la tribune du mercredi 26 novembre 2014
SOCIETE - Prisons : un Guantanamo français ? Un "noyau dur" de militants islamistes se forme, selon les syndicats pénitentiaires. Dix-neuf islamistes radicaux sont regroupés dans un même secteur à la prison de Fresnes. Une "expérimentation", selon la Chancellerie, pour éviter le prosélytisme. Les surveillants s'insurgent. Avec la présence en Syrie et en Irak de quelques centaines de jeunes Français, la lutte contre le djihadisme est aujourd'hui une préoccupation majeure des autorités françaises.
Face à cet extrémisme religieux, une "phase d'expérimentation" - terme employé par le ministère de la justice lui-même - a été montée à la hâte fin octobre à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) : dix -neuf islamistes radicaux sont en effet regroupés dans une unité de vie, sur un étage qui compte une centaine de détenus "pour un seul surveillant" selon les syndicats pénitentiaires.
"On n'a pas été avertis, et on nous a donné des explications très évasives", nous précisait hier Yoan Karar, surveillant à Fresnes depuis une dizaine d'années et représentant du Syndicat national pénitentiaire Force Ouvrière (majoritaire) : "ce n'est pas une initiative personnelle du directeur, ça vient d'en haut". Autrement dit, pointe-t-il, de Christiane Taubira, même si la garde des Sceaux a officiellement affirmé "être réservée sur ce regroupement".
Cette maison d'arrêt, qui compte 2 500 détenus (pou un nombre de places évalué à 1700), sert de "site pilote". Objectif, selon la Chancellerie : éviter le prosélytisme de prisonniers islamistes, détectés comme "recruteurs" ou embrigadeurs. Mais ce dispositif, qui fait débat, se heurte à plusieurs réalités : les conditions carcérales elles-mêmes, la pratique du culte en prison, le manque de formation des surveillants spécialisés, l'effet de groupe, le rapport de force. Et la tension monte. Les 7 et 10 novembre, certains de ces détenus ont refusé de réintégrer leurs cellules, un surveillant a été agressé. Quatre d'entre eux ont finalement été placés en quartier disciplinaire.
"Au quotidien, on voit se profiler un futur Guantanamo, souligne Yoan Karar. On a des appels à la prière collective, des prêches avec des appels au meurtre sur les surveillants, contre l'administrateur, des appels au djihad". Sans employer le terme d'échec, il affirme que ce n'est pas "une solution durable d'autant que ce noyau dur n'est pas isolé des autres détenus, dont certains en préventive : le prosélytisme prospère donc malgré tout".
Une "balle dans le pied" ?
Ce "test" à Fresnes est aussi contesté par Karim Mokhtari, ancien détenu, porte-parole de Carcéropolis, un site d'informations sur l'univers carcéral, qui craint lui aussi "un Guantanamo à la française". "Ce regroupement les conforte dans leurs modes de pensée, ils s'auto-alimentent dans leur discours radical, on empêche un brassage", dénonce-t-il au téléphone.
Face à cette montée en puissance du radicalisme en prison, il milite pour plusieurs solutions, comme "injecter des imams modérés, adapter des lieux de cultes aux différentes confessions, créer des espaces de parole". Sachant que les ultras-radicaux agissant en "sous-marin" ne sont pas inquiétés, et que ce sont les incarcérés fragiles, vulnérables, qu'il faut "mélanger". C'est "l'effet inverse" de la solution recherchée qui se produit selon Karim Mokhtari. "On se tire une balle dans le pied", estime, lui, Yoan Karar.
En France, sur près de 67 000 détenus, il y aurait actuellement plusieurs centaines d'islamistes radicaux surveillés, et une cinquantaine de prosélytes "actifs". Xavier Frère
prison de Fresnes
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