Franceinfo - le mercredi 31 octobre 2018
Hollande, Macron, Valls, Hulot, Jospin... On a lu le livre de Ségolène Royal, et ils en prennent pour leur grade
Estimant avoir "le devoir de parler", l'ancienne candidate du PS à la présidentielle publie un livre mercredi 31 octobre dans lequel elle raconte les difficultés rencontrées tout au long de sa vie de femme politique
Ségolène Royal lors de son départ du ministère de l'Environnement, le 17 mai 2017. (PASCAL SITTLER / REA)
"Je n'avais pas l'intention d'écrire tout de suite sur mon expérience politique et humaine. Mais au moment où la parole des femmes s'est libérée, notamment avec le mouvement #MeToo, beaucoup d'entre elles m'ont demandée de témoigner." A 65 ans, Ségolène Royal l'a décidé : l'heure est venue de parler, et de dire ce qu'elle a "subi" au cours de sa vie personnelle et de sa longue carrière politique.
Dans Ce que je peux enfin vous dire, un livre de près de 300 pages publié mercredi 31 octobre aux éditions Fayard, l'ancienne candidate du Parti socialiste à l'élection présidentielle de 2007 règle ses comptes et lâche ses coups. Contre François Hollande, contre Emmanuel Macron, contre Manuel Valls, contre Nicolas Hulot, contre Lionel Jospin, et contre beaucoup d'autres. Extraits.
Sur François Hollande
François Hollande, avec qui elle a partagé sa vie pendant près de 30 ans, en prend largement pour son grade. Sur le fond, d'abord, quand elle énumère les "erreurs" commises durant son quinquennat, et lorsqu'elle pointe "ce mélange de désinvolture et de bonhomie que chacun lui connaît". La loi Travail ? "Pagaille maximum pour efficacité minimum !" La hausse des impôts et la suppression de la détaxation des heures supplémentaires ? "Désinvolture et degré zéro de la politique." La réforme des territoires ? "L'une des pires du quinquennat."
Mais c'est aussi sur leur vie privée que Ségolène Royal choisit de livrer quelques vérités. Car les années qui ont suivi leur séparation n'ont pas tout effacé, et Ségolène Royal n'a pas oublié "la violence de l'adultère", "la férocité de la bigamie qui tétanise", "la souffrance encaissée sans broncher".
Comme tout le monde le sait maintenant, j'ai été cruellement trahie avant et pendant la campagne de 2007, pour une femme de dix ans plus jeune, elle-même ensuite trompée pour une femme de dix ans plus jeune.dans "Ce que je peux enfin vous dire"
Tout comme elle n'a pas oublié ce qu'elle "espérait tous les jours n'être qu'un égarement passager", elle a aussi gardé en mémoire comment, en 2007, "la direction du PS", emmenée par le même François Hollande, avait "joué [sa] défaite". "J'ai mis beaucoup de temps à soigner mes blessures, à m'émanciper de ce fardeau et à me tourner vers un autre futur. C'est pourquoi j'ai décliné la proposition de reprendre la vie commune", révèle-t-elle au passage.
Sur Emmanuel Macron
Les médias ont parfois évoqué une proximité politique entre Ségolène Royal et Emmanuel Macron ? "Vingt-six ans d'expérience et de contacts étroits avec les gens, dans toutes les fonctions électives et ministérielles, avec l'énorme travail que cela représente, c'est un parcours bien différent, tacle l'intéressée. Quelques échecs douloureux et beaucoup d'épreuves aussi, dont on apprend parfois plus que de ses victoires et de ses bonheurs."
On m'a parfois comparée à Emmanuel Macron ou à d'autres, comme surgissant au dernier moment. Rien n'est plus inexact !dans "Ce que je peux enfin vous dire"
C'est peut-être ce qui explique qu'à ses yeux, "Emmanuel Macron refait les mêmes erreurs" que celles commises avant lui par François Hollande. "Exercice solitaire du pouvoir", "marque de désinvolture", "addition de réformes sans la moindre évaluation ou réelle concertation", énumère-t-elle. "Penser que l'injonction à faire des réformes oblige à faire n'importe lesquelles, pourvu que ça bouge. Et penser que le désordre de la rue ou l'épuisement des forces vives d'un pays ou des corps intermédiaires est la preuve d'une réforme accomplie. Erreur. Grave erreur."
Emmanuel Macron, à qui elle reproche aussi, au passage, de ne pas avoir eu "l'élégance" de reconnaître lors du One Planet Summit, en décembre 2017, le fait que "sans François Hollande, il n'y aurait pas eu d'accord sur le climat, à Paris". "Tout occupé à éradiquer l'ancien monde, y compris celles et ceux qui lui ont permis, par le succès de la COP21, de continuer sur cette lancée, il ne prit pas la peine (...) de citer ni son prédécesseur, ni les deux présidents de la COP21", cingle-t-elle. Avant de dénoncer "la goujaterie de l'actuelle équipe de l'Elysée" qui a annulé sa présence au déjeuner officiel au lendemain de ce sommet, déjeuner pour lequel elle avait pourtant reçu une invitation officielle : "Ni Chirac ni même Sarkozy ne se seraient livrés à une telle mesquinerie."
