Franceinfo - le dimanche 19 mai 2019
L’article à lire pour comprendre les élections législatives en Inde
Plus de 900 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour désigner les 545 députés de la chambre basse du Parlement indien. Le Premier ministre sortant, Narendra Modi, pourrait ressortir de ce scrutin sans majorité absolue
Dans un bureau de vote du district de Jaipur, dans le Rajasthan (Inde), le 29 avril 2019. (VISHAL BHATNAGAR / NURPHOTO / AFP)
Avec 900 millions d'électeurs inscrits, ce sont les plus grandes élections du monde. L'Inde est rentrée depuis le 10 avril dans une course électorale longue de six semaines, dont les résultats seront connus jeudi 23 mai. Organisation, candidats en lice, contexte socio-économique... Franceinfo vous explique le déroulement et les enjeux de ces élections hors normes.
Un petit mot sur l'Inde pour commencer ?
Avec une superficie de plus de 3 millions de km2, l'Inde est six fois plus grande que la France et vingt fois plus peuplée : en 2018, le pays comptait 1,35 milliard d'habitants. Ce qui en fait le 2e pays le plus peuplé au monde, derrière la Chine, qu'il pourrait dépasser à l'horizon 2022, d'après les prévisions de croissance démographique de l'ONU.
Depuis les années 2010, le pays a connu une croissance économique extrêmement dynamique, devançant même la Chine, avec un taux de croissance qui frôle les 7%. Cependant, le développement ne suit pas : en 2017, près d'un tiers de la population vit toujours en dessous du seuil critique de pauvreté, et le chômage est à la hausse
La société indienne est organisée en castes. Cette division de la population vient de l'hindouisme, religion majoritaire du pays et pratiquée par près de 80% des Indiens, devant l'islam (14,2%) et le christianisme (2,3%). Officiellement, l'Inde est une république laïque, mais les actes antimusulmans, notamment en raison des différends historiques avec le Pakistan.
Au niveau politique, l'Inde est une République fédérale qui comprend 29 Etats, lesquels ont des compétences particulières au niveau juridique, sécuritaire, économique et éducatif. Si un président est élu au suffrage universel tous les 5 ans, le Premier ministre reste l'homme fort du pays. Actuellement, c'est l'ultra-nationaliste Narendra Modi qui occupe ce poste.
C'est quoi ces élections ?
L'Inde est considérée comme la "première démocratie du monde" avec près de 900 millions d'inscrits sur les listes électorales. Ces législatives, primordiales pour la vie politique indienne, se déroulent en fait depuis le 10 avril. En effet, ce scrutin se tient tous les 5 ans sur six semaines. Il permettra de désigner une nouvelle majorité à la chambre basse – la "Lok Sabha" – du Parlement.
"Il y a généralement une bonne participation aux législatives, rapporte Olivier Da Lage, auteur et journaliste pour RFI spécialiste de l'Inde. Traditionnellement, ce sont les basses couches de la société qui y votent, bourgeois et nobles dédaignant la tenue d'élections de manière générale. Mais cette année le BJP, le parti de Narendra Modi, devrait trouver un électorat dans les villes et classes moyennes supérieures. D'un autre côté, les paysans se sentent de plus en plus abandonnés et pourraient être tentés de s'abstenir."
Ça doit être compliqué à organiser...
Un million de bureaux de votes ont été ouverts. Tout au long de ces six semaines, le scrutin se déroule successivement dans les différentes régions de l'Inde, en s'appuyant sur les forces de police nationale, "afin d'éviter les risques de collusion avec les forces locales, souvent corrompues". "Chaque scrutin nécessite une logistique considérable", appuie Olivier Da Lage. Onze millions d'agents électoraux sont mobilisés. "Les élections se déroulent sous le contrôle de la commission électorale, très respectée par les électeurs pour son indépendance", explique le journaliste de RFI.
Concrètement, comment ça marche ?
