Franceinfo - le mardi 5 février 2019 - mis à jour le 06.02.2019
RECIT. "Elle a dû mettre le feu chez moi pour se venger" : mardi, en pleine nuit, un incendie ravage un immeuble de la rue Erlanger, à Paris
Au moins dix personnes ont été tuées et plus d'une trentaine ont été blessées dans l'incendie. Une personne a été interpellée, soupçonnée d'avoir allumé le feu
Un incendie ravage un immeuble dans le 16e arrondissement de Paris, le 5 février 2019. (BENOIT MOSER / BRIGADE DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS)
Des bruits sourds résonnent sur le palier du 2e étage du 17 bis de la rue Erlanger. Il est déjà tard, dans cet immeuble du 16e arrondissement de Paris, lundi 4 février. Agacée, une habitante va aux nouvelles. "J'ai vu que c'était un jeune homme qui donnait des coups à la porte qui était au fond du grand couloir, raconte-t-elle à franceinfo. Je l'ai vu se déchaîner contre cette porte, j'ai demandé ce qu'il se passait." Une "dispute" de voisinage va conduire à la mort d'au moins dix personnes dans l'incendie le plus meurtrier survenu depuis 2005 dans la capitale.
L'homme en colère se prénomme Quentin. A 22 ans, il est soldat du feu à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Lui et sa compagne ne parviennent pas à dormir à cause du bruit sur le palier. "Nous étions dérangés par ma voisine qui avait mis la musique très fort chez elle. Cela fait seulement trois mois que je suis dans cet immeuble, et ce n'était pas la première fois qu'elle faisait ça", raconte-t-il au Parisien.
"Elle a dû mettre le feu chez moi pour se venger"
Un jeune couple du 3e étage confirme à l'AFP avoir entendu cette "dispute" vers 23 heures : "Au début, un homme a crié : 'Y en a qui se lèvent tôt, demain. Y en a qui bossent tôt'. Il disait qu'il y avait de la musique, même si nous on n'entendait pas", raconte Clément. "Ensuite, j'ai entendu une dame dire quelque chose comme : 'Bouge pas, t'es mort' ou 'Si tu bouges, t'es mort'. Elle criait très fort, elle n'avait pas l'air bien intentionné."
Vers 23h50, Quentin, excédé, appelle la police. Une patrouille intervient. Il est entre 0h10 et 0h30, selon les informations recueillies par France 3. Les policiers conseillent au pompier de passer la nuit ailleurs. Après leur intervention, Quentin rentre chez lui, croyant que sa voisine a été "embarquée". Il n'en est rien. "Quand je l'ai croisée, elle m'a souhaité : 'Bon courage', en me disant que j'aimais bien les flammes. Là, j'ai senti l'odeur de brûlé. Et je me suis aperçu qu'elle avait mis le feu à tout l'étage. Elle s'est ensuite sauvée en courant." "Elle a dû mettre le feu chez moi pour se venger, suppose Quentin. Un voisin m'a expliqué qu'il y avait du papier devant ma porte avec du bois."
"Il fallait que je les sauve à tout prix"
Il est 0h37. Les pompiers reçoivent un appel au secours. Ils s'apprêtent à intervenir. Dans cet immeuble des années 1970, les flammes s'étendent rapidement. Quentin appelle les secours. Il essaie d'évacuer les résidents, tout comme Fabrice, un policier habitant au troisième. "Je me suis habillé comme un fou, j'ai pas calculé, j'ai vu des flammes, j'ai vu la fumée", raconte le fonctionnaire de police à franceinfo. Il sort sur le palier et "sonne partout" à son étage. "Ce sont des gens que je connais, donc il fallait que je les sauve à tout prix, poursuit-il. J'ai tapé à la fenêtre, aux portes, (...) j'ai fait en sorte que tout le monde puisse sortir rapidement parce qu'il y avait trop de fumée au 3e étage."
Les flammes ravagent un immeuble, rue Erlanger, dans le 16e arrondissement de Paris, le 5 février 2019. (BENOIT MOSER / BRIGADE DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS)
Parvenu au 4e, il est contraint de faire marche arrière, à cause de l'épaisse fumée qui se dégage. "Il y avait des travaux, du plastique au sol donc (...) ça a gagné la cage d'escalier." Au deuxième étage, l'habitante qui avait observé la dispute entre Quentin et sa voisine entend hurler : "y a le feu". "Je suis sortie sur le palier, j'ai vu qu'il y avait un commencement [d'incendie]." La fumée, "irrespirable", la force à rentrer dans son appartement pour attendre l'arrivée des pompiers. Tout en haut de l'immeuble, c'est la panique. La cage d'escalier est en feu et d'immenses flammes s'échappent des vitres explosées des derniers étages. "J'habite au 8e étage, le dernier, témoigne Claire, très choquée. J'ai enjambé plusieurs balcons au-dessus du vide, et ensuite, on s'est retranchés dans un coin."
"Il y avait des hurlements déchirants"
Dans cette petite rue à sens unique, le brasier réveille les habitants des immeubles voisins. "Les gens hurlaient aux fenêtres, ça faisait froid dans le dos", raconte Anne-Charlotte à CNews. "Mon fils m'a appelé en disant : 'Il y a des flammes et des gens qui hurlent'. Il y avait des hurlements déchirants, il n'y a pas d'autres mots, de gens qui étaient pris dans les flammes. On a tout de suite appelé les pompiers", confie Sophie à l'AFP.
