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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du jeudi 10 novembre 2016

 

 

 

ÉLECTION DU 45E PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS - LE CANDIDAT RÉPUBLICAIN A DÉJOUÉ LES PRONOSTICS ET BATTU HILLARY CLINTON

 

 

 

Comment Donald Trump est devenu président

 

 

Jamais il ne sera élu à la Maison Blanche, jugeaient les commentateurs voici un an. Ils n'avaient pas remarqué que Donald Trump s'adressait à une Amérique qu'ils ne connaissent pas ou qu'ils méprisent : celle qui subit la mondialisation.

 

 

 

Quand il annonce sa candidature, le 16 juin 2015, il n'y a pas grand monde, chez les républicains et chez les démocrates, pour miser un dollar sur Donald Trump.

 

 

Le Daily News l'affuble alors sur toute sa Une d'un gros nez rouge et titre : "Un clown dans la course à la présidence". Le New York Times parle de "quête improbable" et le Huffington Post range alors les articles de Trump dans sa rubrique... "loisirs".

 

 

 

"Jamais il ne sera élu"

 

À vrai dire personne ne croit qu'il pourra même se présenter à la primaire républicaine. Et quand il y parvient, les commentateurs, unanimes, le voient battu facilement par Jeb Bush, Marco Rubio ou Ted Cruz. Sauf que Trump met KO, l'un après l'autre, ces concurrents trop peu sportifs pour le boxeur qu'il est devenu. Les éditorialistes sont obligés de manger leur stylo. Ils le font de plus ou moins bonne grâce, tout en prévenant : "Jamais il ne sera élu à la Maison blanche !".

 

 

Aujourd'hui, ce n'est plus un stylo que la classe médiatique américaine doit avaler, c'est l'ensemble du tirage des quotidiens. Belle indigestion de papier... mâché ! Cet aveuglement médiatique (qui a largement débordé sur l'Europe) éclaire parfaitement le mécanisme qui a mené Trump à la victoire.

 

 

Il y a deux Amérique, celle qui surfe sur la mondialisation et celle qui en souffre. La première détient les leviers politique, économiques et médiatiques. Elle se porte bien. Sans doute trop bien, puisque cela fait des années qu'elle n'entend pas grogner l'autre Amérique, celle des nuques rouges du Midwest, des classes moyennes plongées dans un déclassement accéléré depuis la crise des subprimes, des ouvriers sans perspective de la ceinture de rouille qui porte si bien son nom : les usines d'automobiles ferment, nombre de hauts fourneaux ont connu le même sort que ceux de Florange, les travailleurs vivent dans des mobile-homes qu'ils déplacent au gré d'une demande de main d'oeuvre mal payée. Le Michigan, l'Ohio, la Pennsylvanie étaient autrefois la fierté industrielle des États-Unis. Tous trois ont voté Trump.

 

 

 

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"Virginité politique"

 

Le milliardaire a fait, dès le début, le choix de parler de l'Amérique méprisée par les élites. Et c'est ce qui l'a fait gagner, surtout face à Hillary Clinton, produit presque caricatural de la haute société mondialiste. Il aurait peut-être eu plus de mal face à Bernie Sanders, qui a fait le même pari des petites gens que lui. Mais Sanders a été battu par Clinton lors des primaires. Cette campagne s'est menée à fronts renversés : la gauche démocrate avait la bénédiction et le soutien des milieux d'affaires, alors que Trump a réussi à renouer le lien entre la droite et les classes populaires.

 

 

Des deux côtés de l'Atlantique, on a critiqué Trump pour son total mépris des nuances. Ses provocations l'ont en réalité beaucoup aidé : la nuance ne s'accommode pas de la colère. Et c'est la colère qui a dominé ces élections américaines. Trump a également bénéficié de son inexpérience - ou plutôt de sa "virginité" - politique. Il n'a jamais été élu auparavant, alors qu'Hillary Clinton, ex-première dame, ex-sénatrice et ex-secrétaire d'État, est une apparatchik totalement vouée à la conquête du pouvoir.

