la tribune du mardi 7 octobre 2014
SYRIE-IRAK - Terrorisme : pourquoi l'Etat islamique ne recule pas. La stratégie de la coalition ne paie pas pour le moment. Peu affecté par les frappes aériennes, l'EI ou Daech étend son empire en Syrie et contrôle toujours un vaste et riche territoire en Irak. Le risque d'épuisement est réel pour la coalition, faute d'alliés locaux et de troupes au sol.
14 000 En euros, le coût de l'heure de vol d'un avion français Rafale (neuf sont à Abou Dhabi) selon le ministère de la Défense. Principal poste budgétaire : le kérozène. 10 000 litres sont nécessaires pour une frappe aérienne en moyenne.
"La France se renie quand elle croit que la guerre contre le terrorisme est la solution. Même si nous écrasons l'Etat islamique, ce sera au prix de l'émergence d'un nouveau péril, chiite ou sunnite, islamiste ou nationaliste. Dix ans d'interventions incohérentes au Moyen-Orient ont enfanté et nourri l'EI". Dominique Villepin, Ancien Premier ministre, dans une tribune au Monde.
Le drapeau noir de Daech (ou Etat islamique) flotte sur une partie de la ville syrienne Kurde de Kobané aux portes de la Turquie. Depuis la frontière, réfugiés, soldats turcs et photo-graphes regardent la progression lente des djihadistes vers la ville dans le fracas des bombes. Ni les bombardements des F16 de l'US Air force ni la résistance héroïque voir kamikaze des combattants kurdes dans les rues de la ville n'ont repoussé les soldats noirs.
Daech décapite des otages à la face du monde, Daech terrorise des populations dans son califat, Daech avance en Syrie et ne recule pas vraiment en Irak... Un mois après les premières frappes américaines relayées par la France et les Britanniques, les terroristes restent maîtres d'un territoire vaste comme la Grande-Bretagne à cheval sur les deux pays et riche d'un pétrole qui rapporte deux millions de dollars par jour. Les pays occidentaux et arabes engagés dépensent beaucoup, prennent des risques pour le moment sans résultat.
Les bombardements ont privé Daech de bases arrière, de quelques champs pétroliers mais sans lui infliger de lourdes pertes. Les soldats de Daech, 30 000 hommes au lieu de 20 000 en février, sont installés avec leur trésor de guerre, au coeur des villes passées sous leur contrôle. Soit ils terrorisent les populations sunnites qui n'ont pas fui, soit celles-ci s'en accommodent parce qu'elles craignent en Syrie le régime d'Assad et en Irak celui d'une mainmise chiite ou d'une extension du pouvoir Kurde. Faute d'envoyer des troupes à terre capables de rivaliser avec l'EI, les Occidentaux arment, forment, renseignent l'armée irakienne et surtout les peshmergas kurdes.
Malgré leur courage et l'appui aérien, ces gardiens de frontières n'ont ni l'expérience du combat de la précédente génération de peshmergas rodée par sa guérilla anti-Saddam Hussein, ni l'armement lourd des djihadistes raflé à l'armée irakienne. Comme Al-Qaïda face à l'armée Bush en 2003, Daech peut mener une guérilla difficile à vaincre depuis les airs, mais il possède en plus la force de frappe blindée, un vrai commandement qui coordonne les actions, "sans oublier les otages et son internationale de djihadistes qui a déjà frappé en Asie ou en Europe" rappelle le spécialiste de sécurité Eric Dénécé.
"La Turquie débat, Daech se déploie" s'inquiétaient les journaux libanais ce week-end. Malgré le feu vert du Parlement, le gouvernement islamo-conservateur n'envoie pas les chars de l'autre côté de la frontière avec la Syrie. Il ne veut pas aider l'ennemi juré, Bachar al-Assad, et encore moins renforcer le camp Kurde. Le premier ministre Davutoglu réclame une zone tampon en Syrie sur sa frontière. EI l'occupe déjà.
"Qu'il s'agisse de l'Irak ou de la Syrie, il n'y aura pas de solution militaire à la crise. Il faut remettre la politique au centre de la lutte contre Daech" estime Didier Billion, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Le géographe Fabrice Balanche va plus loin : "Pour venir à bout de l'Etat islamique, il faudrait que la coalition s'appuie sur les gouvernements de Damas et de Bagdad, tous deux alliés de l'Iran". Impossible ?
------------------ Questions à Wassim Nasr -------------------
Chroniqueur France 24, spécialiste des mouvements djihadistes
"Les frappes servent directement l'EI"
Les frappes de la coalition affaiblissent-elles l'armée de l'Etat islamique ?
Je ne pense pas. L'Etat islamique a mis des années à se const-ruire, il ne vas pas faiblir face à une coalition aussi hétéroclite. Il ne vas pas se désunir avec des frappes. Cette intervention le sert directement, provoque et amplifie même des effets non désirés : il est de plus en plus facile pour l'EI de trouver des recrues et les conflits inter-djihadistes sont gelés.
Les bombardements de la coalition sur une raffinerie ou contre des silos de grains ne changent pas non plus la donne : la population locale n'est pas prête à se retourner contre les djihadistes. Aujourd'hui, l'EI apparaît seul contre tous, un électron libre, et ça renforce son attrait. Ils seraient 30 000 combattants et sans doute plus. Ils sont très bien organisés avec des groupes mobiles de 10 à 15 personnes, avec une grande liberté de mouvement. Les frappes ne fonctionnent pas contre une guérilla...
Pourquoi l'EI séduit et prend le dessus sur Al-Qaïda ?
Parce qu'on assiste à la matérialisation d'un idéal djihadiste dans cette région qui compte sept millions d'habitants et qui est aussi grande que la Grande-Bretagne. Certains estiment qu'Al-Qaïda n'a rien réalisé depuis dix ans, alors ces combattants se disent qu'ils peuvent participer à la création de cet "Etat" islamique, sur les terres de l'ancien califat, c'est beaucoup plus attractif que ce qui s'est passé au Mali par exemple. Les chefs de l'EI maîtrisent leur force médiatique.
Cette guerre est-elle vaine ?
En prenant des otages, l'EI avait prévu ce qu'il se passe depuis plus d'une année, mais au départ, ces djihadistes visaient d'abord les monarchies du Golfe, l'Iran... Depuis les attaques de la coalition, rien n'est exclu contre les pays occidentaux. Les djihadistes du monde entier ont envie d'être parties prenantes dans cette bataille finale, il y a une dimension apocalyptique et religieuse, avec en perspective la renaissance du califat, comme dans la prophétie. Recueilli par Xavier Frère
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