Des pompiers interviennent rue Erlanger, à Paris, le 5 février 2019, pendant un incendie dans un immeuble. (BENOIT MOSER / BRIGADE DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS)
Les fenêtres de son appartement situé au 9e étage se trouvent au niveau du toit qui a pris feu : "Tous ces gens qui étaient au dernier étage... Je suis environ à 5 mètres d'eux. Il y avait une dame qui était complètement en panique sur le toit qui, vite, a été rejointe par un jeune homme", raconte Sophie. "Il y avait sept personnes qui étaient sur une corniche le long d'une fenêtre. Une corniche de 50 cm avec des enfants. Très courageusement, le jeune homme qui était au-dessus les a pris avec ses bras. Il a monté les enfants qui pouvaient monter et il les a mis un peu à l'abri. Il y avait pendant une heure et demie sept personnes sur une corniche de 50 cm avec le feu qui s'approchait inexorablement. C'était terrible."
"Dites-leur de ne pas sauter"
La configuration des lieux rend le travail des pompiers encore plus difficile. "L'immeuble est dans une cour à l'arrière. Le camion et la grande échelle ne pouvaient pas passer. Cela a été très très long", se souvient Sophie. "Il a fallu travailler avec des échelles à main, qu'on a prolongées avec des échelles à crochets, qui permettent de faire l'ascension de la façade, à la force des bras, en traction, pour aller d'étage en étage chercher des gens", décrit le porte-parole des sapeurs-pompiers de Paris, Clément Cognon.
Les soldats du feu qui tentent d'atteindre les sinistrés font appel à Sophie : "Dites-leur de ne pas sauter, dites leur qu'on arrive", se remémore-t-elle. "Ils ont descendu les quatre personnes qui étaient sur le toit. (...) Ils les ont fait descendre un par un."
Une cinquantaine de personnes sont évacuées par les pompiers, grâce à l'installation d'échelles et de cordes. "Je voyais les pompiers qui montaient qui descendaient et l'enfer de ce feu qui ne se calmait pas, jamais. Ils éteignaient, ça se rallumait", raconte une habitante d'un immeuble adjacent. Des gens pris au piège criaient "Sauvez-moi, aidez-moi !", ajoute-t-elle.
Quelque 200 soldats du feu participent aux opérations. Il leur faut plus de cinq heures pour venir à bout du brasier. "Ils avaient les camions, les grandes échelles, mais ils pouvaient rien faire. Après, ils ont mis des rallonges, des rallonges, des tuyaux, des tuyaux... que des petits moyens", raconte Nicolas. "On a apporté de l'eau aux pompiers, des packs d'eau. On les voyait se relayer, ils sortaient de là, ils étaient KO." On dénombre 33 blessés dont 8 pompiers.
Une suspecte aux "troubles psychiatriques"
Arrivé sur place au petit matin, le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, indique que le sinistre a fait au moins huit morts et une trentaine de blessés. Il annonce le placement en garde à vue d'une habitante de l'immeuble âgée d'une quarantaine d'années. Selon les informations de France 3, la résidente a été arrêtée à 00h45, au 7 rue Géricault, à cinq minutes à pied de son domicile. Elle essayait de mettre le feu à des foulards attachés aux rétroviseurs d'une voiture. Elle avait été aperçue juste avant au 52 rue d'Auteuil, penchée sur des poubelles d'où s'échappait de la fumée. Aux policiers qui l'ont interpellée, elle a déclaré : "J'ai été cambriolée. Ils m'ont prise pour une conne, je vais leur faire payer."
Le procureur de Paris décrit une femme "présentant des troubles psychiatriques". Une source proche du dossier indique à franceinfo qu'elle avait fait au moins un séjour en hôpital psychiatrique et qu'elle était connue de la justice pour "port d'arme", sans que la nature de celle-ci ne soit précisée, ainsi que pour des différends avec son voisinage. Une enquête est ouverte pour "destruction volontaire par incendie ayant entraîné la mort" et confiée à la police judiciaire.
Cellule d'aide psychologique
"La France se réveille dans l'émotion", tweete à 10h35 le chef de l'Etat qui adresse ses "pensées" aux victimes et salue les pompiers "dont le courage a permis de sauver de nombreuses vies". A la mairie d'arrondissement, les victimes intègrent la cellule d'aide psychologique, selon l'adjointe à la mairie de Paris, Colombe Brossel.
"Dès les petites heures du matin, nous avons accueilli et hébergé un certain nombre de personnes qui étaient rescapées de l'incendie", explique l'élue. Devant les grilles, des dizaines de journalistes se pressent pour recueillir les témoignages des rescapés.
Sur place, rue Erlanger, les pompiers s'activent toujours en milieu de matinée. Ils craignent encore une reprise de feu et un effondrement des derniers étages. Deux immeubles adjacents sont évacués par mesure de précaution. A la mi-journée, ils découvrent un dixième corps "carbonisé" dans les décombres. Ils préviennent que ce bilan reste provisoire. En début d'après-midi, ils poursuivaient leurs inspections, à tous les étages, pour éviter les reprises de feu.
L'enquête pour comprendre les circonstances exactes du drame ne fait que commencer. Selon une source proche du dossier à franceinfo, l'incendie a été provoqué par plusieurs départs de feu au sein de l'immeuble et des traces de produit inflammable ont été détectées. La suspecte, elle, a été admise en fin de journée à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Sa garde à vue est levée. En attendant de savoir si son état lui permettra d'être entendue.
Les habitants de l'immeuble, eux, ne pourront pas rentrer chez eux ce soir. L'accès de l'immeuble est interdit par un arrêté municipal. Sur les 120 personnes évacuées, une vingtaine ont été relogées par la mairie, les autres ont trouvé refuge chez des proches.
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