la tribune du jeudi 27 novembre 2014
ECONOMIE – Pétrole moins cher : une fausse bonne nouvelle ? Réunion aujourd’hui à Vienne, en Autriche, de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). Les pays exportateurs de pétrole s’entendront-ils pour faire remonter les prix ? Ce serait une mauvaise nouvelle pour les automobilistes, mais le pétrole bon marché a aussi des inconvénients.
Pas de panique, a lancé le secrétaire général de l’OPEP à des marchés très inquiets. Inquiets de quoi ? De la chute des prix du pétrole, avec un baril de brut à moins de 80 dollars, quand il était encore à 115 dollars en juin. Car si cette baisse des prix est une bonne nouvelle sur bien des points, elle est aussi lourde de conséquences négatives.
L’essence moins chère
Une fois n’est pas coutume, les prix des carburants à la pompe et du fioul suivent à la baisse les prix du pétrole. Pas complètement, dans la mesure où le produit premier (raffinage compris) représente entre 36 % (pour le SP95) et 45 % (pour le gazole) du prix final.
Le reste passe dans la distribution, et surtout les taxes : dans le cas du gazole, près de 32,5 % pour la TCIP (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), et 16,5 % pour la TVA (chiffres du Comité Professionnel du Pétrole, 2013). Mais le fait est que les prix à la pompe sont au plus bas depuis quatre ans. Au point d’annuler complètement la récente hausse de la taxe sur le gazole.
Entreprises gagnantes
Les transports en profitent à plein, bien sûr. Le transport routier a ainsi économisé 318 millions d’euros en un an, selon les Echos. Citons encore la chimie, les pneus Michelin et toutes ces entreprises grosses consommatrices d’hydrocarbures. Pour l’industrie française dans son ensemble, l’impact positif dépasse même le gain lié aux baisses d’impôts du CICE, selon l’institut Rexecode.
Tensions politiques
Mais la médaille a son revers, les bénéfices des uns font les pertes des autres. Les pays producteurs souffrent, surtout quand ils sont très dépendants du pétrole : la Russie, qui y puise la moitié de ses recettes budgétaires, l’Algérie, qui réalise 97 % de ses exportations en hydrocarbures, le Nigeria… Point besoin d’être grand géopoliticien pour imaginer les tensions politiques pouvant suivre. On pense en particulier à l’Iran, fragilisé par la baisse de ses recettes, en pleine négociation sur le nucléaire.
Menace de déflation
La baisse des prix des carburants contribue pour une part importante à la très faible inflation, en France et en Europe. Or, l’étape suivante, c’est la déflation, le mot qui fait peur à tout le monde, car il rime avec récession.
Transition compliquée
Chacun se souvient que le monde a découvert les économies d’énergie en 1973 avec le premier choc pétrolier, et la hausse brutale des prix. A l’inverse, souligne l’économiste Patrick Artus (Natexis), la baisse « encourage la consommation d’énergie fossiles (et d’abord du charbon) dont le prix diminue et rend plus coûteux le passage aux énergies renouvelables ». De quoi rendre plus difficile, l’année prochaine, un succès du sommet de Paris sur le climat. Francis Brochet
« On ne voit guère de changements dans les fondamentaux. La demande continue d’augmenter, l’offre aussi… L’OPEP n’a pas d’objectif de prix. Nous devons laisser le marché se calmer… La chose la plus importante est de ne pas céder à la panique ». Abdullah al-Badri, Secrétaire général de l’OPEP
Pourquoi les prix chutent
Une demande qui croît moins vite que prévu, une offre qui explose : c’est la logique assez classique de la chute des prix du pétrole. Une demande faible : l’atonie de l’Europe, le ralentissement de la Chine et de l’économie mondiale pèsent sur la demande. En cause aussi, les efforts d’économies d’énergie : la France consommera autant de pétrole en 2014 qu’en 1985.
Une offre pléthorique : la révolution du schiste a fait des Etats-Unis le premier producteur mondial d’hydrocarbures. En face, une OPEP divisée n’arrive pas à organiser une réduction de la production, qui permettrait de soutenir les prix. Combien de temps ce décalage peut-il durer ? Dix, quinze ans, pronostique un énergéticien français. Le temps que la production américaine s’essouffle, et que le mouvement de fond de la transition énergétique, avec la hausse des prix qui l’accompagnera, recouvre tout.
L’OPEP qu’est-ce que c’est ?
L’Organisation des pays exportateurs de pétrole compte douze membres : Algérie, Angola, Libye, Nigeria, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Irak, Iran, Koweït, Qatar, Equateur et Venezuela. Fondée en 1960 sous l’impulsion du Shah d’Iran et de l’Arabie saoudite, l’Opep a été à l’origine de la première crise pétrolière, en octobre 1973.
Pays producteurs
Les Etats-Unis sont devenus cette année le premier producteur mondial d’hydrocarbures (mêlant pétrole brut, gaz naturel liquéfié et pétroles non conventionnels, dont le gaz de schiste). Suivent de près l’Arabie Saoudite et la Russie. Ils sont très loin devant la Chine, le Canada et l’Iran, l’Irak… L’Algérie arrive (en 2013) en 18e position.
L’énergie sera plus chère, forcément
Cela se verra peut-être peu, dans le contexte global de baisse. Mais les taxes sur le gazole vont augmenter de plus de 6 centimes, calcule l’UFIP : 2 centimes de TICPE pour compenser l’écotaxe, encore 2 centimes de taxe carbone, qui font 4,8 centimes avec la TVA, sans oublier 1 à 2 centimes des très complexes certificats d’économie d’énergie..
Qui paiera ?
Ces taxes s’inscrivent dans la logique de la transition énergétique. C’est « le vrai mouvement de fond, de long terme », souligne le dirigeant d’un groupe énergétique français. Car cette transition, qui conduit à consommer moins d’énergie, et des énergies moins polluantes, aura un coût élevé.
« Elle ne se fera pas sans que personne ne paye », soulignait récemment Christian de Perthuis, président du Comité pour la fiscalité écologique (CFE). Et tant pis si cela s’apparente à de « l’écologie punitive », pour citer la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal.
On en reparlera dès aujourd’hui à l’Elysée, à la Conférence environnementale de préparation du sommet sur le climat de paris (fin 2015). « Les travaux sur la fiscalité verte vont reprendre avant la fin de l’année. La France doit être exemplaire », a expliqué la même Ségolène Royal. « L’arme fatale, c’est la taxe carbone, un cliquet anti-retour pour que les prix de l’énergie ne baissent pas », insistait hier Nicolas Hulot devant les membres d’Europresse. C’est dit, personne n’échappera au coût de la transition, pas plus les contribuables que les automobilistes.
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