, le smic bénéficie d'une hausse mécanique, calculée selon deux critères : l'inflation constatée pour les 20% de ménages aux plus faibles revenus et la moitié du gain de pouvoir d'achat du salaire horaire de base ouvrier et employé (SHBOE). "Compte tenu des tendances sur l'inflation", l'augmentation de cette année sera "une augmentation qui sera supérieure à celle de l'année dernière", a assuré jeudi 29 novembre sur franceinfo la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, qui ne prévoit toutefois pas de "coup de pouce". Le chiffre exact sera annoncé "le 19 décembre".
• "Salaire maximum fixé à 15 000 euros." Pendant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon avait proposé de limiter les salaires par le haut, notamment pour les grands patrons. Le candidat de La France insoumise prévoyait notamment de fixer un écart de 1 à 20 dans les entreprises entre les plus petites et les plus grosses rémunérations. Par exemple, dans une entreprise où certains employés sont payés au smic, soit 1 498,47 euros brut mensuel, les plus gros salaires ne pourraient pas dépasser 29 969,40 euros brut. Dans leurs doléances, les "gilets jaunes" vont encore plus loin.
• "Que des emplois soient créés pour les chômeurs." C'est l'un des objectifs affichés par le gouvernement, ou par François Hollande qui voulait "inverser la courbe de chômage". Mais après un bond en début d'année, les créations d'emplois ont ralenti au deuxième semestre. "Les créations d'emplois ne sont pas suffisantes pour faire baisser le chômage et absorber la population active", indique Bruno Ducoudré, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Malgré la croissance en hausse et les réformes gouvernementales en cours, le taux de chômage est resté stable au troisième trimestre 2018 à 9,1%.
Sur l'économie
• "Protéger l'industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c'est protéger notre savoir-faire et nos emplois." Le sujet a fait la une de l'actualité avec les licenciements des salariés de Whirlpool dont l'usine d'Amiens (Somme) a été délocalisée en Pologne. Difficile pour autant de songer à une interdiction pure et simple des délocalisations pour les entreprises étrangères employant sur le territoire français.
"Whirlpool a fait le choix de délocaliser dans un pays à bas coût, je le désapprouve. La réponse ne peut pas être d'interdire les délocalisations, cela freinerait l'activité à terme. Mais c'est le combat que je mène pour une convergence sociale et fiscale en Europe", avait expliqué Emmanuel Macron, en octobre 2017.
• "Fin du CICE. Utilisation de cet argent pour le lancement d'une industrie française de la voiture à hydrogène (qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique)." Mayotte est le seul département français qui conserve le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), a confirmé lundi 19 novembre la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.
Dans les autres départements, le CICE sera transformé en baisses de cotisations sociales pérennes pour les entreprises en janvier 2019, une des promesses de campagne d'Emmanuel Macron.
Concernant les voitures à hydrogène, les partis d'opposition sont nombreux à demander des aides pour la filière. Le gouvernement a annoncé en juillet dernier l'ouverture aux poids-lourds à hydrogène de l'aide à l'achat qui concernait jusqu'ici ceux roulant au gaz naturel, relève Le Point.
• "Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (barrage aéroport…)" En 2015, l'Etat a cédé 49,99% du capital de l'aéroport de Toulouse (Haute-Garonne) à Casil Europe, une holding française créée par le groupe d'Etat chinois Shandong High Speed Group et le fonds d'investissement hongkongais Friedmann Pacific Asset Management. L'année suivante, 60% des parts des sociétés Aéroports de Lyon et Aéroports de Nice-Côte d'Azur ont été cédés à des consortiums menés par Vinci et le groupe italien Atlantia. Et début octobre, l'Assemblée a voté la loi autorisant le gouvernement à engager la privatisation d'Aéroports de Paris en 2019.
Dans son rapport publié en novembre, la Cour des comptes appelle pourtant à ne pas reproduire "l'échec" de Toulouse. Le gouvernement assure que des garde-fous ont été prévus dans la loi Pacte pour éviter que cette privatisation ne mette en péril les intérêts de l'Etat.
• "Favoriser les petits commerces des villages et centres-villes (cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce) et plus de parkings gratuits dans les centres-villes." C'est un sujet qui préoccupe les élus locaux et les gouvernements successifs. La vacance commerciale, c'est-à-dire le taux de locaux vides, atteint 8,2% dans les centres-bourgs des villes moyennes (contre 6,6% en moyenne au niveau national), selon les chiffres du ministère de la Cohésion des territoires.
Le Sénat a d'ailleurs adopté en juin dernier une proposition de loi ayant pour ambition de revitaliser quelque 700 centres-villes en y favorisant le retour des habitants, des commerces et des services publics. Mais il n'était pas question de stoppper la construction de zones commerciales.
