le Progrès du samedi 3 juin 2017
CLIMAT : L'EUROPE ET LA CHINE CONTRE-ATTAQUENT
La décision de Donald Trump bouscule l'ordre mondial. L'Europe sent une opportunité, la Chine vise la première place, la Russie cherche à s'intercaler... Turbulences en vue !
La nature a horreur du vide. Le retrait des États-Unis de l'accord sur le climat provoque des réactions en chaîne qui anticipent peut-être un nouvel ordre mondial.
■ États-Unis : l'Amérique d'abord
"J'ai été élu pour représenter les habitants de Pittsburg, pas de Paris", s'est justifié Donald Trump. Il avait pareillement expliqué en janvier son retrait du traité de commerce avec les pays du Pacifique (TPP), par la volonté de "fabriquer nos produits chez nous".
Et c'est toujours ce registre de "l'Amérique d'abord" qui l'a retenu, la semaine dernière à l'Otan, de citer l'article 5 scellant la solidarité de défense entre Américains et Européens. Il est trop tôt pour parler d'isolationnisme, mais la puissance américaine se met en retrait du monde.
■ L'Europe dans la brèche
La "patronne" de l'Union européenne, Angela Merkel a donné le ton au lendemain d'un G7 dominé par les palinodies de Trump : "Nous, les Européens, nous devons prendre en main notre propre destin". Pour preuve, la rencontre jeudi entre les ministres français et allemands de la Défense, promettant des initiatives dès juillet. Pour preuve encore, l'accélération des discussions sur une refonte de l'euro.
Les Européens pressent également le pas diplomatique. Le Premier ministre indien Narendra Modi a été reçu à Berlin, Madrid et aujourd'hui Paris, pour appuyer la position de l'Union sur le climat, et intensifier la coopération générale. L'Europe travaille également sa relation avec la Chine, ce qui ne va pas sans heurt...
■ Les ambitions de la Chine
... car hier en sommet à Bruxelles, l'Europe et la Chine on soutenu la même position face aux États-Unis, mais sans pouvoir l'écrire dans un communiqué commun. Le refus de l'Union d'accorder à la Chine le "statut d'économie de marché", avec les ouvertures commerciales qu'il entraîne, a provoqué ce raté. Les deux puissances ont bien pu parader en champions du libre-échange lorsque les États-Unis ont quitté le TPP, cela ne gomme pas leur divergences d'intérêts : le "rêve chinois" du président Xi Jinping est simple, faire de son pays la première puissance mondiale - devant les États-Unis, mais aussi l'Europe.
■ Une Russie multipolaire
La Russie a promis de rester dans l'accord, qu'elle n'a pas encore ratifié. Mais Vladimir Poutine a soutenu la demande de renégociation de Donald Trump. Un nouvel épisode des relations très lunatiques des deux présidents, et surtout l'illustration du souci de la Russie de promouvoir un monde "multipolaire" (en clair, sans superpuissance), ce qui ménage des marges de manoeuvre à la puissance russe, devenue moyenne.
Quel ordre mondial dessinent ces réactions ? Il est bien trop tôt pour le prévoir. Disons que le repli américain crée, à cette heure, au moins autant d'instabilité que d'opportunités. Francis Brochet
Un danger pour les pays du Sud
La décision de Donald Trump de retirer son pays de l'Accord de Paris va avoir des conséquences immédiates pour les pays du Sud dont certaines risquent d'avoir un effet boomerang aux États-Unis. Le président a annoncé notamment la fin de la contribution américaine au Fonds vert pour le climat. Ce fonds mondial aide les pays en voie de développement à financer des alternatives aux énergies polluantes, comme les éoliennes et le solaire. Sans ces crédits, les États les plus pauvres devront recourir à des technologies polluantes et contribueront donc au réchauffement de la planète.
Les États-Unis auront à en souffrir, comme on a pu le voir lors de la sécheresse record qui a frappé la Californie pendant cinq ans. En soutenant les pays les plus vulnérables, le Fonds vert pour le climat contribue aussi à limiter le phénomène des réfugiés climatiques dont une partie vont chercher une vie meilleure dans les pays développés. Le nombre de déplacés à cause du climat pourrait atteindre 250 millions d'ici 2050 selon l'ONU.
Sous Obama, les États-Unis ont donné un milliard de dollars (890 millions d'euros) au Fonds vert pour le climat. L'administration Trump ne versera pas les deux milliards de dollars (1,78 milliards d'euros) supplémentaires prévus d'ici 2020.
Le président américain a également annoncé que les États-Unis ne prendront pas leur part des 100 milliards de dollars (89 milliards d'euros) de crédits publics et privés qui devaient être transférés des pays du Nord au pays du Sud pour les aider à lutter contre les changements climatiques. Sans cet argent, les États les plus fragiles ne pourront plus se protéger de la montée des eaux avec des digues ou lutter contre la désertification.
Rex Tillerson, le secrétaire d'État américain qui était opposé à la sortie de l'Accord de Paris, semble prendre ses distances avec Donald Trump. Il a assuré hier que les États-Unis poursuivront leurs efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le coup de force de Donald Trump a provoqué un tollé aux États-Unis. Grâce à la résistance intérieure, les États-Unis pourraient être plus vertueux que ce que pouvait laisser craindre l'isolationnisme du président américain. La Californie, New York et Washington ont immédiatement créé une alliance au sein de laquelle les États s'engagent à respecter les objectifs de l'Accord de Paris. Luc Chaillot
Bertrand Badie, professeur à Sciences Po-Paris, auteur de "Nous ne sommes plus seuls au monde"
"Le fort est de plus en plus dépendant du faible"
Nous avons vécu dans un monde conduit par une "hyperpuissance", les États-Unis. C'est fini ?
"Cela fait un moment que l'on revient sur l'idée-même de puissance. La conception classique des relations internationales, d'une compétition entre États, a été dépassée par plusieurs évolutions. La première est la mondialisation : c'est un système de telle interdépendance entre les États, les économies, les sociétés, que, si le faible reste dépendant du fort, le fort est de plus en plus dépendant du faible.
La deuxième est la fin de la bipolarité États-Unis URSS, qui gelait tout changement. La troisième est cette vague de néo-nationaliste qui a touché la Russie de Poutine, la Turquie d'Erdogan, la Grande-Bretagne du Brexit, et maintenant les États-Unis de Trump... En prétendant recréer la grandeur passée, Donald Trump retrouve une forme d'isolationnisme d'antan. Comme s'il coupait le leader de ses troupes".
D'où l'impression d'un vide, qui suscite de l'inquiétude ?
"Ce vide est lié à la fin d'un système extraordinairement stable et structuré, qui a duré de 1947 à 1989, et nous n'en connaîtrons plus de pareil. Il tient aussi à la difficulté du politique à s'imposer face à l'interdépendance des sociétés, des économies, des religions, des multinationales..."
Les partisans de l'Europe disent que son heure est arrivée
"En négatif, oui, car la manière dont Trump s'adresse à l'Europe conduit les Européens à se rapprocher. Mais il manque une dimension positive, un nouveau projet européen, après celui de paix et de reconstruction de l'économie de l'après-guerre. Il passe à mon avis par la solidarité, et par l'affirmation de l'Europe dans le monde, qui doit cesser de se regarder elle-même". Propos recueillis par Francis Brochet
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