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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du mercredi 11 janvier 2017

 

 

 

AGRICULTURE - LE FONCIER RURAL SUSCITE LA CONVOITISE

 

 

La finance lorgne sur les terres agricoles

 

 

Le phénomène de l'accaparement des terres agricoles par des investisseurs inquiète les campagnes. Un projet de loi vise à le limiter.

 

 

La France est un vieux pays qui tient à ses racines paysannes, ses hameaux ensommeillés et ses sentes perdues. Au rythme de la mécanisation, l'agriculture y est certes devenue une industrie presque comme les autres. Pour suivre, les fermes ont grandi. Entre 1955 et 2013, le nombre d'exploitations est passé de 2,3 millions à 452 000. Mais globalement, les structures y sont restées familiales : 61 hectares en moyenne.

 

 

Depuis quelques années, cette relative modération est menacée. La concentration des terres agricoles s'accélère. Selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, les 4 % d'exploitations les plus grandes occupent déjà 21 % des surfaces agricoles. Les vignes, les champs et les prés sont convoités par des puissants investisseurs privés, anonymes, qui se taillent des domaines agricoles immenses, vidés de leurs paysans.

 

 

 

Faille dans la législation

 

Le phénomène a véritablement commencé avant la crise agricole de 2009. Des fonds de pension, partout dans le monde, voient alors dans la terre un actif propice à la spéculation. La croissance démographique assure une hausse continue de la demande.

 

 

Théoriquement, la France a les armes pour ne pas être mise en coupe réglée. Le foncier rural y est strictement régulé. Le droit y est particulièrement favorable au fermage. Les Safer (Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) contrôlent les cessions de biens ; elles peuvent même préempter - au prix du marché - les terres mises en vente. Les CDOA (Commission départementale d'orientation de l'agriculture) accordent des permis d'exploitation agricole. Bref, la machine est bien huilée.

 

 

Sauf que la législation peut être contournée. Si le propriétaire transforme son exploitation en société puis la revend en conservant une part minoritaire, la Safer n'est pas informée.

 

 

 

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Les Chinois dans le Berry

 

Début 2015, le fonds d'investissement chinois Hong Yang a acquis de la sorte 1 750 hectares dans l'Indre, à travers quatre fermes. "Ils vont voir l'exploitant au bord de la faillite et lui demandent combien il a de dettes. Puis ils demandent que l'exploitation passe en Société agricole (SA) et rachètent 98 % des parts", raconte Hervé Coupeau, président de la FDSEA de l'Indre.

 

 

Même indignation chez Nicolas Calame, porte-parole local de la Confédération paysanne : "On a appris la transaction dans les journaux !" Pas question toutefois de jouer sur la corde de l'invasion étrangère : "Le problème, ce ne sont pas les Chinois, c'est la mécanique qu'il y a derrière. C'est la mort des campagnes. L'arrivée des Chinois a d'ailleurs permis qu'on se pose les bonnes questions, qu'on mette le doigt sur l'accaparement des terres par quelques-uns via des montages financiers".

 

 

 

"Nos campagnes seront des déserts..."

 

Le signal a visiblement été entendu. Aujourd'hui, un projet de loi visant notamment à renforcer le pouvoir de régulation des Safer, est examiné en commission à l'Assemblée nationale. Le texte est proposé par des élus de gauche, mais soutenu par d'autres de droite, ainsi que par l'ensemble des syndicats d'agriculteurs.

 

 

Un fait assez rare pour être souligné, et qui permet de mesurer l'importance du problème. Emmanuel Hyest, patron de la Fédération nationale des Safer, résume : "Soit demain, on a encore une agriculture avec des familles de paysans, soit nos campagnes seront des déserts, exploités par des groupes de financiers".

 

 

Une blague circule à ce propos : "Quand il n'y aura plus que deux fermes en Europe, ce sera encore une de trop". R.B.

 

 

 

 

 

Un phénomène mondial

 

 

Des prix qui flambent, un revenu des producteurs qui s'effondre, des émeutes de la faim... En 2009, le monde agricole a traversé une grave crise, dans le sillage de la récession de 2007-2008.

 

 

Paradoxalement, cette situation a conduit à la ruée vers les terres arables. Des gouvernements de plusieurs pays d'Asie - Chine, Corée du Sud - ou du Golfe - Arabie saoudite, Qatar - ont souhaité assurer leur sécurité alimentaire. Des fonds de spéculation ont suivi, voyant dans la terre un investissement propice à la spéculation, pour peu qu'on manipule habilement le cours des matières premières...

