la tribune du samedi 7 mars 2015
MOYEN-ORIENT - Irak : Daech massacre aussi la culture. Après le musée de Mossoul, les djihadistes s'en prennent à une cité antique. Les condamnations se sont multipliées hier après une nouvelle attaque de l'Etat islamique contre le patrimoine irakien : la destruction au bulldozer de la cité antique de Nimroud, dans le nord du pays.
Les archéologues atterrés n'attendent plus que la diffusion de la vidéo : selon le ministère irakien du tourisme, des hommes de l'Etat islamique ont commencé jeudi à détruire au bulldozer le site antique de Nimroud, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Mossoul. On ignorait encore hier soir l'étendue des destructions infligées à la cité pluri-millénaire, construite sur les bords du Tigre, mais l'Unesco a d'ores et déjà dénoncé "un crime de guerre".
La plupart des objets inestimables provenant de Nimroud sont exposés dans des musées en Irak ou en Europe, mais le site abrite toujours des bas-reliefs et de colossaux "Iamassu", ces taureaux ailés à face humaine. "Je pense que ce qu'ils ont détruit, c'est la reconstruction à l'identique, dans les année 1960, des murs du palais", avance toutefois Eleanor Robson, professeur à l'University College. Daech justifie ces destructions en arguant que les statues favorisent l'idolâtrie. Mais selon plusieurs experts, les "idoles" si vivement dénoncées dérangent moins les djihadistes lorsqu'il s'agit de les vendre au marché noir... Ce sont les statues trop imposantes pour être transportées facilement qui sont détruites.
"Ils commencent à tuer la civilisation"
"Leur projet, c'est de détruire le patrimoine irakien, site par site", explique Abdelamir Hamdani, un archéologue irakien de l'université Stony Brook de New York, qui craint désormais pour la cité voisine de Hatra, vieille de 2 000 ans. Cette dernière n'est située qu'à 100 km de Mossoul, dont les djihadistes ont déjà saccagé la semaine dernière le musée et incendié la bibliothèque.
A Bagdad, rue Moutanabi, rendez-vous de l'intelligentsia, les condamnations étaient hier sur toutes les lèvres. "Après avoir tué l'esprit, ils commencent à tuer la civilisation", dénonce Ibrahim Daoud, écrivain et poète. "Une civilisation considérée comme la fierté de l'Irak et du monde a été effacée en quelques minutes à peine", renchérit Adel Abdullah, employé au ministère de la Santé.
Le grand ayatollah Ali al-Sistani, la plus haute autorité chiite de l'Irak, a estimé de son côté que ces destructions étaient la preuve "de la sauvagerie, de la barbarie et de l'hostilité" des djihadistes pour les Irakiens. La directrice générale de l'Unesco, Irina Bokova a saisi le Conseil de sécurité de l'Onu et la Cour pénale internationale. Mais la communauté internationale semble impuissante à agir sur les territoires dominés par l'EI.
"Nous avons dans le passé pressé les populations locales de reconnaître l'inestimable valeur de leur patrimoine, et la nécessité de le protéger", explique Stuart Gibson, expert à l'Unesco : "Malheureusement, à l'heure actuelle, les populations sont épuisées et terrifiées. Le reste d'entre nous n'a d'autre choix que de regarder, désespéré".
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