• "L'intégralité de l'argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l'entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu'à la sécurité routière." En 2016, les recettes des péages (PDF) ont dépassé les 9,5 milliards d'euros. Environ 40% de ces recettes sont parties dans les poches de l'Etat, qui loue les autoroutes aux sociétés privées qui les exploitent, note Le Parisien. Et 30% de ces recettes ont servi à financer les investissements dans l'extension ou l'entretien du réseau. Le reste (30%) représente les coûts d'exploitation du réseau et les résultat nets des sociétés qui les exploitent.
• "Fin de la politique d'austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l'argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale." Plusieurs organisations altermondialistes ou classées à gauche réclament depuis longtemps un audit de la dette publique et notamment d'interdire aux marchés d'y prélever des intérêts.
Si cette proposition a parfois été reprise par La France insoumise, la "croyance" selon laquelle l'Etat verserait aux marchés de copieux intérêts "n'est pas en phase avec la réalité", selon Les Echos. D'après le journal, l'Etat français emprunte même à des taux négatifs pour les durées inférieures à cinq ans.
A propos de la lutte contre la fraude fiscale, le Parlement a adopté en octobre un projet de loi créant une police fiscale et mettant fin au controversé "verrou de Bercy" qui ne permettait pas à la justice de se saisir – sans passer par le ministère du Budget – des affaires d'évasion fiscale.
Sur la politique migratoire
• "Que les causes des migrations forcées soient traitées." Le nombre de migrants dans le monde est estimé à 258 millions en 2017, soit 3,4% de la population mondiale. Parmi eux, 68,5 millions sont des déplacements forcés, estime le Haut Commissariat aux réfugiés de l'ONU, qui les explique par les "effets de la crise en République démocratique du Congo, de la guerre au Soudan du Sud" et par "la fuite de centaines de milliers de réfugiés rohingyas vers le Bangladesh depuis le Myanmar [Birmanie]".
Pour endiguer ces migrations, qui partent principalement des pays en voie de développement, les pays les plus riches tablent sur l'aide publique au développement. En 2017, cette aide a atteint 146 milliards de dollars (près de 130 milliards d'euros) dans le monde. La France se classe au 5e rang en volume d'aide, avec 11,4 milliards de dollars (un peu plus de 10 milliards d'euros) cette année-là (0,43% du revenu national brut) – un chiffre en hausse de 15% par rapport à 2016, notent Les Echos.
Si Emmanuel Macron a promis durant sa campagne d'amener ce chiffre à 0,55% du revenu national brut d'ici à la fin du quinquennat, cet objectif est encore loin de la promesse faite par la France en 1982 d'atteindre les 0,7% du RNB d'ici à l'an 2000.
• "Que les demandeurs d'asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l'alimentation ainsi que l'éducation pour les mineurs. Travaillez avec l'ONU pour que des camps d'accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l'attente du résultat de la demande d'asile." Le projet de loi Asile et immigration, adopté par le Parlement en août 2018, allonge notamment la durée maximale de rétention des migrants, de 45 à 90 jours. Les délais pour déposer son dossier et pour effectuer des recours ont, en revanche, été strictement limités. Bilan : le projet de loi est jugé plus "ferme" qu'"humaniste" par les associations.
• "Que les déboutés du droit d'asile soient reconduits dans leur pays d'origine." La France a enregistré un peu plus de 100 000 demandes d'asile en 2017, un niveau historique. Parmi ces demandeurs, seul un gros tiers (36%) ont obtenu le statut de réfugié. Mais tous les autres (qu'ils aient été déboutés en 2017 ou avant) n'ont pas été reconduits à la frontière.
Ainsi, "nous avons éloigné 26 000 personnes l'an dernier, avec une hausse de 14% des éloignements forcés" qui ont représenté 14 000 cas sur les onze premiers mois de l'année, a assuré en janvier 2018 Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur à l'époque.
• "Qu'une réelle politique d'intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d'histoire de la France et cours d'éducation civique avec une certification à la fin du parcours)." "Tout postulant à la naturalisation française est appelé à se présenter devant un agent de préfecture pour un entretien individuel. Cet entretien a pour but de vérifier, en vertu de l'article 21-24 du Code civil, que le demandeur possède notamment une connaissance suffisante de l'histoire, de la culture et de la société françaises", rappelle le site du ministère de l'Intérieur.
Pour cela, un livret du citoyen de 28 pages est mis à la disposition des postulants, qui rappelle les "principes" et "valeurs essentielles de la République française", mais aussi "l'organisation politique française" et quelques "rappels historiques" (naissance et mort de Jeanne d'Arc ou de Charles de Gaulle, philosophie des Lumières, dates des guerres mondiales, etc.).
Sur la santé
• "Même système de Sécurité sociale pour tous (y compris artisans et autoentrepreneurs). Fin du RSI." Le Premier ministre, Edouard Philippe, a acté la fin du régime social des indépendants (RSI), en septembre 2017. Depuis le 1er janvier 2018, ce dernier est progressivement rattaché au régime général de la Sécurité sociale, avec une période transitoire de deux ans.