 

 

Dans des pays comme l'Indonésie ou la République Démocratique Du Congo, environ 15 % des terres seraient détenues par des capitaux étrangers. Des proportions inquiétantes. Les vastes opérations foncières, qui chassent de nombreux paysans de leurs terres ancestrales, y sont facilitées par l'absence de cadastre et - trop souvent - la complaisance d'autorités corrompues.

 

 

Les grandes organisations internationales sont très préoccupées par le phénomène, mais peinent à l'endiguer. La Banque mondiale a proposé un plan d'urgence, mais a surtout insisté sur la nécessité d'une meilleure gouvernance foncière. Le FAO (organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) publie régulièrement des rapports alarmants sur le sujet. C'est d'ailleurs devant le FAO que le pape François avait lancé, en 2015, un appel à mettre un frein à l'appétit des investisseurs : "l'accaparement des terres cultivables par des entreprises transnationales et par des États est un préoccupation croissante [...], il faut oeuvrer en faveur de l'agriculture familiale". Des voeux restés pieux, malheureusement.

 

 

 

 

 

Dominique Potier, Député (PS) de Meurthe-et-Moselle, rapporteur du projet de loi

 

 

 

"La spéculation conduit à la démesure"

 

 

 

Votre projet de loi vise à lutter contre "l'accaparement des terres". Cela fait menace venue de l'étranger, alors que les acquisitions sont le fait de propriétaires français...

 

C'est vrai, 99 % des mouvements sont intra-nationaux. Le problème n'est pas plus chinois que gaulois. Le problème, ce sont les logiques spéculatives qui vont à l'encontre des traditions agricoles.

 

 

 

 

Pourquoi, dans une économie libérale, les terres seraient-elles soustraites aux lois du marché ?

 

Les logiques spéculatives conduisent à la démesure. L'accaparement est consubstantiel au modèle productiviste : toujours plus, plus grand. L'enrichissement de quelques-uns conduit à l'appauvrissement de tous. À nous de mettre des limites. La vraie liberté d'entreprendre, c'est de permettre aux jeunes d'entrer dans le métier...

 

 

 

À vous entendre, l'enjeu dépasse le seul monde agricole...

 

La concentration des fermes, c'est moins de diversité des cultures, moins d'emplois, de biodiversité... L'enjeu des sols est un des grands enjeux du XXIe siècle. À terme, il faudra une loi constitutionnelle pour transformer le foncier en bien commun. Lutter pour l'accès de la paysannerie au foncier, c'est fondamental. Ce phénomène d'accaparement est mortifère.

 

 

 

Quel est l'esprit du texte que vous souhaitez instaurer ?

 

Longtemps, les terres ont été protégées de la spéculation. Aujourd'hui, notre législation a une faille. Les agriculteurs en tant qu'individus sont contrôlés, mais les sociétés agricoles sont des boîtes noires. Cette proposition de loi vise à les rendre transparentes. Le gouvernement a accepté de traiter le projet en urgence. Nous aurons donc le temps de le faire adopter avant la fin de la législature. Les décrets seront pris. Reste à savoir si le Conseil constitutionnel validera la loi sur le fond. C'est la seule inconnue. Recueilli par Ryad Benaidji

 

 

 

 

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Outre qu'elle structure les paysages et la ruralité, l'agriculture demeure un pilier de l'économie française.

 

 

 

■ 28 millions d'hectares

 

La France métropolitaine, c'est un territoire de 55 millions d'hectares. Les activités agricoles y occupent 28 millions d'hectares (selon le ministère de l'Agriculture). Un chiffre qui s'infléchit : en 1950, les activités agricoles s'étendaient sur 34,4 millions d'hectares.

 

 

■ Un peu plus d'installations

 

En 2015, 15 100 exploitants se sont installés, selon la Mutualité Sociale Agricole. Insuffisant pour remplacer tous les départs, mais c'est tout de même une inversion de tendance : jusqu'en 2014, ce chiffre diminuait. Plus rassurant encore, le nombre d'agriculteurs de moins de 40 ans était de 9 250 (+ 10 % en un an), dont 28,9 % de femmes.

 



13/01/2017
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