 

 

 

Pas au cinéma

 

Ajoutons qu'aux États-Unis, pour la masse des électeurs, il vaut mieux être milliardaire - c'est un signe de réussite - que bobo, comme les élites de Californie et de la côte nord-est : les derniers meeting d'Hillary Clinton, à grand renfort de célébrités comme Bruce Springsteen, l'on encore un peu plus éloignée des gens "normaux". Georges Clooney et Natalie Portman, c'est bien au cinéma. Une élection présidentielle, c'est autre chose : c'est la vraie vie. Patrick Fluckiger

 

 

 

 

 

EN HAUSSE - TOUS LES LEVIERS SON RÉPUBLICAINS

 

 

On ne votait pas que pour le président des États-Unis : les républicains ont également gardé leur majorité au Sénat et continueront ainsi de contrôler l'ensemble du Congrès des États-Unis. Ils auront ainsi la capacité de défaire les réformes du président Barack Obama et notamment sa controversée réforme de l'assurance-maladie baptisée "Obamacare".

 

 

Le Sénat, qui était renouvelé à un tiers (34 membres), avait basculé dans le camp républicain en 2014, restreignant considérablement la marge de manoeuvre du président Obama. Récemment, les sénateurs républicains ont ainsi bloqué le processus de confirmation d'un juge de la puissante Cour suprême nommé par Barack Obama après le décès d'un de ses neuf membres.

 

 

Ce juge pourra désormais être nommé par Donald Trump. Qui pourrait également en nommer jusqu'à trois autres durant son mandat, puisque trois d'entre eux sont aujourd'hui âgés de 78 à 83 ans.

 

 

 

LA DÉROUTE DES SONDEURS

 

Les sondeurs britanniques se sont trompés sur le Brexit. Les sondeurs américains se sont... "Trumpés" encore plus lourdement. Mardi, alors que le vote avait commencé, la moyenne des sondages nationaux de l'ensemble des instituts donnait 45,9 à Clinton contre 42,8 % à Trump. Et la plupart des États-clé étaient considérés comme acquis à la démocrate. En Pennsylvanie, Clinton a été créditée jusqu'à 11 points de plus que Trump. À l'arrivée c'est le républicain qui l'emporte !

 

 

À Londres comme à Wasington, les sondeurs se sont fracassés sur le même écueil : les classes populaires et les personnes âgées. Sauf que les Américains ne disposent pas tous d'un ordinateur ou d'un tablette. Ainsi, près de la moitié des sondages américains ont été effectués par internet et certains instituts ont offert des tablettes à leurs sondés : mais là, plus question d'anonymat. Or, le vote Trump, comme le Brexit, est une transgression. Et tout le monde n'avoue pas spontanément une transgression.

 

 

 

 

 

 

 

HILLARY CLINTON, LA DÉFAITE VENUE DE LOIN

 

 

Victime du désamour des Américains, l'ex First Lady, longtemps favorite, ne deviendra pas la première présidente des États-Unis.

 

 

Elle en rêvait depuis 50 ans : l'ex-première dame, 69 ans, ne sera pas la première femme portée à la présidence des États-Unis. Personnalité froide et proche des milieux d'affaires, elle représentait une élite politique, financière et médiatique en rupture avec le pays profond. L'implacable campagne de dénigrement menée par les équipes de Donald Trump a fait le reste.

 

 

Après avoir piloté la carrière de son époux, Hilary Clinton avait dû accepter le second rôle de First Lady, les humiliations d'une épouse trompée. Puis s'effacer en 2008 derrière la candidature charismatique et historique de Barack Obama, premier Noir à la Maison blanche. En 2000, elle avait pourtant réussi son entrée au Sénat à New York. Au cours de son passage au Secrétariat d'État d'Obama, elle a verrouillé l'appareil du parti et les soutiens financiers. Au bout de la primaire, elle s'était ouverte à son challenger, le socialiste Bernie Sanders, et à un programme plus à gauche. Longtemps donnée favorite, elle a dominé les débats de la campagne en montrant sa compétence, son sang-froid, sa maîtrise des dossiers.

 

 

 

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"Qui s'identifie à elle ?"