• "Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie." Le député La France insoumise François Ruffin a prôné en juillet un "relèvement immédiat de 30%" du budget de la psychiatrie en France pour mettre fin à la "maltraitance" des malades. Cette mesure, qui a donné lieu à une proposition de loi enregistrée à l'Assemblée début novembre, doit être étudiée par la commission des affaires sociales.
Les autres revendications
• "Fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste, des écoles et des maternités." L'accès aux services publics est une revendication très partagée parmi les "gilets jaunes". Il faut peut-être y voir une conséquence de l'inégalité des territoires dans l'accès aux services de proximité. "Entre les communes les plus 'denses' et les moins 'denses' (...) les temps d'accès vont du simple au triple", note une étude de l'Insee de janvier 2016.
Voici ce qu'on peut dire des exemples précisément cités dans cette revendication :
- Le rapport Spinetta, inspiration de la réforme de la SNCF adoptée en juin, a proposé la fermeture des petites lignes moins rentables. Si le gouvernement n'a pas retenu cette solution, les petites lignes restent menacées par le manque d'entretien, souligne Marianne.
- Du côté de La Poste, "l'épidémie de fermetures s'étend", relève l'association 60 millions de consommateurs, avec 404 bureaux fermés entre début 2016 et début 2017.
- Entre 2005 et 2017, plus de 5 000 écoles publiques ont fermé en France métropolitaine et outre-mer, d'après les statistiques de l'Education nationale.
- Le nombre de maternités a été divisé par trois en quarante ans, relève Le Monde, qui précise que "ce sont les établissements les moins techniques qui ont fait les frais de cette concentration". Concernant la maternité du Blanc (Indre), fermée provisoirement depuis l'été dont le personnel s'est mobilisé, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a en outre estimé qu'elle était "dangereuse".
• "Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l'armée. Que les heures supplémentaires des forces de l'ordre soient payées ou récupérées." En 2019, le budget des armées augmentera de 1,7 milliard d'euros, selon la ministre Florence Parly, pour atteindre 35,9 milliards d'euros. Du côté de la justice, il sera hausse de 4,5% avec un budget total de 7,3 milliards.
En ce qui concerne les conditions de travail des forces de l'ordre, une commission d'enquête parlementaire du Sénat a révélé, en septembre, un chiffre préoccupant : 21,82 millions d'heures supplémentaires n'ont pas été indemnisées ou récupérées chez les forces de l'ordre. Le rapport préconise donc de payer en partie et progressivement ces heures supplémentaires, et de les intégrer dans la loi de finances 2019. Problème : cela représente 272 millions d'euros. S'ils devaient les récupérer, il faudrait que chaque policier pose environ 26 jours de récupération d'ici à la fin de l'année, note France 3.
Interrogé au Sénat, Christophe Castaner – ministre des relations avec le Parlement à l'époque – avait affirmé : "Le ministère de l'Intérieur se mobilise aujourd'hui pour que les gendarmes, les policiers, qui exercent leur métier dans ces conditions difficiles, puissent trouver très vite le paiement ou la compensation de ces heures qui sont nécessaires."
• "Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la terminale." C'est l'une des demandes récurrentes des syndicats d'enseignants. Pendant la campagne présidentielle, plusieurs candidats, dont Emmanuel Macron, mais aussi Nicolas Dupont-Aignan, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, prônaient une réduction du nombre d'élèves par classe, notamment dans les établissements considérés comme "prioritaires".
Après son élection, Emmanuel Macron s'est engagé à limiter à 12 le nombre d'élèves en CP dans les classes REP+ (Réseaux d'éducation prioritaires renforcés). Ce fut le cas de 3 700 classes à la rentrée 2017. La mesure doit maintenant s'étendre progressivement aux CE1 de REP+ et aux CP des écoles des quartiers défavorisés (REP). Cette mesure a été saluée par les syndicats, qui regrettent toutefois une mise en œuvre au détriment d'autres classes et écoles.
• "Un enfant de 6 ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides Pajemploi jusqu'à ce que l'enfant ait 10 ans." Cette prestation est versée jusqu'à ce que l'enfant ait 6 ans pour aider les parents à financer une partie de sa garde. Le gouvernement n'a jamais évoqué une prolongation de cette aide jusqu'à 10 ans, mais le processus doit être simplifié.
Aujourd'hui, un couple qui fait garder ses enfants à la maison verse un salaire net à sa nounou, puis fait sa déclaration sur le site Pajemploi qui calcule et prélève les cotisations sociales, et enfin reçoit de la CAF, s'il y a droit, le complément du mode de garde (CMG), explique Le Figaro.
Dès l'année prochaine, ces trois flux financiers seront remplacés par un seul et les parents n'auront plus qu'à faire leur déclaration sur internet.
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