Franceinfo - le mardi 15 octobre 2019
PMA, dons de gamètes, recherche : pourquoi le projet de loi de bioéthique nous concerne tous
Le texte, présenté le 24 juillet en Conseil des ministres, est voté à l'Assemblée nationale mardi. En réformant la procréation médicalement assistée (PMA), en levant l'anonymat des dons et en facilitant certaines recherches, ce projet de loi touche bon nombre de Français
La fin d'un marathon à l'Assemblée nationale. Après 110 heures d'auditions et de débats en commission spéciale, suivies de 80 heures d'examen en séance publique, les députés votent, mardi 15 octobre, le projet de loi relatif à la bioéthique. Le texte, première réforme sociétale d'ampleur du quinquennat d'Emmanuel Macron, est particulièrement attendu depuis 2017.
Une fois adopté, ce projet de loi ouvrira la procréation médicalement assistée (PMA, ou AMP) à l'ensemble des femmes en France. Les couples lesbiens et les femmes célibataires souhaitant devenir parents pourront donc accéder à ces techniques, jusqu'alors réservées aux couples hétérosexuels. Mais, de la levée de l'anonymat des dons à l'autoconservation des gamètes, le texte réforme en profondeur d'autres aspects clés de la bioéthique. Des changements qui concernent une large part de la population.
Une extension de la PMA
En ouvrant la PMA à toutes les femmes, le projet de loi met de facto fin aux critères d'infertilité, d'orientation sexuelle et de situation maritale pour l'accès à ces techniques. "Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l'orientation sexuelle des demandeurs", précise le projet de loi. Il promet en parallèle le remboursement de toutes les PMA par la Sécurité sociale. Une promesse d'égalité pour toutes les femmes françaises.
âš–Projet de loi #bioéthique
— Ministère des Solidarités et de la Santé (@MinSoliSante) September 27, 2019
✅ Les députés adoptent l'extension de la #PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, ainsi que son remboursement par la sécurité sociale pic.twitter.com/8QTIvWKcfg
Aux yeux du médecin Jean-Louis Touraine, député LREM et rapporteur du projet de loi, le texte vise aussi à une meilleure adéquation entre la loi et les faits. "Dans la pratique, le critère d'infertilité n'était déjà plus vraiment demandé" par les médecins aux couples hétérosexuels, souligne l'élu. Des couples ayant des difficultés pour concevoir ont déjà recours à la PMA, sans pour autant être diagnostiqués totalement infertiles.
La réforme ne concerne toutefois pas que les couples de femmes ou les femmes célibataires. Elle autorise, pour les couples hétérosexuels souffrant d'infertilité, l'accès au double don de gamètes. Pour concevoir, ces couples pourront désormais avoir recours à un don d'ovocytes et à un don de spermatozoïdes. Une pratique interdite depuis la loi de bioéthique de 2004 : les gamètes pour la formation d'un embryon in vitro devaient jusqu'à présent provenir d'au moins un de deux membres du couple, rappelle l'Agence de la biomédecine.
Ce projet de loi touche aussi toute personne ayant recours à une PMA, car il aura un impact sur les centres pratiquant ces techniques. L'extension de la procréation médicalement assistée pourrait entraîner 2 000 demandes supplémentaires dans ces services, d'après le gouvernement. "C'est une augmentation de la demande qui nous semble raisonnable", commente la docteure Joëlle Belaisch-Allart, cheffe de service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction au centre hospitalier des Quatre Villes, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). "La question, c'est le temps d'attente pour avoir accès à un don de gamètes. Il est actuellement d'un an."
La levée partielle de l'anonymat des dons
Cet accès aux dons, déjà long, évolue lui aussi avec le projet de loi de bioéthique. La réforme, à travers son article 3, lève l'anonymat total des dons de gamètes en France. Une véritable révolution. Tout donneur potentiel en France devra consentir à deux nouveautés non négligeables. Il devra accepter que des données "non identifiantes" le concernant soient communiquées à l'enfant né de ce don, si ce dernier le souhaite une fois majeur. Il faudra aussi être d'accord pour que son identité soit révélée à cet enfant, dès sa majorité. Si le futur donneur refuse l'un ou l'autre critère, le don n'aura pas lieu.
A ses 18 ans, tout Français issu d'un don pourra ainsi demander des informations sur l'"âge", l'"état général", "les caractéristiques physiques" ou "la situation familiale et professionnelle" de son géniteur. Il pourra aussi demander son identité complète auprès d'une "commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur", créée dans le cadre du projet de loi. Autre nouveauté, cette fois-ci pour les donneurs : toute personne le souhaitant pourra connaître le nombre d'enfants issus de son don, "ainsi que leur sexe et leur année de naissance".
Cette levée partielle de l'anonymat bouleverse les conditions du don, ainsi que le stock actuel de gamètes en France – ce qui touchera les personnes ayant recours à une PMA. Il faudra en effet renouveler ce stock dans son intégralité, les dons ne pouvant plus être anonymes. Cela se fera par le biais d'une période de transition, une fois la loi promulguée.
Le stock de gamètes va continuer à être utilisé en attendant que nous constituions un autre stock de gamètes qui répondra aux nouvelles exigences. Il y aura par décret une date pivot à laquelle nous déciderons de changer de système.à France Inter
La fin de l'anonymat total freinera-t-elle certains donneurs, posant des risques pour l'accès à la PMA ? La situation est en effet à peine "équilibrée" pour les dons de sperme (363 dons en 2016), selon l'Agence de la biomédecine. Il existe aussi une pénurie de dons d'ovocytes (746 en 2016).