L'Inde fonctionne avec un scrutin uninominal à un tour : c'est le candidat local qui obtient le plus de voix qui est élu. Ce qui complique les choses, c'est que l'Inde est un pays fédéral – comme l'Allemagne. La Lok Sabha compte 545 sièges et chaque Etat indien dispose d'un certain nombre de sièges à pourvoir, proportionnellement à sa population. "Les sondages nationaux n'ont pas d'intérêt puisque dans chaque circonscription, les électeurs votent en fonction de leurs priorités locales. Un siège peut se jouer à quelques voix seulement", analyse Olivier Da Lage.
Des électeurs indiens attendant de voter, le 11 avril 2019 dans l'Etat de l'Uttar Pradesh en Inde. (NASIR KACHROO / NURPHOTO / AFP)
Pourquoi ces élections sont-elles importantes ?
"L'Inde est un système parlementaire et même s'il y a un président, le pouvoir est entre les mains du Premier ministre, lui même responsable devant la chambre basse du Parlement", décrypte Olivier Da Lage. Reste à savoir si Narendra Modi, le Premier ministre actuel, pourra se maintenir au pouvoir (et dans quelles conditions). S'il perd sa majorité absolue, il lui faudra trouver des alliés – ce dont il manque cruellement. En face, l'opposition portée par Rahul Gandhi a tenté de créer une coalition pour reprendre le contrôle de la Lok Sabha aux nationalistes du BJP. Mais les très fortes rivalités au niveau local ont malmené cette alliance, qui "n'est pas aussi importante qu'elle aurait pu l'être", selon le journaliste de RFI.
Qui sont les candidats ?
Au total, plus de 8 000 candidats briguent un mandat parlementaire. Mais ce sont surtout deux partis qui s'affrontent : le BJP de Narendra Modi, donc, et le Parti du Congrès, socialiste et attaché au "sécuralisme", c'est-à-dire à l'égale bienveillance de l'Etat à l'égard de toutes les religions. Ce dernier, qui a dirigé l'Inde pendant plus de cinq décennies après son indépendance avant que le BJP ne le détrône en 2014, est aujourd'hui mené par Rahul Ghandi.
Rahul Gandhi, président du Parti du Congrès, le 19 avril 2019 à Ahmedabad (Inde). (SAM PANTHAKY / AFP)
Le parti de Narendra Modi nourrit lui l'animosité envers les musulmans. "Le BJP assimile les musulmans indiens avec le Pakistan, afin d'entraîner la crainte de la population", explique Nilanjan Mukhopadhay, spécialiste du nationalisme hindou, à franceinfo. "Tout la campagne s'est faite autour de la personne de Modi, le 'chowkidar' [le gardien d'immeuble] qui protège son peuple contre l'ennemi ; en l'occurrence, le Pakistan", confirme Olivier Da Lage.
"La grande absente de ces élections, c'est la laïcité, analyse aussi ce spécialiste, alors que d'habitude, c'est un sujet central." Les deux têtes d'affiche se montrent ainsi en pieux hindous et visitent des temples.
Au final, c'est une compétition entre un nationalisme hindou brutal et la version plus soft portée par Rahul Gandhi.à franceinfo
L'un des enjeux de ce scrutin sera donc de savoir quelle vision de leur pays les Indiens vont privilégier. Mais tout ne se décidera pas entre les deux grands partis, puisqu'il existe énormément de partis régionaux, apparu au fil des années, "par dissidence ou par identité de caste", note Olivier Da Lage.
Le Premier ministre sortant est-il apprécié ?
Disons qu'il divise, après cinq années au pouvoir. "Il ne peut pas se représenter sur le même programme qu'en 2014, quand il promettait de moderniser l'Inde", décrypte Ingrid Therwath, docteure en sciences politiques, spécialiste de l'Inde et journaliste pour Courrier international. "Malgré les échecs économiques qui lui ont certainement coûté des voix, il demeure assez populaire, estime son confrère de RFI. Moins qu'il y a 5 ans, mais plus que son parti.
Narendra Modi, le premier ministre indien, le 25 avril 2019 à Varanasi (Inde). (SANJAY KANOJIA / AFP)
Après les attaques dans le Cachemire indien du 14 février, les tensions avec le Pakistan se sont fait plus vives. Quelques jours plus tard, le Premier ministre a annoncé avoir effectué des frappes sur un camp d'entraînement d'un groupe islamiste pakistanais. "C'était complément électoraliste, il y a eu un déferlement patriotique, analyse Ingrid Therwath. Narendra Modi est passé de 30% à 62% dans les sondages."
