Franceinfo - le vendredi 26 avril 2019
Système à points, calendrier… Sept questions pour comprendre la réforme des retraites prévue par Emmanuel Macron
Le chef de l'Etat a livré ses grandes orientations sur cette réforme explosive lors de sa conférence de presse jeudi. Le gouvernement est désormais chargé de présenter au Parlement un texte qui conduirait à un "système universel à points"
Des personnes manifestent lors d'une journée de mobilisation des "gilets jaunes", le 17 novembre 2018 à Toulouse (Haute-Garonne). (FRÉDÉRIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)
"Avec la réforme des retraites, il y a de quoi faire sauter plusieurs gouvernements." L'avertissement était lancé en 1991 par Michel Rocard, qui rendait un Livre blanc sur les retraites. Près de trois décennies plus tard, le débat fait toujours rage sur une ultime réforme des retraites censée régler la question. Le texte doit être présenté au Parlement avant la fin de l'année. Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a promis de mettre en place un nouveau "système universel à points" pour le calcul des pensions, mais sans toucher à l'âge légal minimum de départ à la retraite, fixé à 62 ans.
Un engagement qu'il a réitéré jeudi 25 avril lors de sa conférence de presse pendant laquelle il a livré toute une série de mesures pour répondre à la crise des "gilets jaunes". Des déclarations qui sont allées à l'encontre des membres de l'exécutif comme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, qui plaidaient pour repousser cette limite. Comment s'y retrouver dans les propos des uns et des autres ? Sur quoi planche le gouvernement ? Alors que les discussions doivent s'arrêter lundi 6 mai, franceinfo tente de démêler les enjeux.
1 - Comment fonctionne le système de retraite actuellement ?
Un salarié du secteur privé peut faire valoir ses droits à la retraite à partir de 62 ans. A cet âge, il peut bénéficier d'une pension de retraite de base à taux plein, soit 50% de son salaire annuel moyen sur les 25 années les plus avantageuses, s'il a cotisé un nombre suffisant de trimestres. Et le nombre de trimestres travaillés à atteindre s'allonge : les natifs de 1957, qui soufflent cette année leurs 62 bougies, doivent désormais cumuler 166 trimestres (41 ans et six mois) avant de bénéficier d'un repos bien mérité. A raison d'un trimestre supplémentaire rajouté tous les trois ans, il faudra au moins 42 ans de cotisation pour les générations nées à partir de 1961.
Dans le système actuel, un garde-fou a toutefois été instauré : l'assuré bénéficie automatiquement d'une retraite à taux plein à partir de 65 à 67 ans (selon sa date de naissance), même s'il n'a pas tous ses trimestres. Sa pension est toutefois calculée au prorata du nombre de trimestres cotisés. Les fonctionnaires, eux, touchent 75% de leur dernier traitement indiciaire perçu depuis au moins six mois, s'ils justifient du nombre de trimestres requis. A ces deux grands régimes s'ajoutent une quarantaine de régimes spéciaux, qui permettent parfois, en raison de la pénibilité du métier, de partir plus tôt à la retraite.
Autre nouveauté : depuis 2015, un malus a été instauré pour les retraites complémentaires. Celles-ci sont amputées de 10% pendant trois ans si le retraité part dès qu'il a droit à une pension de base à taux plein (par exemple 62 ans pour un salarié né en 1957 qui a cotisé 41 ans et six mois, explique Le Monde). En revanche, si cette personne décide de retarder son départ à la retraite à 63 ans, le malus disparaît. Partir à 62 ans devient donc de plus en plus théorique, puisque cet âge est souvent insuffisant pour pouvoir profiter d'une retraite à taux plein.
2 - Pourquoi vouloir changer le système ?
C'était l'un des engagements de campagne d'Emmanuel Macron, qui souhaite faire disparaître les 42 régimes spéciaux de retraite actuels. Y a-t-il péril en la demeure ? "Non. Le système est bien équilibré, et il n'y a pas de péril financier pour l'instant", assène Michaël Zemmour, maître de conférences en économie à Lille et spécialiste du financement de l’Etat social. Car les différentes réformes (allongement de la durée de cotisation, report de l'âge du départ à la retraite de 60 à 62 ans...) ont porté leurs fruits. A l'exception du fonds de solidarité vieillesse qui reste déficitaire, "la Caisse nationale d’assurance vieillesse est excédentaire depuis 2016", relève le magazine Alternatives économiques (article abonnés).
