Franceinfo - le vendredi 7 février 2020
"Je ne vois pas un seul être humain" : les habitants de Wuhan entre "solitude" et "peur" du coronavirus 2019-nCoV
Onze millions d'habitants vivent coupés du monde dans la cité chinoise, depuis sa mise en quarantaine, le 23 janvier
Vue aérienne de la ville de Wuhan (Chine) aux avenues complètement vides, le 27 janvier 2020. (HECTOR RETAMAL / AFP)
"Les journées sont tellement longues que je ne fais plus vraiment la différence entre la nuit et le jour." Depuis que Wuhan a été mise sous cloche pour lutter contre l'épidémie de coronavirus, le 23 janvier, Leo* reste cloîtré dans la petite chambre d'étudiant qu'il occupe à Wuchang, un quartier du centre-ville, sur la rive droite du Yangzi Jiang.
Comme lui, onze millions de Wuhanais vivent un confinement strict. En Chine, les mesures de restriction des déplacements concernent chaque jour plus de villes et se rapprochent de Pékin et Shanghai. Wuhan, immense cité industrielle du cœur de la Chine, est considérée comme l'épicentre de l'épidémie de coronavirus 2019-nCoV, qui a déjà fait plus de 630 morts et infecté plus de 31 000 personnes, à la date du 7 février, selon des données fournies par les autorités chinoises.
Pour tuer le temps dans cette "ville fantôme", Leo regarde des films, lit tout ce qu'il trouve sur le virus et communique avec sa famille sur Facebook ou WhatsApp. L'étudiant africain – qui refuse qu'on évoque sa nationalité "pour ne pas avoir de problèmes avec le gouvernement chinois" – ne sort qu'une fois par semaine pour faire des courses. "Le supermarché est ouvert entre midi et 16 heures et il y a beaucoup de monde, donc il faut aller vite, explique-t-il. Le reste du temps, je ne vois pas un seul être humain. Le sentiment de solitude est énorme."
Une ville en "état de guerre sanitaire"
Nous avons fait un tour en voiture et en dix minutes, nous n'avons croisé qu'une poignée de personnes. On a l'impression d'être dans un décor post-apocalyptique. à franceinfo
Les Wuhanais les plus téméraires peineraient de toute façon à se déplacer. Les transports en commun ont été suspendus et la circulation des voitures individuelles est interdite. Pour s'en assurer, les autorités ont placé des check-points un peu partout dans l'immense cité industrielle. Tous les passants y sont soumis à un contrôle de température. S'ils ont de la fièvre, ils sont placés directement à l'isolement dans un hôpital.
Autre mesure, digne d'un roman de George Orwell : des drones équipés de caméras survolent la ville afin de s'assurer que les badauds portent bien un masque, comme le demandent les autorités. Si ce n'est pas le cas, ils sont rappelés à l'ordre par un officier de police, grâce à des haut-parleurs. "Camarade à vélo, mettez un masque quand vous êtes dans la rue. Ne compliquez pas les choses pour votre mère patrie", peut-on entendre dans une vidéo officielle, diffusée sur les réseaux sociaux.
Weibo, l'équivalent chinois de Facebook et Twitter, fourmille de vidéos de ce type, attestant de la présence du même dispositif dans d'autres villes. A Wuhan, l'équipe de France Télévisions a d'ailleurs aperçu un de ces drones. "Celui que nous avons vu était seulement équipé d'une caméra et d'un mégaphone, mais il se dit que certains drones sont même capables de prendre la température des passants, raconte Arnauld Miguet. Wuhan est dans un état de guerre sanitaire."
Vent de panique
Lorsque le président Xi Jinping annonce en personne la mise en quarantaine de Wuhan et de plusieurs autres villes de la province du Hubei, le 23 janvier, un vent de panique souffle sur la ville. "J'étais terrifié, raconte Leo. J'ai appelé ma famille, puis mon ambassade pour leur demander quoi faire. Fallait-il fuir coûte que coûte ?" Pour le Nouvel An lunaire, où des millions de travailleurs retournent traditionnellement dans leur village natal passer les fêtes en famille, certains tentent de quitter la ville, malgré les barrages. "Un homme a réussi à s'enfuir et a roulé jusqu'à Shanghai", raconte Arnauld Miguet.
Les policiers l'ont tout de suite su. Quand il s'est réveillé dans son appartement le lendemain, il était entouré d'officiers en combinaison en train de prendre sa température.à franceinfo
Avec la peur se répand un autre virus : celui de la colère et de la méfiance vis-à-vis des informations officielles. "Le gouvernement cache la vérité depuis le début. Le nombre de personnes infectées et le nombre de morts sont faux", pestait auprès de franceinfo Zangyi*, un Wuhanais de 55 ans, au lendemain de la mise sous cloche de la ville.
