Franceinfo - le jeudi 9 mai 2019
En Tunisie, la fermeture des cafés et des restaurants pendant le ramadan ravive le débat sur les libertés
"Chaque année, au mois de ramadan, c’est la même ritournelle : on oblige les non-jeûneurs à raser les murs"... C’est ce qu’affirme un universitaire sur le site d’information en ligne tunisien Kapitalis. Une prise de position qui montre que le débat entre religion et laïcité n’est pas encore réglé et peut parfois se tendre, notamment en cette période
Une Tunisienne affiche une pancarte sur laquelle on peut lire : "Laïcité pour vivre ensemble" lors d'une manifestation en mai 2018 pour dénoncer la fermeture des cafés et des restaurants pendant le mois de ramadan. (FETHI BELAID / AFP)
La fermeture (obligatoire depuis une circulaire de 1981) des cafés et des restaurants est l’un des signes les plus concrets de la fête religieuse musulmane en Tunisie... et il est contesté par certains.
La lecture des médias tunisiens donne une idée de la rigueur qui continue à régner : "Les agents de police du district de Sfax ont opéré, hier lundi (le 6 mai, NDLR), le premier jour de ramadan, des rafles sur les cafés ouverts en journée. Le nombre de cafés ouverts et les mesures prises contre leurs propriétaires n’ont pas été annoncés, par contre, la police a annoncé que cette opération a permis l’arrestation de huit personnes", raconte ainsi Tunisie Numérique.
Le retour de #Ramadan marque aussi le retour de la campagne d'entre aide #Fater qui vise à offrir les non jeunes des adresses des commerces ouverts pendant la journée, une intuitive lancée depuis 2012 cc @ouacym
— Karim Benabdallah (@karim2k) 4 mai 2019
Quelque huit ans après la révolution, le sujet fait toujours débat. Certains politiques défendent cette mesure. "Manger devant les jeûneurs est un manque de respect", a ainsi affirmé le président des parlementaires d’Ennahdha (parti islamiste) Noureddine Bhiri, qui s’est cependant dit contre l’agression des non jeûneurs.
La campagne #Fater sur les réseaux sociaux
Comme tous les ans, d'autres Tunisiens critiquent cette disposition. Les réseaux sociaux se font l'écho de ceux qui veulent que la possibilité de ne pas jeûner dans certains lieux publics, comme les cafés ou les restaurants, soit autorisée. Les partisans de cette liberté se donnent des adresses sous le hashtag #Fater.
L'année dernière, des non-jeûneurs ("fattaras") avaient appelé à un rassemblement devant le ministère du Tourisme. Cette manifestation, baptisée #Mouch bessif (sans contraintes) était organisée par l’Association des libres penseurs (ALP). Elle visait à "faire entendre la voix des non-jeûneurs qui réclament l’ouverture des cafés et des restaurants durant le mois saint pour pouvoir jouir pleinement de leurs libertés individuelles, et ne pas devoir se cacher pour manger ou fumer", expliquait alors Kapitalis.
Les partisans de cette position qui défendent la laïcité s'appuient sur la Constitution tunisienne de 2014 qui garantit "la liberté de croyance et de conscience" (article 6).
Quand Bourguiba s'interrogeait sur le jeûne du ramadan
Chaque année, l’application de cette circulaire obligeant à la fermeture des cafés et restaurants fait polémique. En 2014 déjà, le site Business News écrivait que "pour le quatrième Ramadan consécutif (2011, 2012, 2013 et 2014), des descentes, parfois musclées, sont enregistrées dans ces lieux (cafés ou restaurants) pour leur signifier l’obligation de s’abstenir de servir conformément, apparemment, à une note circulaire datant de plus de 30 ans, dite 'circulaire Mzali de juillet 1981'".
Plusieurs sites rappellent qu’en 1981, cette circulaire avait été annulée sur décision du chef de l’Etat, à l’époque Habib Bourguiba, deux jours seulement après sa parution. En 1974, Habib Bourguiba n’avait d'ailleurs pas hésité à s’interroger sur la nécessité du jeûne pendant le ramadan.
#MouchBessif #Fater https://t.co/CPI19ey0c6
— Massir Destin (@MassirDestin) 14 juin 2018
Dans l'affaire des restaurants, ce qui dérange les partisans de la fermeture, "c’est de voir (…) des gens qui n’adhèrent pas à des croyances qu’ils considèrent comme évidentes. ( …) Constater que des gens ne partagent pas leur foi ébranle leurs certitudes, les fait douter et les inquiète. Ainsi, les fermetures, les interdictions (…) deviennent légitimes. Il faut couper court à toute tentative d’insoumission durant le mois de ramadan pour que d’autres ne s’en inspirent pas", estime l'universitaire Mohamed Sadok Lejri dans une tribune au titre explicite intitulée Ramadan 2019, Quand va-t-on cesser d'obliger les non-jeûneurs à raser les murs.
La question des cafés et restaurants pendant le ramadan n'est que l'un des aspects de la lutte entre les partisans d'une Tunisie plus laïque et ceux qui souhaitent que le pays s'appuient toujours sur les textes religieux. Ainsi, le débat parlementaire sur l'égalité hommes-femmes face à l'héritage le montre.
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