le Progrès du lundi 27 juin 2016
ENQUÊTE - RETOUR SUR L'AFFAIRE POLITICO-FINANCIÈRE DU SIÈCLE
Panama Papers : dans les coulisses du scandale
Comment deux journalistes allemands, alertés par un mystérieux informateur, et bientôt relayés par des centaines de collègues, ont fait trembler les grands de ce monde.
"U |
n soir, j'avais commandé une pizza. Quand ça a sonné à la porte, alors que je descendais l'escalier, je me suis surpris à penser : c'est peut-être un piège", nous raconte Bastian Obermayer. Il compose avec son collègue Frederik Obermaier le tandem de journalistes allemands de la Süddeutsche Zeintung qui a révélé le scandale des "Panama Papers".
De cette affaire, on pensait (presque) tout savoir : les milliards d'euro en jeu, les cascades de sociétés écran, la valse des hommes de paille servant de paravent à certains des plus grands de ce monde, et le rôle central joué dans ce gigantesque système d'évasion fiscale et de blanchiment par le cabinet panaméen Mossack Fonseca.
Dignes d'un film d'espionnage
Ce sont aujourd'hui les coulisses de l'enquête que nous révèlent les deux journalistes dans un livre, Le secret le mieux gardé du monde. Avec un héros qui restera anonyme : leur informateur, baptisé "John Doe", en référence au nom générique donné aux personnes non-identifiées aux États-Unis.
Comment le secret a-t-il pu être gardé sur ces énormes quantités de données, soumises à l'analyse de plus de 300 personnes à travers le monde, regroupée au sein du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) ? En prenant un luxe de précautions, dignes des meilleurs films d'espionnage, nous dévoilent les deux journalistes allemands : salle de travail fermée à double tour, réunions secrètes à Washington et Munich, vernis à paillettes sur l'ordinateur (afin de détecter toute intrusion physique), logiciels maison développés par les informaticiens de l'ICIJ, disque dur chiffré passé en douce à la douane américaine... Et des forums cryptés pour permettre à tous les journalistes travaillant sur le dossier "Prometheus" (son nom de code) de partager leurs découvertes.
"Serons-nous encore vivants ?"
Seuls, les journalistes russes n'y avaient pas accès, pour leur propre sécurité : l'accès au forum nécessitait un smartphone dont ils savaient qu'il serait piraté par les services secrets de leur pays.
Et comment ne pas s'inquiéter lorsque commencent à apparaître, dans les listings, les noms de proches de Vladimir Poutine, du cousin germain de Bachar el-Assad, de dictateurs ou de trafiquants notoires ?
"Qui sait si nous seront encore tous vivants...", avait réagi John Doe, lorsque les deux journalistes l'avaient informé que leur enquête ne pourrait pas être bouclée avant la fin de l'année.
Le 3 avril à 20 heures, lorsque les révélations des "Panama Papers" ont fait la une des site web de quotidiens du monde entier, puis des journaux du lendemain, il a dû pousser un "ouf" de soulagement. Jean-Michel Lahire
Yann Galut - Député PS du Cher
"Les Panama Papers ont amplifié la prise de conscience"
L'affaire des "Panama Papers" a-t-elle changé la donne ?
Elle a été extrêmement utile. Le combat contre l'évasion fiscale était bien lancé depuis trois ans, au niveau français et international. Mais les "Panama Papers" ont amplifié la prise de conscience collective et obligé les États à accélérer leur action. Ils ont surtout popularisé ce combat au niveau mondial : plus aucun pays au monde ne peut aujourd'hui prétendre ignorer le phénomène.
Vous avez ressenti "l'effet Panama" dans la discussion de la loi Sapin II à l'Assemblée?
Oui, clairement, même si le travail avait commencé avant avec Michel Sapin (ministre de l'Économie). Mais le scandale nous permet de persuader plus facilement le gouvernement d'aller plus loin sur certains amendements. Je le vois aussi avec les électeurs : le combat que je menais depuis trois ans n'était connu que d'une partie d'entre eux, alors que tous ont entendu parler des "Panama Papers". Et tout le monde a compris que ce phénomène n'est pas que français, qu'il y a ailleurs dans le monde des ultra-riches et des multinationales qui continuent de pratiquer l'évasion fiscale, alors qu'ici, nous devons payer nos impôts. Ils en sont choqués, et nous demandent d'agir.
Nos "John Doe", nos lanceurs d'alerte, sont-ils vraiment protégés ?
Grâce à la loi, en France, les lanceurs d'alerte seront protégés. Leur protection a été confiée au Défenseur des droits, une institution qui a fait preuve de son indépendance avec Jacques Toubon. Il nous faut encore, en deuxième lecture du projet de loi, élargir la définition des lanceurs d'alerte à l'international. Cela permettrait à la France de protéger des personnes comme Antoine Deltour (Le Français qui travaillait au Luxembourg et a déclenché le scandale des Lux Leaks). Recueilli par Francis Brochet
A découvrir aussi
- le Progrès du mercredi 10 juin 2015
- le Progrès du mardi 19 janvier 2016
- le Progrès du lundi 25 janvier 2016
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 59 autres membres