le Progrès du jeudi 20 octobre 2016
EUROPE - À BRUXELLES. COMMENT L'EUROPE SE BARRICADE
Contrôle de tous, Européens compris, à l'entrée dans l'Union, enregistrement obligatoire et payant des voyageurs dispensés de visa... L'Europe verrouille face aux terroristes - et aux migrants.
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uelle est la priorité actuelle des dirigeants européens ? "Offrir la vision d'une d'une Union attrayante", ont-ils déclaré au sommet de Bratislava, il y a un mois. C'est-a-dire? "Assurer un contrôle total de nos frontières extérieures", lit-on dans la "feuille de route de Bratislava". Un objectif placé en tête de l'ordre du jour européen, dès cet après-midi à Bruxelles.
Tous contrôlés
Des mesures très concrètes sont préparées. La première est la création d'une Agence européenne de gardes-frontières (et gardes-côtes en Méditerranée), qui a commencé de se déployer à la frontière bulgaro-turque. Tout est dans l'adjectif "européenne" : déléguer la surveillance de sa frontière nationale à l'Union était inimaginable il y a peu - cela s'est pourtant fait en moins d'un an. Autre mesure, moins avancée : contrôler toutes les personnes, y compris les citoyens européens, entrant dans l'Union. La clé est la connexion des fichiers nationaux et européens (comme celui d'Europol), qui avance à grands pas après des années de blocage. Troisième mesures examinée cet après-midi, encore à l'état de projet : un enregistrement obligatoire (et payant) pour tous les étrangers non soumis à un visa - 30 millions de personnes en 2014 ! Baptisé Etias (EU travel information and authorisation system), il s'inspire de l'Esta en vigueur aux États-Unis. Cela nécessitera du temps, mais ouvrira la voie à un fichier central des non-Européens venant dans l'Union.
Comment expliquer la soudaine efficacité de l'Union, si lente sur d'autres dossiers ? Les attentats terroristes, en France puis dans d'autres pays européens, ont imposé l'urgence. Idem pour les flux de migrants sur les côtes italiennes et grecques, ou sur la route des Balkans.
Un "effet Brexit"
Moins "objectives", mais non moins pressantes, sont les raisons politiques. La montée du sentiment anti-immigration relayé par des partis populistes qui ne cessent de progresser, conduit les dirigeants dans l'ensemble de l'Union, à des décisions toujours plus dures.
S'ajoute un "effet Brexit". L'immigration a été décisive dans le vote, et la nouvelle Première ministre Theresa May en a pris acte : son Parti conservateur est désormais pour une stricte limitation - et un contrôle renforcé des frontières commerciales, au grand dam de la City de Londres.
Ainsi va l'Europe-forteresse. Le résultat se lit dans le niveau d'accueil des migrants "relocalisés" en France : 1 987 personnes, à la date du 18 octobre - sur un objectif de 16 827. Précisons que la France est en ce domaine le meilleur élève de la classe. Francis Brochet
Accord UE-Canada : blocage wallon
Quelque 3,6 millions de Wallons et leur parlement régional bloqueront-ils l'accord de libre-échange avec le Canada (le Ceta) ?
Le chef du gouvernement wallon, le socialiste Paul Magnette, emboîtant le pas à son Parlement régional, a refusé hier soir de céder aux pressions de la Commission et réclame "un délai de plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour parvenir à un nouveau texte qui protège mieux le modèle social européen et garantisse que le Ceta ne pourra pas être utilisé par des sociétés non canadiennes". Sans le vote des ses parlements régionaux, la Belgique ne peut ratifier l'accorde. Mais les Wallons ne sont pas seuls à regimber face au Ceta.
Et la suspension des négociations sur l'accord avec les États-Unis montre que c'est le principe même du libre-échange qui est discuté, sous la pression des opinions. L'Union entend également muscler ses défenses contre les importations à bas prix ("anti-dumping"). Mais l'intransigeance wallone menace de déclencher une crise avec le Canada et soulève des interrogations sur la capacité des 28 à négocier à l'avenir des traités commerciaux avec des pays comme les États-Unis ou le Japon.
Yves Pascouau European Policy Centre
"Le seul domaine de consensus"
Sommes-nous en train de construire une Europe-forteresse ?
Non, car beaucoup de gens entrent dans l'Union : l'année dernière, les États membres ont délivré plus de 2,4 millions de titres de séjour, et il y a eu 16 millions de visas Schengen en 2013. En revanche, l'Union est moins ouverte à d'autres catégories de personnes, dont certaines viennent mourir aux portes de ce qui apparaît alors comme une forteresse.
Mais on va imposer toujours plus de contrôles aux frontières extérieures. C'est un tournant?
Il y a en effet un renforcement des contrôles : à l'entrée sur le territoire européen, motivé par les flux migratoires ; et à l'entrée dans l'espace Schengen, depuis les attentats perpétrés en France. C'est las continuation d'un processus engagé depuis des années. Les États ont toujours été préoccupés par le contrôle de la frontière extérieure de l'Union. La nouveauté est dans le renforcement d'un processus d'intégration politique qui donne par exemple des pouvoirs de plus en plus étendus à l'agence européenne Frontex.
Comment expliquer qu'on aille si vite dans ce domaine ?
Il suffit de lire les conclusions du sommet de Bratislava : le seul domaine sur lequel existe un consensus permettant d'avancer, c'est le contrôle des frontières extérieures et le retour des migrants non acceptés. Regardez la rapidité avec laquelle a été adopté le corps européen de gardes-frontières, qui signifie une intégration politique assez forte. En revanche, on n'avance plus sur l'asile ni sur l'immigration légale... Recueilli par F.B.
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