Une forte opposition au Premier ministre a également émergé, ses détracteurs estimant qu'il glisse le pays "de manière progressive mais déterminée" vers un autoritarisme où ses adversaires politiques n'ont pas leur mot à dire, selon Olivier Da Lage.
Quels sont les enjeux ?
L'un des enjeux de l'élection concerne l'électorat rural. L'Inde compte 260 millions de fermiers alors que, depuis 70 ans, la part de l'agriculture dans le PIB n'a cessé de baisser – elle est tombée à 14%. En réaction, les mouvements de grève se sont succédé ces dernières années. Surfaces de terre trop petites, stagnation des prix, paysans sans terre, exode rural… Autant de problèmes auxquels les candidats assurent vouloir répondre en proposant notamment des aides
Des agriculteurs indiens manifestant contre la politique du gouvernement, le 30 mars 2019 à Amritsar (Inde). (NARINDER NANU / AFP)
Autre enjeu du scrutin, l'emploi des jeunes Indiens. D'après la journaliste Bénédicte Manier, "deux tiers des habitants ont moins de 35 ans et la moitié a moins de 25 ans. Avec 1 million de nouveaux actifs par mois sur le marché du travail, il est compliqué de trouver du travail." En 2014, Narendra Modi avait fait sa campagne sur "la promesse de la création de 10 millions d'emplois par an". Cinq ans plus tard, le bilan est décevant et le taux de chômage, à 6,1%, est le plus élevé depuis 45 ans – malgré une croissance exceptionnelle à 6,7%.
Quelles conséquences pour la diplomatie ?
L'Inde nourrit des relations tourmentées avec deux de ses voisins. La Chine d'abord, avec qui New Delhi se dispute le territoire d'Arunachal Pradesh, qui a fait l'objet d'une guerre sanglante en 1962. Narendra Modi a tenté à plusieurs reprises d'apaiser les tensions avec la 2e puissance économique mondiale. C'est en revanche beaucoup plus compliqué avec le Pakistan, ennemi juré depuis la partition de l'Inde coloniale en 1947, entraînant le déplacement de 15 millions de personnes et d'importantes violences.
Des militaires indiens à la frontière entre l'Inde et le Pakistan, à Wagah (Inde), le 1er mars 2019. (NARINDER NANU / AFP)
"Le BJP ne perd aucune occasion de s'en prendre au Pakistan, auquel les musulmans indiens sont implicitement associés, et accuse le Parti du Congrès d'être faible face à Islamabad, précise Olivier Da Lage. Côté pakistanais, le Premier ministre Imran Khan a paradoxalement fait l'éloge de Narendra Modi. En fait, les dirigeants pakistanais estiment qu'un gouvernement nationaliste sera mieux à même de faire des gestes d'ouverture sans être sous le feu de l'opposition. Cela étant, rien ne garantit non plus une embellie après les élections." Au mieux donc, des inflexions, mais pas de rupture majeure sur le plan international.
J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?
Des élections législatives se déroulent depuis le 10 avril en Inde, le deuxième pays le plus peuplé du monde avec 1,35 milliard d'habitants. Le scrutin est étalé sur six semaines et a pour but de désigner une nouvelle majorité parlementaire. Dans les urnes, ce sont deux visions de l'Inde qui s'affrontent : d'un côté, l'actuel chef du gouvernement, l'ultra-nationaliste Narendra Modi, qui affiche un discours antimusulman ; de l'autre, Rahul Gandhi, qui prône davantage une Inde multi-culturelle.
Le scénario le plus probable est celui d'une victoire du Premier ministre sortant, mais sans majorité, ce qui forcerait Narendra Modi à partager le pouvoir. Ces élections sont importantes pour l'avenir du pays, qui malgré un taux de croissance qui s'élève à 6,7%, fait face à un taux de chômage à son plus haut niveau depuis 45 ans. Le monde rural, confronté à une misère croissante, et la jeunesse sont également au cœur des débats.
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