Franceinfo - le samedi 30 novembre 2019 - mis à jour le 01.12.2019
Salon du livre jeunesse de Montreuil : vos enfants lisent-ils encore les "classiques" de la littérature ?
Maupassant, Zola, Jack London, Homère, Hugo, les frères Grimm ou Charles Perrault… Les auteurs classiques ne sont pas morts, vos enfants en lisent.Pour comprendre comment c'est possible, nous avons fait une petite enquête au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil
Salon du livre et de la presse jeunesse (SLPJ), novembre 2019 (Laurence Houot / franceinfo Culture)
On les dit rivés sur leur écrans, on déplore leur manque de culture, et pourtant, quand on déambule dans les allées du salon du livre et de la presse jeunesse (SLPJ), qui se déroule à Montreuil jusau'au 2 décembre, on est bien obligé de constater que nombre d'enfants et d'adolescents rôdent avec intérêt autour des tables qui mettent en avant nos bons vieux classiques. Non seulement les enfants et les ados les connaissent, mais ils en lisent ! Certains classiques sont même des best-sellers : Vendredi ou la vie sauvage (Folio Junior), de Michel Tournier, ou Le Lion, de Kessel, chez Gallimard Jeunesse, ou encore L'Odyssée, d'Homère, à L'école des loisirs, font des cartons en librairie.
Comment est-ce possible ? Il y a bien évidemment les professeurs, qui dès le primaire initient leurs élèves à la littérature classique, nous en avons rencontré au salon de Montreuil, ceux des collèges et des lycées, ensuite. Mais les classiques ne sont pas seulement lus sous la contrainte de l'école. Depuis quelques années les éditeurs redoublent d'imagination pour rendre cette littérature accessible, et séduisante.
Les enfants et les ados lisent-ils toujours des classiques ?
Les classiques sont-ils encore accessibles aujourd'hui ?
"Certains textes classiques peuvent être difficiles, avec un vocabulaire daté, et des univers où les jeunes lecteurs peuvent avoir du mal à se repérer", rappelle Hedwige Pasquet, responsable de la collection Folio Junior/Textes Classiques chez Gallimard Jeunesse. "Ce sont des textes d'une richesse qu'il est important de mettre à la portée des enfants. Et avant tout, il ne faut jamais perdre de vue le plaisir de la lecture", ajoute l'éditrice.
Les éditeurs ont donc trouvé des astuces pour dépoussiérer ces textes, en proposant de nouvelles traductions, ou bien en publiant des versions abrégées, "qui ne sont pas des résumés, mais dans lesquels on fait quelques coupes discrètes et respectueuses de l'intrigue et de la langue", précise Hedwige Pasquet.
Les oeuvres sont aussi proposées en "versions adaptées", pour des textes qui sont dans une forme vraiment trop éloignée d'un livre, comme L'épopée de Gilgamesh (Folio Junior - textes classiques) adapté et raconté par Pierre-Marie Beaude, illustré par Rémi Saillard, ou bien Le livre des merveilles de Marco Polo "Pour que ce soit plus accessible, Pierre-Marie Beaude a inventé un personnage, un jeune auquel les lecteurs peuvent s'identifier, qui sert de porte d'entrée dans le livre", souligne l'éditrice. "On a lancé aussi les Folio Classiques Cadet", se félicite Hedwige Pasquet. Une collection qui permet aux 9-12 ans de lire Yourcenar, Le Clézio, ou Michel Tournier (la classe !).
Les classiques, "des livres pour les riches" ?
A L'école des Loisirs, le combat pour rendre accessibles les classiques ne date pas d'hier. Avec sa collection Classiques abrégés, qui fêtera bientôt ses 40 ans, la maison d'édition a suscité "des commentaires féroces", rappelle Marie-Hélène Sabart, directrice de la collection. On parlait alors de "mutilations infligées au texte" ou "de crimes contre les œuvres des auteurs". L'éditrice rappelle que le terme de "classique" était à l'origine associé à la richesse. "Un écrivain classique, c'est un écrivain qui compte, qui a du bien au soleil, qui ne se confond pas dans la masse des auteurs prolétaires", disait Aulu-Gelle, un grammairien de l'Antiquité.
La notion de classique fait référence à une hiérarchie sociale, "en un mot, le classique, c'est pour les riches", souligne l'éditrice, et "si on l'abrège, le risque de le déclasser", ajoute-t-elle. Mais les temps ont changé, et la collection est aujourd'hui parfaitement acceptée. "Elle a même été imitée par d'autres éditeurs", souligne Marie-Hélène Sabard. Aujourd'hui, ce que l'on appelle "classique" serait plutôt, comme le rappelle Alain Vial, historien et sociologue de la littérature, ce qui a "valeur d'échange". Le classique, c'est "ce qu'il faut avoir lu pour pouvoir en parler avec les autres, voire pour briller dans la société". Une œuvre deviendrait donc classique à partir du moment où elle serait "connue de tous."
L'abrégeur est-il un "bûcheron psychopathe" ?
