le Progrès du mardi 6 juin 2017
GOLFE PERSIQUE : L'HEURE EST À LA GUERRE FROIDE
L'Arabie saoudite et ses alliés ont rompu leurs relations avec le Qatar, accusé de financer le terrorisme. Une crise qui cache surtout une reprise en main par Riyad du petit émirat ami de la France, trop indépendant.
Frontières fermées, avions cloués au sol, ambassadeurs rappelés, ruée sur les produits de première nécessité dans les magasins... Si cela n'est pas encore la guerre, cela ressemble à ses préparatifs. L'Arabie Saoudite, Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, l'Égypte et le Yémen ont rompu hier avec le Qatar, isolant le richissime émirat qu'ils accusent de financer des groupes terroristes.
Dénonçant la volonté de l'Arabie saoudite et de ses proches alliés de le placer sous tutelle, le Qatar qualifié d'"injustifiée" et "sans fondement" cette décision.
La crise couvait depuis une dizaine de jours, et la publication par l'agence de presse qatarie de déclarations attribuées à l'émir Tamim ben Hamad Al Thani. Ce dernier y louait notamment le rôle stabilisateur de l'Iran dans la région : un véritable chiffon rouge pour le régime saoudien qui n'a guère écouté les démentis des autorités de Doha expliquant avoir été victimes d'un piratage. Alimenté par les médias saoudiens et émiratis, l'incendie diplomatique a gonflé pendant des jours. Jusqu'au coup de tonnerre d'hier.
Le Qatar, franc tireur du Golfe
Sur l'échiquier régional, Doha a souvent joué se propre partition. Soutien historique du Hamas palestinien, classé organisation terroriste par Washington, l'émirat héberge pourtant la plus grande base aérienne américaine de la région. Et au contraire de son puissant voisin saoudien, le Qatar a souvent ménagé l'Iran avec lequel il exploite les champs gaziers du Golfe. Il s'est aussi rapproché ces dernières années de la Turquie d'Erdogan. Téhéran et Ankara ont d'ailleurs apporté hier leur soutien au Qatar en appelant au dialogue.
Mais l'émir de Doha est aussi régulièrement soupçonné de laxisme dans la lutte contre le financement par des fonds privés d'organisations terroristes. Les Saoudiens n'ont fait que reprendre ces critiques.
Un précédent en 2014
Paradoxalement, des soupçons identiques pèsent d'encore plus longue date sur l'Arabie saoudite. La rétention par le gouvernement britannique d'un rapport sur la question défrayait encre la chronique ces derniers jours Outre-Manche... Mais dans l'écheveau complexe du Moyen-Orient, le qualificatif d'organisation terroriste varie selon les pays. Soutenus depuis longtemps par le Qatar, les Frères musulmans ont ainsi droit de cité en Turquie... mis sont une des bêtes noires de la monarchie saoudienne, qui voit dans son idéologie ne menace existentielle. Idem pour l'Égypte du général Al-Sissi, qui avait destitué en juillet 2013 le président Morsi, pourtant élu démocratiquement.
À l'époque, le soutien du Qatar aux Frères musulmans avait d'ailleurs entraîné une première crise. En 2014, l'Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn avaient rappelé leurs ambassadeurs durant huit mois. Bis repetita ? À ceci près que cette fois l'Iran, ennemi mortel de Riyad, fait aussi partie de l'équation, et que se multiplient dans la presse arabe les rumeurs d'un coup d'État visant à renverser l'émir Tamim. Jean-Michel Lahire
46 ans : c'est l'âge de l'émirat du Qatar. Ancien protectorat britannique, ce dernier avait refusé en 1971 de rejoindre les Émirats Arabes Unis. Depuis sa création, il est dominé par la famille Al Thani, ce qui n'empêche pas les coups d'États : cinq au total
■ Un petit pays enclavé
À peine plus grand que la Gironde, le Qatar forme une péninsule d'environ 11 500 km2 s'avançant au milieu du Golfe persique. Il partage son unique frontière terrestre, au sud, avec l'Arabie saoudite. Hormis cette dernière, ses plus proches voisins sont le royaume du Bahreïn à l'ouest, et les Émirats Arabes Unis à l'est.
■ Les expatriés majoritaires
Des 2,6 millions d'habitants du pays, seuls 313 000 sont Qataris. Tous les autres sont des expatriés, principalement du sous-continent indien ou d'Égypte
■ Un patchwork religieux
Autre conséquence : la population du pays est un patchwork de nationalités et de religions. Seuls 67 % des habitants sont musulmans, près de 14 % sont chrétiens et 14 % hindouistes. L'islam est religion d'État.
UN AMI GÉNÉREUX DE LA FRANCE
Vu de la France, le Qatar est associé au PSG, ses dépenses faramineuses en achats de joueurs, ses salaires pharaoniques. Même si l'ancien tennisman professionnel Nasser Al Khelaïfi est le président du PSG, le vrai propriétaire, via le fonds Qatar Sports Invest (QSI), n'est autre que le cheik Al Thani, émir actuel.
La chaîne de télévision BeIn sports s'inscrit aussi dans cette visibilité donnée par le football au petit émirat organisateur controversé de la coupe du monde de 2022. L'achat du Grand Prix de l'Arc de Triomphe, à Longchamp, véritable championnat du monde du galop rebaptisé du nom de l'Émirat, participe d'une "tradition et de liens anciens du monde arabe pour les courses de chevaux" selon France-Galop. QSI a mis 20 M€ sur la table pour sauver l'épreuve.
Cadeau fiscal
Dans les trois dossiers, sous les présidences Chirac puis surtout Sarkozy, les chefs d'État sont personnellement intervenus. La proximité entre les émirs et les présidents français agaçait l'Arabie saoudite voire les alliés de la France.
Car le Qatar, partenaire commercial de la France depuis 1974, pèse lourd dans l'économie française. Hôtels de luxe et murs de grands magasins ou de sièges de banques à Paris, casinos et hôtels (Carlton et Martinez) à Cannes, centres commerciaux : le patrimoine immobilier du fonds Qatar hospitality, géré par la famille de l'émir, est évalué à 12 milliards d'euros. Cadeau de bienvenu : une convention fiscale de 2009 qui exonère les investissements qataris de toute fiscalité sur les droits de mutations, les plus-values, les dividendes et les impôts fonciers.
Par le biais de ses parts dans le groupe Lagardère (2,8 %) et d'un fonds souverain d'investissement l'émirat détient 11 % du capital d'Airbus. Ce fonds a acquis 3,5 % des parts de Total, 5 % de Veolia et 4,5 % de Suez environnement, les deux leaders mondiaux de la gestion de l'eau et des déchets et 4 % du constructeur Vinci. Les Qatariens sont majoritaires dans le groupe des Magasins le Printemps, actionnaires du site Ventreprivée, possèdent via une épouse du cheik, le groupe Le Tanneur & cie.
Surtout, les fonds souverains qataris ont soutenu le programme "Future french champions" à hauteur de 150 m€. Il a permis l'émergence de nombreuses strart-up dans la santé, le numérique, l'agroalimentaire et a remplacé avantageusement l'enveloppe de 50 m€ dévolue aux banlieues jusqu'en 2014.
Enfin, pas moins de 60 entreprises françaises travaillent au Qatar de façon permanente et 80 % de l'armée de l'émirat est équipée de matériel français. On comprend pourquoi François Hollande, plutôt proche des Saoudiens et informé des liens entre Qatar et groupes fondamentalistes, a ménagé cet ami controversé. Pas évident de rompre.
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