Franceinfo - le mardi 19 novembre 2019 - mis à jour le 20.11.2019
Maroc : des propos chocs relancent la question du sort des milliers d'enfants abandonnés à la naissance chaque année
La présidente de l’association marocaine Solidarité féminine a affirmé que "24 bébés sont jetés à la poubelle par jour". Ce chiffre choc met en lumière les difficultés rencontrées par les mères célibataires dans le royaume
Aicha Ech-Channa, tenant deux bébés dans le jardin de son association pour mères en difficulté, à Casablanca, en mai 2000. (ABDELHAK SENNA / AFP)
"Cinquante mille enfants naissent hors-mariage chaque année, dont plus de 8 000 sont abandonnés immédiatement. En moyenne, 24 bébés sont jetés à la poubelle par jour. ll n'y a pas de nombre officiel de mères célibataires, mais il y a 10 ans, elles étaient déjà plus d’un demi-million", a déclaré, en Espagne, Aïcha Ech-Chenna, présidente de l’association marocaine Solidarité féminine créée en 1985. Ces propos écrits dans le journal espagnol Mujer Hoy (Femme d’aujourd’hui) ont été largement repris par les médias marocains.
Le site Facebook de l’association a quelque peu modéré la formulation, ne parlant plus de poubelles, mais d'"enfants abandonnés immédiatement". Cependant, l'idée reste la même : de nombreuses Marocaines se retrouvent dans la situation de devoir abandonner leur enfant, y compris des nourrissons.
Pourtant, le terme de "poubelle" avait déjà été employé. "Par crainte des autorités, mais aussi par peur des représailles de leur propre famille, beaucoup de jeunes mères finissent par se débarrasser de leur enfant. Selon les associations, 24 nourrissons sont abandonnés chaque jour dans le royaume et 300 cadavres de bébés sont retrouvés tous les ans dans les poubelles de Casablanca", écrivait Le Monde en 2018.
La déclaration d'Aïcha Ech-Chenna "renseigne sur l’état de fragilité des enfants. L’autre aspect tout aussi préoccupant de cette situation reste l’absence totale de chiffres officiels concernant les mères célibataires au Maroc", réagit le site Bladi. Il faut dire que ses propos ont du poids du fait de sa personnalité. Elle est en effet très connue au Maroc et son combat a dépassé les frontières du royaume. Aïcha Ech-Chenna a été récompensé par plusieurs prix internationaux (Prix des droits de l’Homme de la République française, Opus Prize…). "Elle mérite le Nobel de la paix", a même déclaré le Nobel de littérature J.M.G. Le Clézio dans une interview au Monde, rappelle le journal français Elle.
Cette militante, âgée aujourd’hui de 78 ans, infirmière de profession, a découvert très tôt le sort des femmes célibataires dans son pays. "L'article 490 du code pénal marocain puni d'un an de prison les relations sexuelles hors mariage et l'avortement est interdit", rappelle le journal espagnol Mujer Hoy. La récente affaire Hajar Raissouni a rappelé les difficultés rencontrées par ces femmes "dont on dit qu’elles sont des "fassedate" (prostituées), et de leurs enfants "oulad lehram", (les enfants du péché)", selon les mots de la sociologue Abderrahim Anbi.
Elles n’ont pas l’autorité parentale sur leurs enfants
Relancée par les propos choc d'Aïcha Ech-Chenna, cette question des abandons d’enfants n’est pas vraiment nouvelle au Maroc. En 2013, le journal marocain Aujourd’hui écrivait déjà : "27 200 mères célibataires, c'est le chiffre recensé en 2009 par l’association Insaf. (...) Ce chiffre est en croissance de 2,3% tous les ans." Il décrivait les discriminations subies par ces femmes et leurs enfants : "'Enfants du péché', c’est en ces termes révoltants qu’on les traite à tort. Ces petits nés hors mariage bien qu’ils n’aient fait aucun mal, sont stigmatisés non seulement socialement, mais juridiquement également. A commencer par la liste des prénoms qu’on impose aux mères célibataires lors de l’inscription de leurs enfants au registre de l’état civil. Ce qu’on inflige à ces dernières n’est pas moins clément, elles n’ont pas d’autorité parentale sur leurs enfants et sont sujettes à toutes sortes de maltraitance, d’exclusion sociale et de pression psychologique." Selon ce journal, "des 8 760 enfants abandonnés, 80% sont le fruit de relations extraconjugales."
Retrouvez en replay l'enquête de @2MInteractive sur les #PetitesBonnes qui ont retrouvé le chemin de l’école grâce à @INSAF_Maroc qui a ouvert un foyer à Talat N’Yaaqoub, destiné aux jeunes filles déscolarisées dans la région de Marrakech. #INSAF #Loi1912 https://t.co/RB1zlL1cXh
— INSAF association (@INSAF_Maroc) February 12, 2019
Les chiffres officiels sont moins importants :"En 2014, le ministère de la Justice marocain donnait le chiffre de 5 377 affaires d'enfants abandonnés en 2013, contre 5 274 en 2009", rappelait le site medias24 en 2016.L'ampleur du phénomène témoigne aussi des problèmes sociaux rencontrés par de nombreuses Marocaines issues de milieux pauvres. Souvent envoyées travailler en ville comme "petites bonnes", elles sont vulnérables et parfois soumises à des hommes violents qui abusent de leur faiblesse. Une fois enceintes, elles sont livrées à elles-mêmes. Incapables d'assurer leur survie et celle de le leur enfant.
Une situation qui met aussi en lumière la question de l'avortement. Les possibilités d'avorter restent très limitées et les tentatives d'élargissement des conditions légales de l'interruption volontaire de grossesse sont toujours en panne. Lors de l'affaire Raissouni, un collectif auteur d'un manifeste de "hors-la-loi" signé par plus de 10 000 personnes demandait au parquet marocain de suspendre l'application de "lois liberticides" punissant de prison le sexe hors-mariage, l'adultère et l'avortement. La réponse à l'horreur des chiffres lancés par Aïcha Ech-Chenna se trouve peut-être en partie là.
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