Sur Nicolas Hulot
Autre cible des critiques de Ségolène Royal : son successeur au ministère de l'Ecologie, Nicolas Hulot. "Dès ses premiers jours en tant que ministre, Nicolas Hulot a cherché à se démarquer des politiques en disant qu'il n'éprouvait aucune jouissance dans l'exercice du pouvoir. Ça tombe bien, moi non plus", attaque-t-elle d'abord.
A lire Ségolène Royal, on comprend très vite qu'elle voit en Nicolas Hulot un (ancien) ministre qui – contrairement à elle – a cruellement manqué de courage. Elle déplore ainsi qu'il ait accepté de signer "sur ordre" une autorisation d'importation en France de 300 000 tonnes d'huile de palme par an pour la raffinerie de la Mède. Qu'il ait "voté pour le glyphosate pour cinq nouvelles années". Ou qu'il se soit "fait imposer des arbitrages conduisant à remettre en cause l'équilibre du nucléaire, à détruire le crédit d'impôt de transition énergétique, à relancer les permis miniers que j'avais refusé de signer".
A mes yeux, chacun des pas en arrière [de Nicolas Hulot] l'a affaibli lui-même et surtout a affaibli la position du ministère pour les arbitrages à venir.dans "Ce que je peux enfin vous dire"
D'autant qu'à ses yeux, Nicolas Hulot a "disposé d'une marge de manœuvre qu'il a sans doute sous-estimé".
Sur Manuel Valls
Barrage de Sivens, projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, rejet de boues rouges toxiques en Méditerranée, fin de l'écotaxe... Les dossiers sur lesquels Ségolène Royal était en désaccord avec Manuel Valls au cours du quinquennat de François Hollande ne manquent pas. Alors l'ancienne ministre de l'Environnement n'hésite pas à raconter les coulisses de cet affrontement quasi permanent.
Au sujet de l'examen de la loi Travail – "une désolation, un calvaire pour qui aime la politique" –, elle évoque ainsi la "poussée de testostérone" entre Manuel Valls et Emmanuel Macron. Et fait part de son dépit lorsque dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, elle entend le premier lancer "et ta q....e, elle est en berne ?" au second, qui avait dit le matin même dans la presse que la croissance économique était en berne.
Ségolène Royal dresse ainsi le portrait d'un Manuel Valls n'hésitant pas à la "court-circuiter" sur le dossier de Sivens, "perdant ses nerfs" au sujet de Notre-Dame-des-Landes, ou faisant preuve d'"obstination" sur les boues rouges de Gardanne comme sur l'agrandissement de Roland-Garros à Paris. Un Manuel Valls auquel elle ne manquera pas de tenir tête à plusieurs reprises.
Il me dit que c'est lui le chef. Je lui réponds que je ne trahirai pas la mission qui est la mienne : protéger l'environnement et la santé publique.dans "Ce que je peux enfin vous dire"
Sur Lionel Jospin
Un autre ancien Premier ministre socialiste est également dans le viseur de Ségolène Royal : Lionel Jospin. Plus de dix ans après, elle ne lui a pas pardonné L'Impasse, livre publié après la présidentielle de 2007 perdue par la candidate socialiste face à Nicolas Sarkozy. "Voilà un ancien candidat à l'élection présidentielle de 2002, qui sait donc combien c'est difficile puisqu'il n'a pas franchi le cap du premier tour, s'est fait battre par l'extrême droite, et qui a déclaré avec panache quitter la vie politique. Le voilà qui se permet de maltraiter la candidate qui, elle, a franchi la barre du premier tour, malgré les trahisons des cadres de son propre parti", raille-t-elle.
Objet de son courroux : ce livre, donc, "particulièrement sexiste", dans lequel elle se retrouve "envoyée au bûcher". Dénonçant avec force la "bonne vieille rhétorique machiste" employée par Lionel Jospin, l'ancienne figure du PS écrit : "Oui, le sexisme est un racisme, il se nourrit du même obscurantisme : différent(e) donc inférieur(e)".
Et de déplorer que le même Lionel Jospin ait été "récompensé plus tard" en étant "nommé comme 'sage' au Conseil constitutionnel"... par un certain François Hollande, une fois ce dernier élu à l'Elysée.
Quelle sagesse ? Il est évident que si, dans son livre, il avait mis le mot 'candidat noir' à ma place, l'auteur de ce chapelet d'injures aurait été renvoyé en correctionnelle pour propos racistes.dans "Ce que je peux enfin vous dire"
Contre les éléphants du PS qui l'ont "dénigrée" durant la campagne de 2007
Au-delà des figures de la gauche déjà citées ci-dessus, Ségolène Royal s'en prend plus largement aux "dénigreurs" de son propre camp, dont "l'imagination a culminé en 2006 et 2007, dans une totale impunité". "Jamais un candidat à une élection n'avait encaissé une telle avalanche de mépris sans qu'aucune réaction ne vienne l'endiguer", regrette Ségolène Royal.
Ils ont essayé de me manger, mais ils n'ont pas eu ma peau.dans "Ce que je peux enfin vous dire"
"Meneuse de revue", "microphénomène de mode", "Super Nanny de la politique", "mère fouettarde"... Enumérant des dizaines d'"amabilités" entendues publiquement dans la bouche de dirigeants de son parti, sans les citer, elle les prévient toutefois : "J'espère que tous les auteurs de ce qu'ils devaient eux-mêmes considérer comme 'des bons mots' se reconnaîtront, sinon, je peux éventuellement leur rafraîchir la mémoire."
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