 

Mais Hillary n'a jamais été aimée par les Américains. Peu d'affect, pas de charisme, et une santé jugée fragile. "Qui s'identifie à elle ?", interrogeait Obama en 2008, lors des primaires démocrates. Huit ans plus tard, la question reste valable.

 

 

Symbole de "l'establishment" dénoncé par Trump, elle a traîné comme un boulet son statut de professionnelle de la politique, sa proximité avec les milieux financiers. Dans une Amérique divisée, elle ne représentait pas le changement. Un bon tiers de l'électorat hispanique et au moins 20 % des Noirs n'ont pas voté pour elle. Même les femmes ne lui ont pas majoritairement apporté leurs voix, malgré les accusations de sexisme qui ont visé Trump.

 

 

Hillary Clinton représentait cette élite politique en échec malgré l'inversion de la courbe du chômage : 4,9 % de chômage, mais des millions d'emplois précaires. La poursuite de l'action d'Obama n'a pas suffi à convaincre les électeurs. Hillary Clinton incarnait une continuité dans l'acceptation de la mondialisation et de l'immigration, face à une Amérique des classes moyennes et populaires, qu a exprimé sa colère. Elle n'était pas la bonne personne au bon moment.

 

 

Malgré cette défaite, Hillary Clinton n'a pas - encore - tiré un trait sur la politique. Pour sa première réaction publique après sa déroute électorale, la candidate démocrate a... offert de travailler avec Donald Trump.

 

 

 

 

Une gifle pour Barack Obama

 

 

Quel pire symbole pour les États-Unis, première puissance mondiale, que de voir Donald Trump succéder à Barack Obama ? Huit ans après son élection, le premier président afro-américain des États-Unis, s'apprête à quitter la Maison blanche sur une gifle terrible.

 

 

"Nous ne pouvons nous permettre d'élire ce type ! Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas possible !" : il y a encore quelques jours, Barack Obama avait lancé ce cri du coeur, à Las Vegas, à l'encontre de Donald Trump. Mais son charisme - même au service d'une candidate qui en manquait cruellement - n'aura pas suffi à faire élire Hillary Clinton.

 

 

 

"Nous sommes d'abord américains"

 

Hier, le premier président noir des États-Unis a tenu un discours plus policé depuis les jardins de la Maison blanche. "Nous ne sommes pas d'abord démocrates ou d'abord républicains. Nous sommes d'abord Américains. Nous voulons tous le meilleurs pour ce pays. C'est ce que j'ai entendu dans le discours de M. Trump hier et lorsque je lui ai parlé directement", a témoigné le 44e président des États-Unis, qui quittera le pouvoir dans deux mois et demi.

 

 

 

 

 

ÉLECTION DU 45E PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS

 

 

Politique étrangère : la grande inconnue

 

 

 

Avant son élection, Donald Trump a prévenu que sa politique étrangère serait "imprévisible". Sa tentation isolationniste et sa fascination pour Poutine inquiètent les partenaires des États-Unis.

 

 

"L'Amérique d'abord sera la ligne directrice de mon administration". Lorsque Donald Trump dit vouloir "rendre sa grandeur à l'Amérique", il pense surtout à sa puissance intérieure et beaucoup moins à son ancien rôle de gendarme du monde. Son programme de politique étrangère reste flou, et ce saut dans l'inconnu inquiète les partenaires des États-Unis, heurtés par son langage fort peu diplomatique. Isolationniste, le nouveau président américain avait annoncé la couleur en avril en expliquant que sa politique à l'étranger serait "imprévisible".

 

 

 

Il critique l'interventionnisme

 

Donald Trump, qui a applaudi le Brexit, estime que c'est aux Européens de payer pour leur défense et pas aux Américains. Il menace de sortir de l'Otan si la contribution financière des États-Unis n'est pas diminuée et si ses missions ne sont pas recentrées sur la lutte contre le terrorisme et les flux migratoires.

 

 

Donald Trump critique l'interventionnisme américain, tout en promettant d'augmenter les crédits militaires et de montrer les muscles. "L'armée américaine sera si puissante que je ne pense pas que nous aurons besoin de l'utiliser. Personne ne viendra nous chercher", assure-t-il.