"Quand on abrège, on ne fait pas autre chose que ce que fait naturellement le lecteur, qui a le droit, comme l'a rappelé Daniel Pennac dans 'Comme un roman', de sauter des pages, de choisir ce qu'il va lire ou pas". Les écrivains et enseignants ne feraient donc pas autre chose que cela en abrégeant les textes pour les rendre plus accessibles. "Reste à fabriquer des abrégés qui ne soient pas le fruit du travail d'un bûcheron psychopathe", s'amuse l'éditrice. "Ce travail laisse forcément une place à l'arbitraire, mais dans la mesure où il s'agit de restituer le souffle, le style et le rythme de l'auteur, l'abrégeur va nécessairement choisir de mettre l'accent sur tel ou tel aspect de l'œuvre", poursuit Marie-Hélène Sabard.
Elle cite un passage des Misérables, de Victor Hugo, qui a été conservé dans l'abrégé : "Il fait noir dans le malheur, il fait plus noir encore dans le crime ; ces deux noirceurs amalgamées composent l'argot". (Cet extrait figure dans l'abrégé (page 216 pour ceux qui sont curieux d'en lire la suite, et ils se régaleront)
L'éditrice explique avoir conservé "ces passages qui n'ont aucun intérêt pour l'intrigue pour permettre de restituer le souffle de l'écrivain". Avec certains auteurs, c'est assez simple."Avec Jules Verne, il suffit de retrancher toutes les explications pompées dans les encyclopédies de l'époque", confie Marie-Hélène Sabard. Avec d'autres écrivains, le travail peut s'avérer plus compliqué.
Un 'abrégeur' trop zélé avait un jour supprimé un mot sur trois dans les phrases de Balzac. On aurait dit du Christine Angot et je n'ai pas été d'accord !L'école des loisirs
Un des points essentiels, estime l'éditrice, est "de garder au texte sa couleur, que l'on ait en refermant l'abrégé la même impression, la même émotion qu'en refermant l'intégral". Un travail d'orfèvre, sachant que "chaque mot doit être de l'auteur, rien que de l'auteur", rappelle l'éditrice. Il faut prendre garde à ne pas commettre d'impair, "comme de faire surgir un personnage qui n'aurait pas été présenté" pour cause de coupe.
A l'initiative de Charlotte Moundlic, éditrice aux éditions Rue de Sèvres, certains ouvrages de la collection Classiques abrégés de L'école des loisirs ont été confiés à des illustrateurs pour en faire des beaux livres. "L'idée était donc de reprendre ces textes, sans les retoucher, et de donner carte blanche à des artistes pour illustrer en 10 tableaux, plus la couverture, une œuvre de leur choix". "Je trouve ça réjouissant de proposer un point de vue contemporain, à travers les images, sur une œuvre classique. Il y a cette idée de ne pas mettre ces auteurs sous cloche", souligne Charlotte Moundlic, qui a aussi adapté en tant qu'auteure Blanche Neige (Albin Michel) avec l'illustrateur François Rocca. Pour ce projet, elle dit s'être amusée à réinterpréter ce conte dont la narration est très factuelle en "creusant la psychologie des personnages".
Comment faire lire des classiques aux lecteurs de BD ?
Les lecteurs de BD ne sont pas oubliés, loin de là. Les adaptations d'œuvres classiques avec cases et bulles fourmillent. Jacques Ferrandez vient par exemple de publier aux éditions Gallimard BD une adaptation de Que ma joie demeure, le roman de Jean Giono, et ce n'est pas une première. Il avait déjà adapté Albert Camus, un autre grand auteur classique du XXe siècle avec L'étranger en 2013 et Le premier homme, en 2017.
Les éditions Glénat consacrent de leur côté une collection entière, Les Indispensables de la littérature en BD, à ces adaptations. Une autre collection, à vocation plus pédagogique, propose entre autres Croc-Blanc, de Jack London, Les trois mousquetaires, de Dumas, ou encore Les aventures de Tom Sawyer, de Mark Twain, avec à la fin de chaque album un dossier pédagogique consacré à l’auteur, sa vie et son œuvre dans le contexte historique, artistique, littéraire, économique et social de son époque.
Chez Casterman, la collection Les classiques en BD propose autour d'une œuvre, ou d'un auteur, d'entrer à partir de 9 /12 ans dans la littérature classique, avec des albums comme L'ile au trésor, de Stevenson, Victor Hugo, Molière, Contes, de Charles Perrault, ou encore Les fables de La Fontaine. "On s'interroge à chaque nouvel album sur la manière d'entrer dans le sujet", précise Marine Tasso, éditrice pour les documentaires, la BD et la jeunesse chez Casterman.
La maison d'édition privilégie la biographie "quand la vie et l'œuvre de l'auteur sont intimement liées, comme pour Victor Hugo ou Molière, par exemple". Dans ce cas, les textes sont intégrés dans le fil du récit sous forme d'extraits, dans des pages identifiées graphiquement. "Notre volonté est de mettre les enfants en direct avec une œuvre, ou un auteur", souligne l'éditrice, qui insiste sur "le chemin du plaisir de l'enfant".