Mais d'ici une dizaine ou une quinzaine d'années, la démographie risque de faire pencher la balance : si dans les années 1960, au cœur des Trente Glorieuses, il y avait quatre actifs pour un retraité, ce rapport est aujourd'hui de 1,7 actif pour un retraité, selon le site gouvernemental consacré à la réforme des retraites. Et il devrait encore baisser à 1,5 en 2040. "Cette dégradation, est-il précisé, s’explique principalement par l’allongement de l’espérance de vie, à laquelle s’ajoute une baisse de la natalité et du solde migratoire."
Si l'exécutif exclut d'augmenter les cotisations, la balance démographique risque donc de déséquilibrer le budget de l'Etat. D'où la volonté de mettre en place un système à points où la valeur du point serait fonction du nombre de retraités et de l'espérance de vie.
3 - En quoi consistera le futur régime ?
Il s'agira toujours d'un "système par répartition [où les actifs paient pour les retraités], public et obligatoire", précise le site gouvernemental consacré à la réforme des retraites. Et le système à points envisagé est moins neuf qu'il y paraît. "Les salariés du privé sont déjà familiarisés avec ce système grâce à leur retraite complémentaire Arrco et Agirc, expose Notre Temps. Dans un tel régime, les cotisations prélevées sur le salaire servent à 'acheter' des points. Lors du départ à la retraite, la pension est égale au nombre de points acquis multiplié par la valeur du point en vigueur à cette date."
Concrètement, l'actif cotise et accumule ainsi, chaque année, un certain nombre de points qui seront ensuite convertis en pension. Mais on ignore à l'avance la valeur des points puisque celle-ci dépend de facteurs qui ne sont connus qu'au moment de la liquidation des droits. "Le taux de remplacement [pourcentage du dernier revenu d'activité que conserve un salarié lorsqu'il prend sa retraite] dépendra du nombre de personnes à la retraite et de l'espérance de vie", développe Michaël Zemmour. Avantage de ce système : une fois acquis, les droits restent attachés à la personne tout au long de son parcours professionnel, même si celle-ci change de statut, passe du public au privé ou subit des ruptures dans sa carrière.
4 - Un système par points, ça va changer quoi concrètement ?
"On n'en sait rien pour l'instant, faute de simulation sur le site du Conseil d'orientation des retraites, assène Michaël Zemmour. Le simulateur existant prend en compte différents scénarios dans le système actuel, mais pour la réforme envisagée, c'est le brouillard." Néanmoins, les économistes livrent leurs premières hypothèses. "Aujourd’hui, le système prend en compte les 25 meilleures années, ce qui permet de gommer partiellement les 17 années les plus mauvaises. Avec le nouveau système à points où toutes les années comptent, une femme qui aurait passé 17 ans à temps partiel pour s'occuper de ses enfants et 25 ans à temps plein serait perdante", détaille l'économiste de l'OFCE Vincent Touzé, spécialiste de la protection sociale.
Il note aussi de nombreux points d'interrogation. "Comment le futur système à points intégrera-t-il les accidents de la vie ? Que deviendront les trimestres accordés pour la maternité ? Une pension minimum sera-t-elle garantie ? Il faudra traiter toutes les situations, y compris celle des fonctionnaires : leur système de retraite actuel [qui garantit, en gros, 75% de leur dernier salaire] fait partie de leur contrat de travail."
Pour certains de ses détracteurs, ce nouveau système risque aussi d'inciter les gens à travailler plus longtemps pour gagner plus de points. "Dans un régime par points, on passe de droits dépendant en grande partie d’une durée d’assurance à des points accumulés à chaque période travaillée. Plus on souhaite en avoir, plus on poursuit sa carrière. C’est cela, le libre choix", assurait d'ailleurs le rapporteur Jean-Paul Delevoye dans Le Journal du dimanche.
5 - Où en est la réforme ?
Après un an de concertation avec les partenaires sociaux, Jean-Paul Delevoye doit donner sa vision des grandes orientations au printemps, et le projet de loi doit être déposé à l'automne 2019, selon le calendrier défini par l'exécutif. La tâche est éminemment complexe. Il s'agit, selon Les Echos, de construire "un système par points" où un euro cotisé donnerait les mêmes droits à tous, "quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé'".
