Franceinfo - le samedi 7 avril 2018
Pourquoi le "doggy bag" a un mal de chien à s'installer dans les restaurants en France
Les restaurateurs vont-ils être obligés de proposer à leurs clients, à la fin du repas, une petite boîte afin d'emporter ce qu'il reste dans leurs assiettes ? C'est ce que vise un amendement adopté par l'Assemblée. Mais cette proposition est difficile à mettre en place, estiment une partie des professionnels
Une restauratrice strasbourgeoise (Bas-Rhin) prépare un "doggy bag", le 4 janvier 2017. (JEAN-MARC LOOS / MAXPPP)
Une barquette à emporter pouvant contenir les restes que l'on n'a pas consommés au restaurant. Le "doggy bag", concept anglo-saxon (notamment très utilisé aux Etats-Unis) n'a rien de révolutionnaire, mais il pourrait devenir obligatoire en France. Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, la commission Développement durable de l'Assemblée nationale a en effet adopté un amendement pour obliger les patrons d'établissements de bouche à mettre en place ce dispositif pour les clients qui le souhaitent. Pour qu'il devienne définitif, l'amendement doit encore passer le filtre de la commission économique du Palais-Bourbon et être soumis au vote de l'ensemble des députés.
Mais la mesure ne fait pas l'unanimité chez les restaurateurs. Car si le "doggy bag" existe déjà en France, chez quelques professionnels, il peine encore à s'installer. Mais pour quelles raisons ?
Parce que les restaurateurs ne sont pas certains que cela permette de limiter le gaspillage
Le gaspillage alimentaire : telle est la cible première de cet amendement. "Le but est de généraliser une pratique existante et de réduire par deux le gaspillage alimentaire d'ici 2025", arguent les députés de la commission Développement durable. Selon l'amendement déposé, les pertes de nourriture sont cinq fois plus élevées en restauration commerciale qu'à domicile. Elles s'élèveraient à environ 157 grammes par personne et par repas, le tout pour une valeur d'environ 1 euro par repas.
Alain Fontaine, membre de l'association française des Maîtres restaurateurs, tire la même leçon. "Il faut qu'en tant que restaurateurs, on soit clairs avec ça. On a notre rôle à jouer dans la lutte contre le gaspillage." Dans son bistrot parisien, Le Mesturet, il envoie ses déchets alimentaires au compost... et il propose déjà des "doggy bags" depuis plusieurs années.
De son côté, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie est plus sceptique sur l'utilisation de ces boîtes à emporter pour lutter contre le gaspillage alimentaire. "Dans la restauration commerciale, par principe, on est sur des portions adaptées", affirme le président de sa branche restauration, Hubert Jean.
On est déjà dans cette démarche. Le principe du zéro déchet en cuisine est là parce que c'est plus économique. Si vous avez des assiettes qui reviennent avec de la nourriture, c'est que quelque chose ne va pas.à franceinfo
Car pour lui, la restauration commerciale ne doit pas être la cible principale des députés. "Si on veut mettre de l'obligation et du réglementaire, il faut viser la restauration collective", celle des cantines scolaires ou des restaurants d'entreprises, estime celui qui considère que l'amendement "dépasse l'entendement".
Parce que la question de l'hygiène revient toujours sur la table
Chez les restaurateurs interrogés par franceinfo, le "doggy bag" soulève une véritable question autour de l'hygiène. "Si le client part deux ou trois heures avec sa barquette sans la mettre au frigo, il y a risque pour l'hygiène dans ce laps de temps", s'inquiète Hubert Jean.
Il faut que les restaurateurs soient dégagés de cette responsabilité. L'amendement ne précise pas suffisamment qui est responsable en cas d'intoxication alimentaire.à franceinfo
Pour Hubert Jean, la réponse est claire : "Le restaurateur n'est pas responsable". Mais malgré tout, le risque est présent, et nécessite un éclaircissement de la part du législateur, si l'amendement est adopté.
Parce qu'il ne convainc pas (tous) les clients
Comme son nom l'indique, le "doggy bag" vient d'Outre-Atlantique. "Mes premières demandes venaient de touristes américains", se souvient d'ailleurs Alain Fontaine. Alors la boîte à emporter peut-elle s'installer dans le pays de la gastronomie ? "C'est vrai qu'il y a en France un frein psychologique, mais c'est aussi parce que les consommateurs n'osent pas en faire la demande de peur de se voir objecter un refus de la part du restaurateur, estime, dans Le Parisien, Bérangère Abba, auteure de l'amendement et députée LREM de Haute-Marne. Il faut que les habitudes évoluent."
Une leçon dont témoigne encore Hubert Jean. En 2014, l'Umih lançait une grande opération en faveur du "doggy bag". Pas moins de 10 000 boîtes étaient envoyées partout en France. Résultat : un flop. "Elles ont été très peu utilisées", témoigne le restaurateur. Pour lui, l'obligation ne changera pas le peu d'usage qui en est fait par les consommateurs.
Ce n'est pas dans la culture française, c'est extrêmement marginal de voir ça. Cela vient du monde anglo-saxon, mais quand on voit l'état de la restauration là-bas, c'est plus compréhensible.à franceinfo
Et pourtant, les habitudes évoluent, en raison de la concurrence de la livraison
De son côté, Alain Fontaine estime que le "doggy bag" répond désormais à une vraie demande auprès de ses clients. Progressivement, "ce qu'on appelle le 'sac à chien' est sorti de l'esprit. Aujourd'hui, tous les types de clients m'en demandent." Il achète ses boîtes de conditionnement environ 40 centimes l'unité. Un investissement qui lui permet d'offrir un "service en plus au client".
Mieux, il voit aussi dans ces barquettes à emporter l'occasion de redonner une certaine place à la restauration française : "Je ne vois pas comment on peut être contre alors que les sociétés de livraison à domicile vidangent nos restaurants. Il faut savoir ce qu'on veut : soit on garde nos clients en leur fournissant le repas entier, soit on les laisse appeler des sociétés de livraison."
L'amendement ouvre la porte à un service supplémentaire. Est-ce qu'on doit laisser Foodora ou Deliveroo proposer un nouveau service qu'on ne propose pas nous-mêmes ? à Franceinfo
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