Franceinfo - le lundi 11 février 2019
"Une fois que la pression militaire va baisser, ils risquent de revenir" : la bataille lancée contre les jihadistes en Syrie ne signe pas la fin de Daech
Si l'ultime poche du groupe État islamique en Syrie est sur le point d'être prise, la bataille ne signera pas la fin de l'organisation terroriste dans la région, selon le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire auprès de l'Onu, et Wassim Nasr, journaliste à France 24 spécialiste des réseaux jihadistes
Des combattants des Forces démocratiques syriennes (SDF), dans le village de Baghouz, dans la campagne de la province syrienne de Deir Ezzor, à la frontière irakienne, le 2 février 2019. (DELIL SOULEIMAN / AFP)
Ce n’est peut-être pas la fin de l’Etat islamique à proprement parler, mais le compte à rebours a été lancé pour la disparition de son armée et de son califat : samedi les avions de la coalition ont repris les bombardements sur la dernière poche de l’état islamique. L'assaut final signe-t-il pour autant la fin du califat ?
>> VIDEO. En Syrie, l'assaut final contre les jihadistes est lancé
Invités lundi sur franceinfo pour en débattre, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire auprès de l'Onu, et Wassim Nasr, journaliste à France 24 spécialiste des réseaux jihadistes, font part de leurs doutes.
franceinfo : L'assaut sonne-t-il le glas de l'État islamique ?
Dominique Trinquand : C'est la dernière bataille pour le territoire homogène, c'est-à-dire tenu par Daech, avec 500, 600 combattants à peu près. Maintenant il reste trois menaces essentielles. D'abord, certains ont réussi à s'exfiltrer depuis Deir Ezzor [près de la frontière irakienne], dans la zone désertique en direction de Palmyre. Ensuite, on ne parle plus de la zone d'Idleb mais elle contient un certain nombre de radicaux, notamment de Daech, qui ont été évacués de différentes poches et qui sont là-bas. Et si les combats reprennent parce qu'il y a eu une pause pendant un petit moment pour permettre en particulier à des familles de s'exfiltrer, les familles ne sont pas forcément moins dangereuses : des femmes très radicalisées sont actuellement dans des camps et leur avenir pose question [...]. Daech a bien commencé à changer sa stratégie et il ne reste que les combattants les plus durs qui veulent absolument que cela dure le plus longtemps possible, qu'il y ait le maximum de morts, et qu'ils meurent en martyrs. Mais il reste aussi tous les autres...
Wassim Nasr : C'est la fin de l'emprise sur un territoire habité, dans ces derniers deux-trois kilomètres carrés, avec un village et demi. Mais les jihadistes sont au sud de l'Euphrate dans une zone désertique de plus d'un millier de kilomètres carré de déserts et des grottes, où ils sont libres d'agir comme ils veulent. Cela explique pourquoi on a une reddition en nombre de jihadistes étrangers et de leurs familles : les Occidentaux, Africains, Asiatiques parmi eux ne peuvent pas se fondre dans le tissu tribal de cette région comme les locaux, les Arabes, les Irakiens et les Syriens. Il y a d'ailleurs eu une percée d'une poche vers le désert et on pense qu'un certain nombre de commandants sont passés durant cette percée. Ils ont essayé de réitérer cette expérience à trois reprises dans les dernières semaines pour peut-être exfiltrer les derniers d'entre eux, mais ils n'ont pas réussi face à l'armée syrienne et surtout aux milices chiites. Est-ce que cela durera une semaine ou plus ? On ne sait pas.
Des négociations sont-elles encore possibles, notamment en ce qui concerne les otages ?
D.T : Les otages sont toujours un moyen de négociation. Mais contre quoi, puisqu'il faut réduire cette poche, de toute façon ? Ensuite, les preuves de vie n'ont pas été fournies, donc ils négocient des otages qu'ils n'ont probablement plus. Je pense qu'on est arrivé au point où toutes les négociations ont eu lieu et qu'il n'y a plus de négociation à avoir. Ce sera une fin militaire : ils veulent être martyrs et leur victoire est d'imposer le maximum de pertes en face. Comment les imposeront-ils ? Avec des zones minées et une habitude du combat en zone urbaine.
W.N : Les jihadistes disent qu'ils ont encore des otages entre leurs mains et essaient de négocier, par exemple avec le cas du journaliste otage John Cantlie ou celui du père Dall'Oglio. Cela reste cependant assez farfelu.[...] Les combattants en première ligne aujourd'hui sont en majorité des Arabes sous commandement kurde [...] Ce sont eux qui ont les plus grands taux de mortalité et ce sont eux qui continuent d'avoir des détenus chez les jihadistes. Donc s'il y a négociation, c'est aussi pour contenter les tribus de l'Est syrien, puisqu'une partie de certaines tribus collaborent avec Assad au sud de l'Euphrate.
Daech recrute-t-il encore alors qu'il a perdu son territoire ?
D.T : Les jihadistes disaient "bienvenue au Shâm" à ceux qui arrivaient. C'était le territoire dans lequel on battait monnaie, dans lequel on assurait la protection, le soutien social, le califat. Cette attirance ne pourra plus avoir lieu. Ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas des zones désertiques avec des grottes, des endroits où se cacher, par exemple dans le sud de la Libye. Ou qu'il y ait des zones dans lesquelles il puisse y avoir une certaine liberté d'action, certes réduite mais toutefois possible. Mais la création d'un Etat comme ils l'avaient créé en 2014 relève du passé : cela a une incidence colossale sur les musulmans radicaux de nos populations de l'Europe de l'Ouest. L'image, l'attirance n'est plus là...
W.N : L'épicentre du jihad pour l'État islamique est devenu le lac Tchad et l'Afghanistan. Une proto-construction étatique est en cours dans ces deux zones, qui pourrait être similaire à ce que l'on a pu voir en Syrie, mais elle n'a pas la même attractivité que le Shâm, présent dans les livres et les prophéties. La pression militaire est telle en ce moment en Syrie et en Irak que c'est pour l'instant difficile. Mais il ne faut pas se leurrer : une fois que la pression militaire va baisser, ils risquent de revenir. En février, on a ainsi compté plus de 200 attentats en Syrie dans les zones qui étaient normalement pacifiées, parce qu'ils ont réussi à instaurer un tissu de soutiens, comme ils l'ont fait en Irak après trois ans d'administration réelle de ce territoire.
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