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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du lundi 13 février 2017

 

 

 

SOCIÉTÉ - AFFAIRE THÉO. POLICE-BANLIEUE : L'INQUIÉTANTE RUPTURE

 

 

L'émotion provoquée par l'affaire Théo menace de se transformer en vague d'émeutes. Selon le sociologue Laurent Mucchielli, le climat politique a contribué à dresser banlieues et polices face à face.

 

 

Après ceux qui ont eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche, des incidents ont éclaté, hier soir, à Argenteuil. Des abribus ont été détruits, un bus caillassé. La veille, c'est à Bobigny (à l'issue d'une manifestation de soutien à Théo), puis à Noisy-le-Sec et à Drancy que des troubles similaires ont eu lieu. Au total, 48 personnes ont été arrêtées.

 

 

Le spectre de nouvelles émeutes de banlieues menace. Comme en 2005 ou... en 1990. Selon le sociologue Laurent Mucchielli, spécialiste de la délinquance et des politiques sécurité, la situation est encore pire qu'à l'époque. D'abord, parce que la situation sociale de ces quartiers n'a fait qu'empirer. Ensuite parce que le fossé entre les jeunes de ces quartiers et les forces de l'ordre a atteint des proportions inquiétantes.

 

 

"Les gardiens de la paix sont formés à des techniques d'intervention, mais pas au dialogue et à la médiation, qui est pourtant à la base du métier de policier", explique-t-il.

 

 

 

2002, le moment de "rupture"

 

Selon lui, c'est un choix de "doctrine". Les hommes politiques ont appris à l'opinion que banlieue rimait forcément avec drogue, violences - et maintenant djihadisme. Du coup, la seule réponse à y apporter c'est une police musclée, virile...

 

 

Il faut remonter le point de bascule à 2002. Tout juste ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy façonne son image de Monsieur Sécurité en démembrant la police de proximité. "De la caricature idéologique", fustige Laurent Mucchielli "et une grave erreur de jugement. Le rôle des policiers de proximité, ce n'est pas d'être gentils, c'est de faire du renseignement. Ils voient les commerçants, les habitants... Cela facilite l'intervention des CRS et ça peut même aider dans les affaires de terrorisme. À Nice, tout le monde avait vu le changement de comportement de Mohamed Lahouziej-Bouhlel (le conducteur du camion qui a foncé dans une foule, le 14 juillet dernier). Les seuls à ne pas être au courant, c'était les policiers".

 

 

 

95 % des contrôles ne débouchent sur rien

 

D'autant plus dommageable que les habitants seraient demandeurs d'une police de ce type. "Quand on enquête dans les quartiers dits "sensibles", on se rend compte que les gens veulent de la police. Mais ils ne veulent pas des Robocops, ni que leurs enfants soient victimes toute la journée de contrôles discriminatoires", explique le spécialiste.

 

 

Selon un rapport récent du Défenseur des Droits, Jacques Toubon, ces contrôles au faciès sont une réalité : un "jeune homme perçu comme arabe ou noir a vingt fois plus de probabilités qu'un autre d'être contrôlé. D'autant plus vexant que "95 % de ces contrôles ne débouchent sur rien", selon ce même Défenseur des Droits. François Hollande avait promis un récépissé permettant de tracer les contrôles. Une fois élus, lui et son ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, ont enterré la promesse.

 

 

Vendredi dernier, Bruno Le Roux, le ministre de l'Intérieur, a promis que les policiers seraient équipés de caméras-piétons qui se déclenchent obligatoirement lors d'un contrôle de papiers. L'expérience fonctionne à Marseille. "Ça peut permettre d'éviter la parole contre parole, estime Laurent Mucchielli. En théorie, ça protège dans les deux sens. Mais une caméra, ça peut s'éteindre, ça peut tomber en panne... Les outils ne créent jamais des situations nouvelles à eux seuls". Ryad Benaidji

 



16/02/2017
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