Pour Les Fables de La Fontaine, Bruno Heitz a choisi de commencer par une contextualisation, une petite présentation de La Fontaine, puis il a mis en scène en bande dessinée ensuite les fables. Dans les bulles il n'y a que les dialogues de la fable, exclusivement le texte original. "C'est une manière très habile, très simple, de faire entrer les enfants dans les fables de La Fontaine", estime Marine Tasso.
Les enfants lisent volontiers de la bande dessinée, "une lecture qui n'est pas, contrairement aux préjugés, une lecture facile, au contraire". Cela nécessite de mettre en branle simultanément l'attention au texte et à l'image, "ce qui ne va pas de soi", remarque l'éditrice. "Ces adaptations sont donc aussi une manière de valoriser la lecture de la BD, pour le lecteur, pour les parents, pour les libraires, pour les enseignants" souligne-t-elle. "Cette collection, qui s'adresse à des collégiens, vient en plus de ce qu'ils apprennent au collège, ils doivent faire écho à ce qui leur est présenté dans le cadre scolaire, mais avec le plaisir de la BD", conclut-elle.
D'autres albums misent sur l'humour, pour désacraliser les classiques en BD, comme Avez-vous lu les classiques de la littérature ?, de Solédad Bravi et Pascale Frey (Rue de Sèvres) ou encore Les classiques de Patrique (Gallimard Jeunesse), de Delphine Panique, qui, par la voix de Patrique, une motte de terre ayant survécu grâce à la lecture, font découvrir aux enfants et aux ados Madame Bovary, Crime et Châtiment en passant par L'Iliade.
Et les classiques pour les petits ?
Si l'on se balade dans les allées du salon de Montreuil, on peut se rendre compte à quel point les classiques ont toujours leur place parmi les livres proposés aux plus petits. Les éditeurs, les auteurs et les illustrateurs s'en emparent désormais pour en faire des objets séduisants, beaux, et originaux.
L'illustrateur et auteur Benjamin Lacombe par exemple, revisite les contes et les mythes avec ses illustrations comme de vrais tableaux, et parfois aussi en adaptant les textes, Le Petit Chaperon rouge (Editions Soleil, 2003), Blanche Neige (Milan, 2010), Alice au pays des merveilles (Soleil 2015), ou encore Ondine (Albin Michel 2012).
D'autres poussent plus loin encore l'imagination, comme Sonia Chaine et Adrien Pichelin, qui proposent avec les albums de la collection Raconte à ta façon chez Flammarion Jeunesse, une expérience de lecture inattendue des contes. dans ces versions du Petit Poucet, du Petit Chaperon rouge, ou encore des Trois petits cochons, c'est l'enfant qui est invité à se raconter l'histoire, avec des albums sans texte où les personnages sont représentés par des pictogrammes.
La collection Mes contes à déplier (Gallimard) propose "une autre manière de raconter les contes, qui joue sur l'effet de surprise", souligne Hedwige Pasquet. On retrouve aussi les classiques en musique, avec notamment Albums musique de Gallimard, qui ont récemment publié Le vilain petit canard, adapté par HéloÏse Chouraqui, et Arnaud Valois, avec une musique composée par Etienne Daho. Dans la même collection, on peut faire découvrir aux enfants Vingt mille Lieues sous les mers, ou encore L'énorme crocodile de Roald Dahl, raconté par François Morel sur une musique originale d'Isabelle Aboulker.
Mais au fait, ça sert à quoi de lire des classiques ?
"L'objectif est de créer une culture commune à travers ces œuvres patrimoniales. Aux maisons d'édition de trouver les moyens de donner envie aux enfants de s'y plonger, de les aider à entrer dans ces livres", remarque Hedwige Pasquet "et je suis convaincue que ces livres sont lus par les enfants en dehors de la prescription scolaire.
Elle rappelle que des livres comme L'appel de la forêt', de Jack London par exemple, est "un formidable roman d'aventures", que Le grand Meaulnes ou encore La case de l'oncle Tom sont des livres qui sont "très populaires" auprès des jeunes lecteurs et que des romans comme Vendredi ou la vie sauvage, de Michel Tournier, "qui n'a nécessité aucune adaptation", fait partie des meilleures ventes à L'école des loisirs.
Pour hedwige Pasquet, "les contes sont des histoires intemporelles, qui ont une grande importance pour le développement des enfants, pour leur construction, comme l'a démontré Bettleheim."
Marie-Hélène Sabard note "l'urgence de transmettre, de faire en sorte que les lettres ne soient pas lettres mortes et que les œuvres de Balzac ou de Corneille ne soient pas langues anciennes". Charlotte Moundlic estime de son côté qu'il serait dommage de priver les enfants d'aujourd'hui "de telles perles" .
"Au-delà des portables, des réseaux sociaux, de la musique et du streaming, la jeunesse réclame du sens. Il faut aider les ados à percevoir ce que la littérature peur leur donner de vital, de sens", conclut Marie-Hélène Sabard.
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