 

 

Partisan d'un dégel avec la Russie et fasciné par la personnalité autoritaire de Vladimir Poutine, le nouveau locataire de la Maison blanche sera tenter de lui laisser les mains libres en Syrie et en Ukraine. Il y a un an, Donald Trump affirmait que le monde se porterait mieux si Saddam Hussein et le colonel Kadhafi n'avaient pas été chassés du pouvoir. Il reprochait à Barack Obama d'avoir provoqué le chaos au Moyen-Orient et permis aux djihadistes de prospérer. Donald Trump annonce avoir "un plan secret" pour anéantir Daech.

 

 

Le nouveau président américain veut revenir sur l'accord nucléaire avec l'Iran, mais prendra-t-il le risque de réduire à néant 12 années de négociations avec Téhéran ? Donald Trump se vante aussi de pouvoir résoudre le conflit israélo-palestinien "en deux semaines", alors que tous ses prédécesseurs ont échoué à imposer la paix. Opposé à la mondialisation, le nouveau président veut s'attaquer à la Chine qu'il accuse de détruire l'emploi aux États-Unis en maintenant sa monnaie à un niveau artificiellement bas.

 

 

 

L'accord de Paris dans le viseur

 

Climato-sceptique, Donald Trump a annoncé qu'il dénoncera l'accord de Paris et que les États-Unis cesseront leur contribution financière aux programmes de l'ONU contre le réchauffement climatique. Mais un pays qui a ratifié l'accord de Paris ne peut pas théoriquement se désengager avant trois ans et un an de préavis. Rien n'empêchera toutefois Donald Trump de fouler au pied des engagements qui ne sont contraignants que sur le papier. Il veut ainsi déréglementer le secteur des énergies fossiles et relancer le projet d'oléoduc Keystone XL, enterré par Barack Obama. Luc Chaillot

 

 

 

 

Choc d'incertitudes sur la croissance

Le krach redouté n'a pas eu lieu. Les bourses ont tangué, plongé, puis remonté... "La réaction est modérément négative, observe Thomas Julien (Natixis USA). Le discours rassembleur de Trump a un peu rassuré les marchés".

 

 

Reste cependant un mot, incertitude. "La seule certitude en matière économique, c'est l'incertitude", a ainsi hier déclaré le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. Une incertitude qui porte à la fois sur le programme, peu précis, sur son application, qui peut devenir conflictuelle avec le Congrès, et sur les décisions à venir du Président, dont les foucades ont rythmé la campagne.

 

 

Il s'en est par exemple pris durement au "laxisme" de la présidente de la banque centrale (Federal Reserve) Janet Yellen, faisant peser un doute majeur sur l'évolution de la politique monétaire, alors que le monde entier attend depuis des mois une remontée des taux américains.

 

 

20 % du commerce européen

 

Son programme économique tient sur deux piliers. D'abord, une forte baisse de l'impôt sur les sociétés de 35 à 15 %, et de l'impôt sur le revenu (taux maximal de 39,6 à 33 %). Cela peut relancer l'économie, mais suscite des craintes pour une dette déjà importante - d'autant qu'il l'accompagne d'un plan de relance des travaux publics, sur fonds budgétaires. L'autre pilier, ce sont de fortes restrictions aux échanges commerciaux, rendus coupables du chômage aux États-Unis. Les premiers visés sont la Chine et le Mexique. Mais le premier partenaire commercial est l'Europe, dont les États-Unis absorbent 20 % des exportations.

 

 

"Si Trump fait ce qu'il a dit et élève des barrières commerciales, les dégâts seront énormes", s'alarmait hier Clemens Fuest, président de l'institut allemand Ifo. Et ces incertitudes planent au plus mauvais moment sur l'économie mondiale. Le commerce est déjà dans une mauvaise passe, avec une croissance très faible attendue l'année prochaine. Et l'Europe vient de réviser ses prévisions à la baisse, notamment à cause des conséquences du Brexit - autre incertitude... Francis Brochet



11/11/2016
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