Mais "faire converger la quarantaine de régimes de retraite en un système 'universel'", pour reprendre l'expression des Echos, est un travail d'orfèvre auquel il faut s'attaquer avec doigté et dont la mise en œuvre demandera du temps. D'où la tentation de changer dans l'immédiat quelques paramètres (recul de l'âge de départ à la retraite, allongement de la durée de cotisation…) pour s'assurer de la pérennité des ressources.
A noter : les retraités d'aujourd'hui ne seront pas touchés par la réforme. Et "les Français qui seront à moins de cinq ans de l'âge du départ à la retraite ne seront pas concernés", précise le site dédié à la réforme. Celle-ci devrait prendre effet à partir de 2025 et s'appliquera progressivement à tous les assurés, du public comme du privé.
6 - L'âge de départ à la retraite va-t-il être repoussé ?
Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s'est engagé à ne pas toucher à l'âge minimum de départ à la retraite. Et il l'a de nouveau répété jeudi 25 avril lors de sa conférence de presse. Cet âge légal est fixé à 62 ans depuis la réforme mise en place en 2010 sous Nicolas Sarkozy, même si François Hollande a rétabli la possibilité de partir à 60 ans pour quelques milliers de salariés ayant débuté leur carrière à 18 ans. Mais plusieurs ministres ont nourri la confusion, suggérant un possible report de l'âge de départ, comme Agnès Buzyn, Edouard Philippe, ou le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, le 1er avril.
"C'est la vision de Bercy, s'amuse l'économiste Michaël Zemmour. Si on reporte l’âge de départ à la retraite, [l'Etat] gagne un an de pensions qu'[il] n'a plus à verser. Mais cette économie n'est que partielle puisque seule une personne sur trois est en emploi à 62 ans. Pour vivre, les autres dépendent en grande partie des allocations-chômage, du RSA, des pensions d'invalidité ou d'autres mécanismes de solidarité, donc des deniers publics. Si on repousse la limite des 62 ans, ces dépenses-là vont s'accroître." Le spécialiste estime qu’on peut maintenir le niveau de vie des retraités par rapport aux actifs avec une hausse des cotisations de "0,15% par an".
Chargé de déminer le dossier, Jean-Paul Delevoye avait haussé le ton après les déclarations de ministres favorables au recul de l'âge légal de la retraite. Le 7 avril, le haut-commissaire chargé de la réforme a réaffirmé que sa "feuille de route" ne prévoyait pas de changer cet âge minimum "malgré la polyphonie gouvernementale". "Les engagements pris devant les partenaires sociaux en octobre dernier maintiennent la possibilité de partir à la retraite à partir de 62 ans dans le nouveau système universel", a-t-il assuré dans un entretien au quotidien Midi libre. Selon Le Canard enchaîné, Jean-Paul Delevoye a même menacé de démissionner si la cacophonie persistait.
7 - Cette réforme n'est-elle pas risquée avec la crise des "gilets jaunes" ?
Il y a fort à parier que l'exécutif restera prudent avant les élections européennes. D'autant que le contentieux des retraités avec Emmanuel Macron est déjà lourd, avec la désindexation des retraites et l'augmentation de la CSG pour les retraités gagnant plus de 1 200 euros mensuels (plafond relevé à 2 000 euros après un mois de révolte des "gilets jaunes").
Le chef de l'Etat a donc annoncé, jeudi, la réindexation des "retraites de moins de 2 000 euros" sur l'inflation à partir du 1er janvier 2020. "Les décisions que nous avons prises à l'automne ont été vues comme injustes, et doivent donc être corrigées", s'est justifié Emmanuel Macron. Le président de la République a également annoncé son souhait de voir disparaître "la sous-indexation" de toutes les retraites, quel que soit leur montant, à partir de 2021.
Mais ces annonces ne font pas oublier que le "taux de remplacement [du dernier salaire par la pension de retraite] diminue depuis 2012", remarque Michaël Zemmour. Le système à points, a priori, n'améliorera pas la situation. "Ça se matérialise, poursuit l'économiste, par la formule de Jean-Paul Delevoye : le montant actuel des retraites doit rester plafonné à 14 points de PIB, même si le nombre de retraités augmente. La France risque donc de suivre la même pente que celle empruntée par l'Allemagne et la Suède, où le niveau de vie des retraités a baissé ces dernières années, décrochant par rapport aux actifs." Avec des conséquences tangibles : outre-Rhin, dès 2017, près d'un million de retraités étaient contraints de travailler pour s'en sortir financièrement. Un chiffre en augmentation de 30% depuis 2005.
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