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SOCIETE - Le coup de vieux des Enfoirés. Polémique sur le dernier clip de la bande des restos du coeur. "Notre horizon, des portes closes", chantent des jeunes. "Bouge-toi !" répondent les Enfoirés... La chanson "Toute la vie" a déclenché une controverse sur cette opposition entre jeunes et "millionnaires".

La polémique a flambé via les réseaux sociaux... Mercredi, Julien Bayou, cofondateur de Génération précaire, postait sur son compte Twitter : "Beurk. Jeunes précaires vs # Enfoirés vieux et parvenus ? C'est ça la solidarité ? RIP Coluche". Il était bientôt suivi de Jacques Atali, qui avait présenté Coluche alias Michel Colucci à François Mitterrand: "Jai toujours détesté les enfoirés (sic). Leur dernier clip est un moment de vulgarité et de haine des jeunes. Au secours (re-sic), Michel !".

Outsiders contre insiders

L'objet de la colère ? Le dernier clip des Enfoirés et leur chanson "Toute la vie". Deux groupes se font face. Les jeunes d'un côté, qui lancent :

"Des portes closes et des nuages sombres, c'est notre horizon..."

De l'autre, Jean-Jacques Goldman et ses Enfoirés répondent :

"Faudrait vous bouger... (voir en fin d'article les paroles)

Cette opposition frontale de deux générations a choqué. Le terme de "génération" doit d'ailleurs être relativisé : Maxime le Forestier (66 ans) et Jean-Jacques Goldman (64 ans), chantent avec Patrick Bruel (54 ans) et Amel Bent (30 ans)...

C'est plutôt l'opposition de ceux qu ont réussi, contre ceux qui cherchent encore une place. Les "insiders" contre les "outsiders", les inclus contre les exclus, dirait le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, qui dit s'en être inspiré dans sa loi récemment passée au 49.3.

29 % de chômage des jeunes

La chanson choque, aussi, car elle paraît nier la réalité des jeunes - puisqu'il leur suffirait de "se bouger" pour trouver une solution. Mais les faits sont là : les générations sorties de l'école autour de 1973 (par exemple Jean-Louis Aubert, né en 1955) devaient affronter un chômage des jeunes de 6 %.

Celles sorties autour de 2002 (par exemple Julien Bayou), un chômage à 29 % ! "L'avènement du chômage de masse concentré sur les jeunes, a pu commenter le sociologue Louis Chauvel, est un événement historique moins visible que Mai 68, mais il pourrait être en revanche plus massif, démographiquement, voire culturellement".

Aubert, à l'insu de son plein gré

Autre exemple, la "double peine" des retraites. Les plus jeunes engrangent moins de trimestres (études, chômage, stages...) et doivent assurer une durée de cotisation plus longue. Résultat : 69 % de la génération 1954 pourra partir à taux plein à 62 ans, et seulement 30 % de la génération 1978.

Maxime Le Forestier a dit ne pas comprendre, et dénoncé "un café du commerce" qui a tendance à "réagir un peu vite". Quant à Jean-Louis Aubert, que l'on voit gorge déployée dans le clip : "Moi, je ne pourrais pas chanter ça. Je ne l'ai pas chanté d'ailleurs, sur le clip, c'est du palyback". Aubert, l'Enfoiré à l'insu de son plein gré. Francis Brochet

Cofondateur de "Génération précaire", 34 ans

"Insultant, méprisant, consternant !"

Pourquoi avoir réagi ?

Des millionnaires, qui sont très prescripteurs, qui expliquent que si la jeunesse va mal, c'est parce qu'elle fume trop, ou qu'elle se bouge pas, mais c'est pas grave, car elle a toute la vie... C'est catastrophique, comme message ! Le pire est qu'ils ne se sont même pas rendu compte que c'était insultant, méprisant, consternant !

Avez-vous lu la réponse de Jean-Jacques Goldman ?

Non, j'ai vu que Patrick Bruel avait envoyé un petit tweet du ski... (Après lecture de la lettre) C'est bien faible. On n'a pas toute la vie, quand on a une insertion catastrophique, des loyers qui forcent les jeunes à rester chez leurs parents, et des taux de suicide parmi les plus élevés de l'Union européenne.

Cela peut coûter cher aux Restos du coeur...

Ce n'est pas parce que des abrutis ont fait une chanson débile qu'il faut arrêter de donner aux Restos ! Mais les Enfoirés, c'est un système d'autopromotion caritative qui arrive peut-être à bout de souffle... Alors essayer de se refaire en opposant les générations, c'est vraiment pathétique.

C'est du "bizutage générationnel" : les générations du dessus s'accommodent de la galère de celle du dessous. Ils disent : tu habites un appart pourri, c'est la bohème, ça va passer... La génération soixante-huitarde pouvait fantasmer sur la bohème, il y avait le plein emploi. Il y a aussi cette idée du "quand on veut, on peut", cette glorification de la réussite, caricaturale venant d'artistes qui gagnent des millions, et pour certains les planquent en Suisse. Tout ça est très loin de la solidarité dont on a besoin en France, et n'a rien à voir avec Coluche. Recueilli par Francis Brochet

Goldman réagit

Jean-Jacques Goldman, qui a créé les Enfoirés en 1989, a répondu hier à la polémique par une lettre, dont voici le texte : "C'est une chanson dans laquelle des adolescents reprochent aux générations qui les ont précédés l'état du monde qu'ils leur laissent : pollution, chômage, violence, dette, misère (c'est un sujet qui n'est pas si fréquent...). Les Enfoirés jouent le rôle des adultes qui leur répondent comme trop souvent : en se dédouanant et avec mauvaise foi, mais en espérant qu'ils feront mieux. Le fait que la jeunesse nous demande des comptes me semble la moindre des choses. Le fait que la chanson se termine en faisant confiance à l'avenir aussi".

"Toute la vie"

Voici le dialogue entre jeunes (en gras) et Enfoirés (en maigre)

Des portes closes et des nuages sombres. C'est notre héritage, notre horizon, le futur et le passé nous encombrent, avez-vous compris la question?

Non, vous avez tout, l'amour et la lumière, On s'est battus, on n'a rien volé...

Nous n'avons que nos dégoûts, nos colères

Mais vous avez, Toute la vie, C'est une chance inouïe

Toute la vie, c'est des mots, ça ne veut rien dire

Toute la vie, tu sais le temps n'a pas de prix

Utopie, sans avenir

Toute la vie, c'est à ton tour et vas-y

Vous aviez tout, paix liberté, plein emploi, Nous c'est chômage, violence, sida

Tout ce qu'on a il a fallu le gagner, A vous de jouer mais faudrait vous bouger

Vous avez raté, dépensé, pollué

Je rêve ou tu es en train de fumer ?

Vous avez sali les idéologies

Mais vous avez, Toute la vie, c'est une chance un défi

Toute la vie, c'est bidon, ça veut rien dire

Toute la vie, tu sais le temps n'a pas de prix

Utopie, sans avenir

Aujourd'hui, j'envie tellement ta jeunesse

Quel ennui, je l'échange contre ta caisse

C'est la vie qui caresse et qui blesse, C'est ta vie, vole et vas-y