Si les premiers cas de coronavirus ont été détectés dès le mois de décembre, beaucoup de Chinois reprochent aux autorités locales d'avoir tu la gravité de la situation pendant les premières semaines. "Je suis envahi par un sentiment de culpabilité, par les remords", confesse, le 31 janvier sur la télévision publique, Ma Guoqiang, le secrétaire général local du Parti communiste. En Chine, les hauts responsables admettent très rarement des erreurs. Encore moins en direct, à une heure de grande écoute. Pour beaucoup de Chinois, la séquence est la preuve que la situation est encore plus grave qu'annoncé.
"Une queue de mille patients"
Dans ce contexte de psychose collective, des milliers de Wuhanais se ruent sur les rares hôpitaux en mesure de diagnostiquer le virus. Certains y attendent des heures, voire des jours avant d'être auscultés. "Il y avait plus de 1 000 patients qui faisaient la queue, mais toujours pas de lits disponibles, a raconté au Monde Chen Nini, 32 ans. On a dû revenir faire la queue chaque jour pour un traitement en ambulatoire, alors que l'état de ma mère devenait critique."
Plusieurs médecins, complètement débordés et pas toujours bien équipés, contractent aussi le virus. C'est le cas d'un ami de Zhangyi. "Il souffre d'une infection des poumons qui est en train de se répandre, mais il continue de travailler parce qu'il n'y a pas assez de médecins dans son hôpital", explique, inquiet, le quinquagénaire.
Face à la crise sanitaire, Pékin reprend la main sur les infrastructures sanitaires de la ville, qui dépendent du gouvernement local. Pour désengorger les hôpitaux, le gouvernement central fait bâtir deux hôpitaux en préfabriqués, dans la banlieue wuhanaise, en une dizaine de jours.
Cet incroyable chantier est accompagné d'une méticuleuse opération de communication, relayée par tous les médias officiels. La chaîne China Daily met en ligne une vidéo où les internautes peuvent suivre en temps réel les travaux. Quelque 4 000 ouvriers s'activent jour et nuit au milieu d'une armée de pelleteuses. L'un des deux hôpitaux, baptisé "Huoshenshan" ("Hôpital de la montagne du dieu du feu", en chinois), accueille, mardi 4 février, ses 50 premiers patients devant les caméras de la télévision publique CCTV. La même chaîne diffuse depuis, en continu, des images de patients guéris sortant des hôpitaux sous les bravos.
"Allez Wuhan !"
Cette opération de communication a-t-elle permis de rassurer la population ? "On est en Chine, rappelle Arnauld Miguet. Même si les gens sont très tendus, ils appliquent rigoureusement les règles de confinement énoncés par le gouvernement." Sur la plateforme de vidéos Douyin – connue sous le nom de TikTok en France –, les nombreuses rumeurs relayées ces dernières semaines ont laissé place à des mèmes où l'on ironise sur l'enfermement, remarque Le Monde.
Sans qu'on puisse savoir s'il s'agit d'initiatives spontanées ou orchestrées par les autorités, de nombreuses vidéos montrent des habitants, bloqués chez eux, entonner ensemble des chants à la fenêtre. On les voit chanter en chœur l'hymne national ou hurler des "Wuhan Jiayou !" ("Allez Wuhan !", en français).
"Il existe une certaine solidarité entre les habitants. On a vu des gens distribuer des choux à leurs voisins au pied de leur immeuble", raconte Arnauld Miguet. Les prix des légumes, qui avaient largement augmenté au début du confinement, "sont revenus à la normale, parce que le gouvernement a régulé tout ça", explique de son côté Leo. Toujours coincé dans sa chambre d’étudiant, le jeune homme ne mange que le strict minimum depuis dix jours, "des fruits et des légumes principalement". "Tout est à l'arrêt, même les banques. Du coup, je n'ai pas pu percevoir ma bourse et je commence à manquer d'argent", souffle-t-il.
"Au-delà de la peur du virus ou de la solitude, le plus dur c'est de se coucher le soir en se disant qu'on ne sait pas du tout de quoi demain sera fait." Comme tous les habitants de Wuhan, Leo voit se succéder les journées avec lassitude. Et avec une question en tête : "Combien de temps va encore durer cette situation ?"
- Les prénoms de ces personnes ont été modifiés pour garantir leur anonymat.
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