Une fois l'anonymat levé, "il y aura probablement une chute des donneurs dans un premier temps", prévient Joëlle Belaisch-Allart. Mais des expérimentations étrangères prouvent que les dons se relèvent à moyen terme après une levée de l'anonymat. Ce fut le cas au Royaume-Uni, en Suède ou en Australie. "La tendance [à la baisse] semble ensuite s’inverser pour repartir à la hausse et dépasser les chiffres initiaux" de dons, relève une étude d'impact sur le projet de loi.
L'autoconservation des ovocytes
Le projet de loi de bioéthique ouvre en parallèle une possibilité pour tous les Français : celle de procéder à la conservation de ses gamètes. Une raison médicale ou un don d'ovocytes ne sont plus des préalables à cette autoconservation. "L'évolution de la société, la durée des études, l'inscription dans la vie active, la vie amoureuse, font que les femmes ont tendance à avoir des enfants de plus en plus tardivement", avait défendu la ministre Agnès Buzyn devant les députés.
Désormais, un homme ou une femme pourra donner ses gamètes dans un des centres agréés afin que celui-ci procède à leur conservation. Le coût reste à la charge des particuliers. Des critères d’âge vont également être mis en place par décret, pour que cette possibilité ne soit ouverte ni trop jeune ni à un âge trop avancé.
Les députés ont néanmoins refusé d'accorder un agrément pour procéder à cette conservation ovocytaire à tous les centres privés. "L'autoconservation ne sera autorisée que dans les centres publics ou privés à but non lucratif lorsqu’ils y sont autorisés", critique la docteure Joëlle Belaisch-Allart. "Cela représente moins de la moitié des 103 centres d'AMP en France", ce qui, à ses yeux, est insuffisant.
Des tests génétiques plus ouverts
La loi de bioéthique s’empare également de la question des tests génétiques. Ces tests servent notamment à diagnostiquer des maladies génétiques, à "prédire un risque" de maladie ou à "choisir un traitement", en étudiant "les caractéristiques génétiques d’un individu pour prédire la réponse de son organisme à un médicament", développe l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Actuellement en France, ils ne sont autorisés qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Le projet de loi de bioéthique ne touche pas à ce principe. En revanche, le texte fait évoluer les cas dans lesquels une information génétique peut être transmise au patient ou à sa famille. Il prévoit d'informer les personnes lorsque, à l'occasion d'un examen médical, une découverte génétique préoccupante est faite. Il permet également de réaliser des examens génétiques chez les personnes qui ne peuvent plus exprimer leur volonté, notamment lorsqu'elles sont décédées, dans l'intérêt de la famille.
La loi de bioéthique autorise aussi, sans rompre l'anonymat, le transfert d'une information génétique de géniteur à progéniture, et vice versa, lorsqu'une anomalie génétique est repérée chez l'un ou l'autre.
Toutes ces procédures d'information visent à permettre au patient ou aux membres de sa famille de bénéficier de moyens de prévention, y compris de conseils en génétique, ou de soins, en cas d’anomalie. Les députés ont par ailleurs fait interdire la publicité et le démarchage pour les tests génétiques.
Des recherches facilitées, d'autres interdites
Cette révision des lois de bioéthique réforme en parallèle la recherche sur les cellules souches embryonnaires, capables de "se multiplier à l'infini", mais aussi de "donner naissance à tous les types de cellule de l'organisme", détaille l'Inserm. C'est "une source illimitée de matériel", résume Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR).
Elles sont utilisées pour des essais de thérapie cellulaire, c'est-à-dire la réparation d'un tissu lésé par une pathologie. Il y a des essais sur la rétine, le cœur, la moëlle épinière, la maladie de Parkinson... Le spectre pathologique est très varié.à franceinfo
Depuis 2013, toute recherche sur ces cellules doit obtenir, en amont, une autorisation de l'Agence de la biomédecine. Avec l'article 14 du projet de loi, ces travaux ne seront plus soumis qu'"à déclaration". "Cela nous enlève une épée de Damoclès", réagit Cécile Martinat. "Avec le système des déclarations, on va peut-être enfin arrêter d'être attaqués en justice", souffle-t-elle. En mars, deux autorisations de recherche ont ainsi été arrêtées par le tribunal de Versailles, après une action de la Fondation Jérôme Lejeune, connue pour ses positions contre les recherches sur les embryons. "Attaquer un programme met en péril sa pérennité, prévient Cécile Martinat. Cela met en danger des années de travail."
Alors qu'il simplifie ces recherches, le texte interdit en parallèle une technique médicale autorisée dès 2004 en France : celle des "bébés-médicaments". Des enfants conçus pour guérir un frère ou une sœur atteint d'une maladie génétique. Le bébé est conçu pour ne pas être atteint par cette maladie, mais il reste immuno-compatible avec son frère ou sa sœur. Un prélèvement de sang de cordon du bébé permet alors de sauver l'enfant malade en question. Un amendement déposé par des élus Les Républicains a mis fin à cette pratique. Au sein de la majorité, d'autres voix se sont élevées pour défendre l'amendement.
Des débats plus fréquents sur la bioéthique
Enfin, il faudra désormais attendre cinq ans (et non plus sept) pour qu'une nouvelle révision des lois de bioéthique soit mise en place. Notons également que la réforme crée une commission parlementaire permanente chargée des questions relatives à la bioéthique. L'objectif : que les députés légifèrent sur ces sujets sans prendre de retard et chaque fois que les enjeux l'exigent, hors du cadre plus lourd d'un débat de société programmé.
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